Alors que les prix de la ferraille sont particulièrement élevés, l’activité de recyclage manque de tonnages. Dans certains segments du transport maritime, les vieilles unités, pour lesquelles les propriétaires ne sont pas disposés à supporter le coût de la mise en cale, feraient pourtant d’excellents candidats.
Ces derniers jours, les courtiers n’en finissent plus de s’étonner d’une anomalie de marché dans le domaine du recyclage des navires. Le marché fonctionne au ralenti depuis le début de l’année en dépit des conditions favorables à l’envoi à la casse.
L’activité de démolition est traditionnellement décorrélée de celle du transport. Lorsque ce dernier est porté par une forte demande, le recyclage est à la baisse et vice versa si bien que la mise au rebut contribue à un équilibre naturel de l’offre et de la demande. « La décision de vendre un navire à la ferraille n'est pas seulement déterminée par le cycle du marché mais aussi, et dans une large mesure, par le prix de la ferraille proposé par rapport à celui du marché de l’occasion », note Intermodal dans une de ses dernières notes.
Actuellement, les chantiers manquent de tonnages alors que les prix de l’acier sont à un point haut. Ils ont augmenté de plus de 10 % depuis le début de l'année et de plus de 29 % par rapport à l'année dernière. Ils se situent actuellement dans la fourchette des 400 € la tonne de ferraille. Dans un rapport de courtier, GMS, le plus important acheteur mondial de navires au comptant, indique que « la trajectoire haussière concerne tous les chantiers du sous-continent indien », le Bangladesh, l’Inde et le Pakistan, « où plusieurs achats dans les 400 $ la tonne d’acier ont été observés. » Voire au-delà : un VLOC (very large ore carrier, grand transporteur de minerais) et un panamax ont été vendus pour 480 $ la tonne d’acier. Et ils devraient encore augmenter au cours du deuxième semestre de l'année en raison d'une demande accrue de reconstitution des stocks de ferraille.
Pas d’alternatives viables chez les VLCC
Pourtant, dans le secteur des pétroliers, les conditions seraient réunies pour envoyer les unités les moins efficientes, les plus énergivores, à la casse. Ces huit derniers mois, les tarifs des VLCC ont été égaux ou inférieurs au seuil de rentabilité et aux coûts d'exploitation depuis la fin janvier. Or, sur les 11 navires depuis le début de l’année mis à la casse, aucun VLCC. Pourtant, seuls les navires à la spécification écologique et équipés de scrubbers sont encore en mesure de couvrir les frais d'exploitation.
Pour autant, les propriétaires de pétroliers acceptent des voyages à perte plutôt que de condamner certains de leurs navires car ils anticipent un fort rebond du marché, une fois que les vaccins auront massivement été administrés et que le trafic aérien aura repris ces droits. « Il n'y a pas d'alternative viable à des navires trop jeunes pour être mis au rebut. Et l'immobilisation de pétroliers non éligibles à la casse est trop coûteuse », explique le courtier Cleaves.
Pour Clarkson Platou Hellas, la majorité des grands pétroliers, qui ne sont plus dans les clous des normes et spécifications, ont été acquis à des niveaux de prix bien au-delà de ce qu’ils en tireraient du recyclage actuel. « Il faut croire que les propriétaires de gros pétroliers ont encore suffisamment de réserves, grâce aux bénéfices exceptionnels de l'année dernière quand les coûts du stockage flottant sont montés en flèche, pour supporter des conditions de marché défavorables », suppute Intermodal.
Denrées rares dans les porte-conteneurs et les vraquiers
Dans le conteneur, segment du transport maritime actuellement porté par des taux de fret au plus haut alors que les capacités manquent, l’heure fatale n’a pas sonné. Mais là aussi, les courtiers s’interrogent car les coûts des grandes visites pour certaines de leurs les vieilles unités justifieraient de les troquer pour un bon prix. « Il faut croire que le marché de l’occasion est encore pour lucratif », indique l’un d’entre eux.
Quant aux vraquiers, ils sont également portés depuis le début de l’année par une belle dynamique. L’indicateur du vrac sec (Baltic Dry Index), qui fournit une évaluation du prix à payer pour transporter les principales matières premières sur 26 routes maritimes, a franchi les 2 000 point, à 2 017, le 16 mars. Soit son plus haut niveau depuis cinq mois.
Le tonnage de vrac sec est une « denrée » qu’il faut saisir rapidement, les armateurs choisissant d'augmenter leurs capacités, en prévision d'une amélioration des fondamentaux du marché. « La semaine dernière, nous avons noté un appétit pour les capesize, mais étant donné le coût élevé et le manque de flexibilité des unités de cette taille, nous ne nous attendons pas à ce que l'activité se maintienne à ces niveaux », indique Allied Shipbroking dans son dernier rapport hebdomadaire. Malgré ces conditions encourageantes, la hausse des prix des nouvelles constructions devrait freiner un peu l'intérêt pour les commandes.
Marché S&P hyperactif
En revanche, le marché S&P est actif avec une préférence des acheteurs, selon Banchero Costa, pour des unités d’environ 7 à 13 ans, livrables rapidement « pour essayer de générer un profit immédiat et un amortissement significatif, au-delà de la valeur de la ferraille, pendant la première année. Au cours de la semaine dernière, quatre capesize (âge moyen de 8 ans), trois kamsarmax (âge moyen de 11 ans), quatre supramax/ultramax (âge moyen de 8 ans) et six handysize (âge moyen de 10 ans) ont ainsi été vendus.
« À ce stade, des volumes de transaction fermes, un appétit d'achat relativement excessif et une pression à la hausse sur les prix des actifs sont les principales caractéristiques observées sur le marché, indique pour sa part Allied Shipbroking. En outre, si l'on considère le sentiment haussier général et les rendements relativement bons, principalement pour les petites tailles, on peut s'attendre à ce que la tendance de ces derniers temps se maintienne à court terme. »
Alors que les prix de la ferraille devraient continuer à augmenter, « il reste à voir comment tous les facteurs vont impacter dans les mois à venir l'activité de démolition dans les différents segments du transport maritime, les attentes concernant l'activité de démolition des pétroliers étant néanmoins plus élevées », conclue Intermodal.
Adeline Descamps