Le transporteur sud-coréen rejoindra en tant que membre à part entière le consortium formé par le transporteur allemand Hapag Lloyd, le réseau né de la fusion des trois principaux armateurs japonais One, et le taiwanais Yang Ming, après avoir « convolé » pendant trois ans avec les n°1 et 2 mondiaux, Maersk et MSC, au sein de 2M.
Finalement, Hyundai Merchant Marine (HMM) déjoue toutes les spéculations. On le savait certes en froid avec 2M. On lui prêtait des intentions d’intérêts à l’égard de Ocean Alliance. C’est finalement THE Alliance et les 5e, 6e, et 8e transporteurs mondiaux –Hapag-Lloyd, One et Yang Ming – qu’il rejoindra à l’issue de l’expiration de son contrat le 1er avril 2020. L’accord a été scellé le 19 juin à Taipei (cf. photos).
Le Sud-coréen met dans la corbeille 71 navires et une capacité conteneurisée de 425 550 EVP (à horizon 2021, de plus de 820 000 EVP une fois les 20 navires commandés). Ensemble, ils totaliseront 18,6 % de la capacité conteneurisée mondiale, une force navale de 618 navires (81 en commandes, 608 000 EVP qui doivent arriver sur le marché prochainement) contre 32,9 % de parts de marché pour les deux leaders mondiaux du transport maritime de conteneurs, Maersk et MSC, bientôt ses anciens partenaires.
Un long cheminement
À peine nommé en avril dernier que le nouveau PDG de la compagnie maritime sud-coréenne se rendait au Danemark et en Suisse, où sont basés ses partenaires de l'alliance 2M. Jae-hoon Bae semblait alors prôner une prolongation de l'accord stratégique qui le lie depuis le 1er avril 2017 jusqu’à évoquer même la possibilité de devenir membre à part entière après 2020, rapportait le Wall Street Journal. L'adhésion à une alliance avec d'importantes sociétés de transport maritime avait été l'une des conditions à la restructuration de la dette de « Hyundai » exigée par ses créanciers en 2016, dont la banque coréenne (publique) de développement (Korea development bank). Le principal actionnaire et premier créancier y voyait là un des moyens de la relance.
Or, en se limitant à des partages de slots et affrètements sur les liaisons Est-Ouest là où la capacité excédentaire peut être partagée ou échangée, l’accord de coopération de trois ans aura toujours plus desservi que servi le transporteur coréen. D’autant qu’il n’était pas non plus partenaire exclusif, Maersk et MSC ayant signé en juillet 2018 un autre accord avec Zim pour échanger des espaces sur cinq boucles du trade Asie-côte Est des États-Unis. Les transporteurs ont élargi cette coopération en janvier 2019 à d'autres services de la côte Ouest américaine-Asie et sur les routes Asie-Méditerranée. La compagnie israélienne devrait d'ailleurs profiter du retrait de HMM. Il n'est pas exclu désormais une extension de la coopération avec de nouveaux services en commun, notamment sur des lignes intra-asiatiques.
Jouer aux armes égales avec les plus grands oblige...
Des rumeurs ont fait état pendant de longs mois de la volonté d’HMM de ne pas renouveler son accord de partenariat avec Maersk et MSC et on lui prêtait alors l’intention de « passer » chez Ocean Alliance. En cause ? Les termes de l’accord qui l’empêcherait d’accroître sa flotte et les « rififis » avec Maersk qui se serait plaint de la commande du transporteur coréen.
Dans la foulée de l’annonce du plan de relance de la marine marchande en Corée (706 M$ alloués à Hyundai Merchant Marine, par la Korea Development Bank et Korea Ocean Business Corp., l’entité créée en juillet 2018 pour piloter cette relance), HMM a en effet officialisé une méga commande de 12 porte-conteneurs de 20 000 EVP, attendus pour le 2e trimestre de 2020, et de 8 de 14 000 EVP livrables un an plus tard. La compagnie estimait alors vital d’atteindre une capacité de 1 MEVP en 2020 (au moment où se solderait son partenariat !), sans doute pour améliorer son pouvoir de négociation auprès des deux géants : jouer à armes égales avec de grands transporteurs maritimes au sein d’une alliance suppose notamment d’être en mesure d’offrir de la capacité à « bon marché ». Avec ces achats subventionnés par l'État coréen, HMM aurait eu des slots à revendre sur des navires à un prix relativement bas à ses partenaires.
