Un accident en mer, une cargaison chargée de produits dangereux et le Cedre se voit sollicité. Depuis 1979, date de sa création à la suite de la catastrophe de l'Amoco Cadiz, le Centre de documentation, de recherche et d'expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux, basé à Brest, a acquis un statut d’expert au niveau international sur les déversements en mer susceptibles de dégrader les milieux aquatiques. Son nom est souvent cité ou du moins ses connaissances dans les domaines des pollutions par hydrocarbures, produits chimiques et plastiques sollicitées dès lors qu’une marée noire d’ampleur menace les côtes d’un pays.
Mais ces dernières années, il est monté en compétences sur une autre pollution prégnante mais plus sournoise, celle émise par les granulés industriels plastiques (GPI), qui se trouvent être à la base de la fabrication de tout produit en plastique, qu’il soit en polypropylène, en polystyrène ou en polyéthylène. Depuis 2021, sa compréhension du sujet a été sollicitée dans trois cas de pollutions maritimes impliquant ces billes sphériques de la taille du millimètre, au nom poétiquement trompeur de « larmes de sirène », qui se retrouvent à l’intérieur des conteneurs.
Le phénomène est connu à terre, il est moins signalé en mer même si leur pollution est observée depuis les années 70. En raison de leur taille, les granulés passent à travers les mailles des machines, y compris les cribleuses qui permettent de nettoyer les plages. Leur collecte est d’autant plus difficile qu’elles sont très sensibles à l'action du vent, des courants et des marées. En se fragmentant, elles finissent en nanoparticules ingérées par les poissons et mollusques et contaminent la chaîne alimentaire.
Affaire du X-Press Pearl
Le service « Surveillance et études des déchets aquatiques » du Cedre a été retenu en 2021 par les autorités sri-lankaises après consultation dans le cadre de l’affaire du X-Press Pearl. Deux de ses experts – Camille Lacroix, la cheffe du service, et son collègue Stéphane Le Floch, à la tête du service recherche – ont été dépêchés sur place pour, selon le cahier des charges, évaluer les moyens à mettre en œuvre face aux risques, évaluer l'impact environnemental et conseiller techniquement les autorités sur les actions à mener en termes de lutte anti-pollution, nettoyage, restauration et de suivi de l'environnement. Les deux scientifiques se sont intégrés à la mission coordonnée par les Nations-Unies, appelée Joint UNEP-OCHA Environment Unit, qui intervient sur les impacts environnementaux des catastrophes et accidents en coordonnant les efforts internationaux et les interventions sur place.
Le X-Press Pearl est ce feeder de 2 700 EVP (31 600 tpl) qui a offert le spectacle
en direct d’un navire âgé d’à peine trois mois se consumer pendant 13 jours au large des côtes sri-lankaises. Ses dernières minutes, début juin 2021, ont été tout aussi terribles. Le navire a sombré à 11 km au large de Pamunugama, au nord de Colombo.
Mais de l’accident du porte-conteneurs qui avait 1 486 conteneurs à bord (dont 81 identifiés en dangereux et 25 chargés d'acide nitrique) et 350 t de fuel dans sa soute, il a surtout été question de la crainte d’une marée noire de niveau II dans l’océan Indien. La marée blanche sous-jacente aux 11 000 tonnes de billes de plastiques a été bien moins évoquée. Il s’agirait pourtant du plus grand déversement de plastique marin jamais enregistré. Après le naufrage, le Centre pour la justice environnementale du Sri Lanka avait indiqué que des billes avaient été retrouvées dans le corps de plusieurs animaux parmi les 470 tortues, 46 dauphins et 8 baleines échouées.
Une pollution encore méconnue
Quelques retentissements médiatiques ont placé cette pollution sur le devant de la scène, notamment parce que les ONG environnementales s’y intéressent de plus en plus. Selon Surfrider, 160 000 t de granulés sont « perdues » (des quantités importantes de granulés se déversent tout au long de la chaîne de fabrication) par l’industrie européenne, et 230 000 t au niveau mondial. D’après une étude publiée en janvier 2016 par le Forum économique mondial, sur les 8,8 Mt de déchets plastiques déversés en mer chaque année, 250 000 t sont ces « nurdles », sa dénomination anglaise. « Soit l’équivalent d’un camion-poubelle qui se déverserait toutes les minutes dans la mer », indique le FME, qui a recours aux images pour choquer l'opinion.
