À l'approche de la COP28, la question de l'abandon des hydrocarbures tend les relations

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Les émissions mondiales de CO2  volent de record en record tandis que le pic est sans cesse repoussé. Le centre de gravité de la bataille s’est déporté sur la sortie des énergies fossiles non atténuées par des mesures comme le captage ou stockage du CO2. La nuance n'est pas neutre. Enjeu pour les secteurs difficiles à décarboner comme le transport maritime.

La COP28 approche, prévue du 30 novembre au 12 décembre à Dubaï. Les esprits s’échauffent. La prise de décision attendue à cette occasion, qui reviendrait à dater l’abandon des hydrocarbures, s’éloigne.

Chaque année, la communauté scientifique promet le pic mais le maximum est sans cesse repoussé. Les émissions mondiales de dioxyde de carbone, essentiellement dues à la combustion des énergies fossiles, devraient augmenter d'un autre point de pourcentage en 2023 et enregistrer un nouveau record, qui avait été établi à 37 Mt en 2022. Certes, les énergies dites propres se développent mais sans s'éloigner des combustibles fossiles.

Abated ou unabated ?

Le centre de gravité de la bataille s’est en effet déporté sur la sortie des énergies fossiles dites « unabated », c'est-à-dire non atténuées par des mesures comme le captage ou stockage du CO2, dont le G7 avait promis d’en accélérer l’abandon. La mention d’ « unabated » n’a rien de neutre car elle pourrait revenir à condamner les usages de pétrole, charbon et gaz ou à légitimer leur prolongation grâce au recours du captage et le stockage du carbone (CSC), largement soutenus par l'industrie pétrogazière.

Depuis plusieurs jours, les 27 pays de l'UE tentent d'arrêter une position commune sur le sujet dans la perspective de la COP28.

Dans ces recommandations, le Giec ne l’exclue pas dans une phase de transition. En revanche, les taux de captage des émissions nécessaires pour passer dans la catégorie des « abated » restent ouverts aux libres interprétations à ce stade. La couverture de l'ensemble du cycle de vie des combustibles fossiles n’est pas davantage explicitée.

La France tout comme l'Espagne, les Pays-Bas ou encore l’Autriche, appellent à une « élimination progressive des combustibles fossiles », qu'ils soient ou non « unabated », voire à les limiter aux industries les plus difficiles à décarboner. Les secteurs du transport maritime et aérien en font partie.

Une consommation annihilant les gains d'efficacité

Ces technologies sont « coûteuses et n'ont pas fait leurs preuves à grande échelle », tranche pour sa part l’AIE.

L'Agence internationale de l'énergie, basé à Paris et qui relève de l’OCDE, vient de réactualiser sa feuille de route « Net zéro » (International Energy Outlook 2023), préalablement établie en 2021 et qui dessinait déjà une voie étroite pour que le secteur de l’énergie puisse se conformer à l'objectif de l'Accord de Paris de limiter la hausse des températures mondiales à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels.

La mise à jour doit servir à alimenter les débats et la réflexion de la COP28. Mais quoi qu’il en soit, COP ou pas COP, la voie pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C se rétrécit, alerte l’AIE, dont tous les scénarios anticipent une consommation mondiale d'énergie annihilant les gains d'efficacité.

Développement des énergies propres mais...

Pour autant, l'AIE reste optimiste au regard du développement ces deux dernières années de certaines technologies clés en matière d'énergie propre.

Début octobre, alors qu’elle réunissait des experts des gouvernements, de l'industrie, de la recherche et de la société civile sur le rôle des carburants à faibles émissions dans la décarbonation des secteurs maritime et aérien internationaux, une certaine urgence voire une impatience se sont manifestées : urgence auprès des pouvoirs publics pour lever les derniers blocages aux investissements dans les infrastructures de production et de distribution et impatience quant aux mesures visant à créer un marché pour les carburants à faibles émissions.

« Pour que l'objectif de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C reste d'actualité, il faut que le monde se mobilise rapidement », insistait Fatih Birol, directeur général de l'AIE. « Mais nous avons aussi un message très clair : une coopération internationale forte est cruciale pour réussir. Les gouvernements doivent séparer le climat de la géopolitique, compte tenu de l'ampleur du défi à relever ».

Un investissement annuel de 45 Md$

La voie du « zéro net » a un prix : l’accès total à des énergies nouvelles pour tous – économies avancées, émergentes et en développement –, d'ici à 2030 nécessiterait un investissement annuel de près de 45 Md$.

Dans ces secteurs difficiles à décarboner, les carburants à faibles émissions sont largement reconnus comme étant la principale voire l’unique option technologique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, surtout pour le long-courrier, qui nécessite des carburants à haute densité énergétique, l'électrification étant à ce stade limitée aux navires et aéronefs de petite taille et à courte distance.