Gains pour les uns et pertes pour les autres ou vice-versa ?
Il est difficile d’évaluer exactement la perte de valeur pour l’alliance 2M, si ce n’est un affaiblissement de la position des deux leaders mondiaux dans le Pacifique, qui devront en outre restituer six navires que HMM leur affrétait. Il est en revanche plus aisé d’estimer le gain pour ses nouveaux partenaires. Sa première qualité reste la force d’appoint que vont représenter les nouvelles unités (dont certaines au GNL) sur la route Asie-Europe du Nord.
Sans préjuger des chartes parties entre les nouveaux partenaires, les nouvelles capacités apportées par HMM devraient être déployées, croit savoir Alphaliner, sur la ligne Asie - Europe du Nord à partir du deuxième trimestre 2020 (12 navires de 23 000 EVP, parmi les nouvelles unités donc), sur la ligne Asie - Méditerranée ou Asie - côte Est américaine (10 de 13 000 EVP, trois sont affrétés actuellement à 2M), sur la route Asie-Pacifique Sud-Ouest (6 de 10 000 EVP, actuellement tous loués à 2M) et sur la route Asie-Pacifique Nord-Ouest (8 de 8 600 EVP). Soit au total 34 navires d'une capacité totale de 519 000 EVP en 2020.
À noter que depuis quelques mois, HMM fait le ménage dans ses lignes pour concentrer ses forces sur les lignes Asie-Europe et Asie-Côte Ouest des États-Unis. Il a abandonné, il y a un an, tout service transatlantique et ses négociations avec Zim, en vue d’une éventuelle coopération sur les routes Europe-États-Unis, ont avorté. Les analystes estime à 16 (sur 47) le nombre de ses lignes déficitaires. Ce serait l’une des solutions qu’aurait proposée la nouvelle direction de l’entreprise à ses créanciers pour renouer avec les profits alors qu’elle accumule les pertes depuis 15 trimestres, en dépit des chèques en blanc signés par l’État coréen.
Les analystes ne croient pas non plus à une amélioration de ses résultats avant l’entrée en service de ses nouveaux porte-conteneurs géants courant 2020. Les résultats financiers provisoires du premier trimestre du Coréen laissent peu d’espoir pour 2019 mais ils sont dans l’ensemble meilleurs, relevait Dynamar. Alors que le chiffre d’affaires a augmenté de 18 % pour atteindre 1,15 Md$ à l'issue du 1er trimestre grâce à une augmentation des volumes transportés (+ 11 %) à 1,09 MEVP, le résultat d’exploitation était toujours à la peine (88,8 M$).
Fin 2018, l’armateur enregistrait une progression de ses volumes et valeurs transportés (4,46 MEVP et 4,65 Md$). Malgré cela, sa perte d’exploitation s’est aggravée, de 362,5 à 513,4 M$ entre 2017 et 2018. Sa perte nette s’est néanmoins réduite, de 1,05 Md$ à 719,6 M$, et son ratio d’endettement, de 301,6 % à 282,4 %.
Amélioration de la compétitivité de THE Alliance vis-à-vis des deux autres alliances ?
Les partenaires y croient et ils l'ont dit lors de l'annonce. « HMM convient parfaitement à THE Alliance, car elle fournira un certain nombre de nouveaux navires modernes qui nous aideront à fournir une meilleure qualité, à être plus efficaces et qui nous aideront également à réduire davantage nos émissions », a déclaré Rolf Habben Jansen, CEO de Hapag-Lloyd. « Son adhésion nous permettra d'offrir des services améliorés à nos clients grâce à une couverture portuaire plus étendue, à l'élargissement de notre offre de produits, à une plus grande fréquence de navigation et à un meilleur équilibre de nos flux de marchandises », a estimé pour sa part Jeremy Nixon, CEO de ONE.
La suite de l'histoire reste cependant à écrire : Bruxelles doit se prononcer prochainement sur le renouvellement de l’exemption de groupe aux règles de la concurrence dont bénéficient jusqu'en 2020 les armateurs réunis en consortiums ou alliances. S'il se dit qu'un renouvellement serait accordé mais modifié pour apporter plus de clarté et de sécurité juridique pour tout le monde, il y a toutefois toujours une forte probabilité pour qu’elle soit supprimée et remplacée par des guidelines encadrant strictement les alliances...
Adeline Descamps