Un phénomène observé sur les côtes françaises
En France, le phénomène a été observé sur les plages du Finistère en février 2021 et à Calais en septembre 2022 où plus de 1 100 microbilles ont pu être comptées sur 100 m de plage. Mandaté pour déterminer les solutions de nettoyage et analyser leurs origines, le Cedre reconnaît que définir l’origine est problématique « car elles ont des formules à peu près identiques d’où qu’elles viennent ». « Les analyses ne sont pas très parlantes dans la mesure où il s'agit de granulés de plastique très courants dans l'industrie de la plasturgie. Les matières sont principalement des granulés de polyéthylène mais il n'est pas possible de remonter à la source de la pollution sur la base de ces seules analyses », indiquait alors au JMM Nicolas Tamic, le directeur adjoint de l’organisme breton.
Malgré la multiplication des incidents, les « larmes de sirène » ne sont toujours pas « considérés comme des substances non-dangereuses par les différents codes de transport (IMDG, ADN, RID, IATA) de l’OMI », indique le Cedre, ou comme polluants marins au même titre que le diesel, le kérosène et le pétrole. Ce que réclament d'ailleurs les ONG pour que l'emballage, l'étiquetage, l'arrimage et le transport de ces GPI soient réglementés.
Pression sur l'OMI
Des travaux sont en cours sur l'élaboration de lignes directrices au sein du sous-comité de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) chargé de la prévention de la pollution et de la lutte contre la pollution (PPR). En mars, le Comité de protection du milieu marin MEPC 81 a approuvé un certain nombre de recommandations relatives à leur transport (emballage, arrimage). Les États membres de l'OMI travaillent actuellement à l'élaboration de guidelines sur le nettoyage après déversement en mer. Le projet a été discuté lors de la 11e session du PPR en février 2024 et soumis au MEPC 82 en octobre.
Le sujet est adjacent à la perte de conteneurs. La tâche est ardue car les compagnies ne signalent pas systématiquement ces pertes mais cette déclaration sera rendue obligatoire à compter du 1er janvier 2026. Aussi, le contenu des boîtes n’est pas toujours bien renseigné. Le fret mal déclaré (notamment en dangereux) est d’ailleurs identifié comme étant à la source des accidents les plus critiques en mer, comme les incendies.
Nouveau défi environnemental
Sur ce sujet, le Cedre a développé une littérature experte si bien qu'il en a fait un nouveau pôle de compétences. Outre la mission d’assistance internationale des Nations Unies auprès des autorités sri lankaises, puis son intervention à la demande des autorités françaises lorsque plusieurs communes du littoral atlantique ont été touchées par des arrivages, le Centre est aussi intervenu en décembre 2023, à la suite de la perte d’un conteneur de 26 t de ces granulés au large du Portugal, à la demande des autorités espagnoles et françaises.
Depuis, il a piloté la rédaction d’un guide opérationnel dédié aux accidents maritimes impliquant ces déversements pour le compte de l'OMI. Parallèlement, il a renforcé ses moyens en investissant dans des infrastructures dédiées à l’étude et à la gestion de ces nouvelles pollutions. « Les investissements se sont concrétisés par la montée en compétences des équipes ainsi que par la création de trois zones d’essais spécialement conçues pour simuler des conditions réelles de pollution par les GPI et tester des solutions de récupération et de nettoyage », indique la direction du Cedre.
Ces installations permettent non seulement de tester des équipements dans des conditions « réalistes », mais aussi d’améliorer les connaissances scientifiques sur la dispersion de ces microbilles dans divers environnements. Les données recueillies devraient alimenter l'élaboration de recommandations en cours de rédaction et destiné aux autorités, aux industriels de la plasturgie, aux acteurs du secteur maritime et aux opérateurs impliqués lors de la gestion des pollutions.
Adeline Descamps