Alors que l'UE prépare son 11e paquet de sanctions, la Commission européenne pourrait prendre des mesures contre les opérateurs de navires qui cherchent à contourner les sanctions.
Dans le viseur de Bruxelles, les opérations de transfert de pétrole de navire à navire (STS) et la désactivation des AIS (système d'identification automatique) pour dissimuler des opérations illicites. Un nouveau casse-tête juridique en perspective quant à la mise en œuvre d’un tel mécanisme.
Flotte à la propriété opaque
La commission européenne vise en réalité ce qui est désormais désigné sous le terme de « flotte fantôme russe », expression sous laquelle on classe des navires à la propriété opaque et déployés dans le cadre de trafics sanctionnés.
Le phénomène a pris de l’ampleur depuis l'entrée en vigueur du plafonnement des prix du pétrole brut et des produits pétroliers édicté par le G7 les 5 décembre 2022 (brut) et 5 février 2023 (produits pétroliers).
La mesure consiste à appliquer une décote au baril de brut par rapport au prix du marché tout en le maintenant au-dessus du prix de production pour préserver la circulation du pétrole. Finalité recherchée : limiter les ressources que la Russie tire de la vente d'hydrocarbures.
Ainsi le groupe des sept économies mondiales les plus avancées – à savoir l'Allemagne, le Canada, les États-Unis, la France, l'Italie, le Japon, le Royaume-Uni –, ont fixé aux exportations russes une limite de 60 $ pour le baril de brut, de 100 $ pour celui de diesel ou de kérosène et de 45 $ pour le fuel et le naphta.
La flotte russe n’ayant pas la capacité d’assurer les acheminements, le pays de Vladimir Poutine, parmi les premiers producteurs de pétrole et de diesel, doit y pallier par ses propres moyens pour maintenir ses ressources capitales à son économie.
Une flotte de 443 navires
Le nombre de navires composant la flotte fantôme russe fait l'objet de nombreuses estimations, allant jusqu’à 600 navires. Selon S&P Global, 443 navires-citernes (supérieur à 10 000 tpl) – 316 transporteurs de brut et 127 navires de transport de produits raffinés –, opèrent actuellement de façon clandestine.
Ce qui est largement suffisant. Selon des estimations convergentes, la Russie aurait besoin de 240 navires pour maintenir à leur niveau les exportations de pétrole brut par voie maritime.
Mais le nombre de navires présentant un risque au regard des sanctions russes est bien supérieur, estimé à 1 900, dont la plupart de propriété grecque et hissant différents pavillons, des Îles Marshall au Libéria en passant par le Panama.
Parmi eux, de nouveaux entrants : 35 nouveaux navires ont visité les ports pétroliers russes pour la première fois entre le 5 décembre 2022 et le 16 février 2023.
Des hotspot qui se diversifient
Les transferts sont en nette augmentation en mer d'Alboran, nouvelle plaque tournante pour la contrebande de pétrole russe à la jonction de la Méditerranée et de l’océan Atlantique, reliés par le Détroit de Gibraltar. Plus précisément à Ceuta, une ville espagnole autonome située sur la côte nord de l'Afrique. La zone est particulièrement bien adaptée au transbordement des petits pétroliers, qui entrent dans les ports russes de la Baltique, vers les VLCC qui assurent le long-courrier vers l'Asie.
Ainsi Ceuta a été le théâtre de 18 opérations en moyenne entre octobre 2022 et janvier 2023. Mais d’autres hubs ont été identifiés, en Grèce et en Corée du Sud.
Le diesel russe semble trouver une nouvelle terre d'accueil en Afrique du Nord. Pour les deux premiers mois de 2023, les volumes de produits raffinés russes livrées à la Tunisie ont déjà dépassé ceux de 2022.
Interdiction par l'UE ?
« Nous proposons d'interdire les entités fantômes de Russie et de pays tiers qui contournent intentionnellement nos sanctions », a expliqué Ursula von der Leyen, la président de la Commission européenne lors d'un discours prononcé à Kiev aux côtés du président ukrainien Volodymyr Zelenskyy. Sans précisions à ce stade.
Des opérations aux dommages environnementaux
Les risques d’accident que suscitent ces opérations réalisées en haute mer par des navires, dont on ignore tout des polices d’assurance, inquiètent particulièrement les pays européens.
L’embargo maritime sur les importations de brut russe et le plafonnement de son prix frappent aussi toutes les prestations qui accompagnent le navire. Il est ainsi interdit aux entreprises de la coalition occidentale de fournir des services de financement, de courtage et d'assurance pour expédier du pétrole russe si le prix du brut est supérieur au plafond de 60 $ le baril.
Pour y pallier, les exploitants de pétroliers russes s’appuient sur le nouveau fonds d'assurance soutenu par le Kremlin. Or, en cas d'accident majeur en mer, les chances d'obtenir une indemnisation risquent d’être problématiques.
L’explosion le 1er mai de l'aframax Pablo, qui appartient à la flotte sombre, a exacerbé ce sentiment.
Une décision attendue d'ici le 19 mai
Plusieurs États, dont l'Espagne, ont fait pression sur l'Organisation maritime internationale (OMI) en avril pour qu'elle se penche sur la question compte tenu des risques de déversement en mer que les transferts portent.
Les décisions pourraient être reportées à la prochaine réunion du G7 au Japon dans la semaine du 19 mai. Les mesures devront être, quoi qu'il en soit, approuvées par tous les États membres de l'UE pour être adoptées. Un processus loin d'être garanti.
Adeline Descamps
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