Selon les scénarios de l’AIE, les biocarburants, l'hydrogène et les carburants à base d'hydrogène à faibles émissions, passeront de moins de 1 % de l'énergie consommée aujourd'hui dans le transport maritime et l'aviation à près de 15 % en 2030 et 80 % en 2050.

L’organisation anticipe une augmentation de la consommation mondiale d'énergie primaire jusqu'en 2050, tirée par la croissance de la population mondiale, l'industrie manufacturière régionale et l'amélioration du niveau de vie.

Sept scénarios

Même si le nucléaire et les énergies renouvelables produiront davantage d'énergie dans le même temps, aucun des sept scénarios étudiés dans cette étude ne table sur une croissance suffisante pour réduire les émissions mondiales de CO2 liées à l'énergie. Du moins dans le cadre des lois et réglementations actuels (jusqu'en mars 2023).

Dans ces projections, les secteurs résidentiel et industriel demeurent les plus énergivores en combustibles liquides, la production chimique au premier rang mais aussi la mobilité. « Bien que les véhicules électriques occupent une plus grande part du parc mondial de véhicules, réduisant ainsi la consommation de pétrole du secteur des transports, le secteur industriel compense ces baisses en augmentant sa part de consommation de pétrole et d'autres combustibles liquides », indique l’étude.

Selon les trajectoires étudiées, la production d'électricité pourrait passer de 30 % à 76 % d'ici à 2050 sous l’effet de la croissance des technologies sans carbone sachant que les énergies renouvelables et le nucléaire pourraient en représenter jusqu'aux deux tiers.

La capacité de stockage par batterie augmente considérablement dans toutes les projections, passant de moins de 1 % de la capacité électrique mondiale en 2022 à une fourchette de 4 à 9 % d'ici à 2050.

Aucun nouveau projet pétrolier ou gazier nécessaire

Dans tous les cas, le Moyen-Orient et l'Amérique du Nord augmenteaient leur production et leurs exportations de gaz naturel pour répondre à la demande croissante, tandis que l'Europe occidentale et l'Asie restent des importatrices de gaz naturel. La demande énergétique de la Chine, de l'Inde, de l'Asie du Sud-Est et de l'Afrique incitera les principaux producteurs de pétrole brut et de gaz naturel à poursuivre leur production.

Dans l’actualisation du International Energy Outlook 2023, l'augmentation considérable des capacités en matière d'énergies propres, sous l'impulsion des pouvoirs publics, ferait baisser la demande de combustibles fossiles de 25 % d'ici à 2030, ce qui réduirait les émissions de 35 % par rapport au niveau record enregistré en 2022. En 2050, la demande de combustibles fossiles diminuerait de 80 %.

Pour ce faire, aucun nouveau projet pétrolier ou gazier en amont à long délai d'exécution ne serait nécessaire, ni de nouvelles ou extensions de mines de charbon. « Néanmoins, des investissements continus sont nécessaires dans certains actifs pétroliers et gaziers existants et dans des projets déjà approuvés. Il est essentiel d'échelonner l'augmentation des investissements dans les énergies propres et le déclin des investissements dans l'approvisionnement en combustibles fossiles si l'on veut éviter des pics de prix préjudiciables ou des pénuries d'approvisionnement ».

5 milliards de tonnes de CO2 par an à abattre

Dans le cas d'une action retardée, également examinée par le rapport, faute de développer les énergies propres assez rapidement d'ici à 2030, il faudra abattre près de 5 milliards de tonnes de CO2 par an au cours de la seconde moitié de ce siècle.

« Si la transition énergétique signifie que l'énergie propre remplace l'énergie fossile en termes absolus, alors la transition n'a pas vraiment commencé », détonne Rémi Eriksen, le PDG de DNV, la société de classification norvégienne, qui vient aussi de sortir un état des lieux daté. « Les émissions record dues aux énergies fossiles sont en passe d'augmenter encore l'année prochaine. Jusqu'à présent, les énergies renouvelables ont répondu à une partie, mais pas à la totalité, de la demande supplémentaire d'énergie dans le monde ».

À quelques semaines de l’ouverture du grand rendez-vous international sur le climat, sorti de l’anonymat grâce à la COP 21 et à l’accord historique de Paris, Sultan Al Jaber, président de la COP28 a été particulièrement explicite : « la diplomatie devrait se concentrer sur l'élimination progressive des émissions de pétrole et de gaz, et pas nécessairement sur la fin des combustibles fossiles eux-mêmes », a réagi le directeur de la compagnie pétrolière émiratie sur la question des « unabatted ».

Adeline Descamps

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