L’incroyable résistance des taux de fret maritime à long terme, à peine touchés par l'impact de la pandémie depuis le début de l’année, et l’envolée record des taux spot depuis deux mois, donnent du fil à retordre aux analystes. Situation surréaliste.
La situation est surréaliste au regard du contexte économique et géopolitique mais à défaut d’être réaliste, elle est bien réelle. Depuis août, le JMM relaie la montée en puissance des taux de fret spot qui explosent littéralement, les échanges entre l'Extrême-Orient et les États-Unis étant plus chers que jamais.
Les taux annuels, eux, n'ont diminué que de 2,2 % et de 2 % depuis le début de l’année. Le dernier rapport XSI® Public Indices de Xeneta, qui s'appuie sur des données recueillies auprès des principaux chargeurs*, montre une baisse de seulement 0,1 % en septembre, après un repli plus prononcé de 1,8 % en août.
La semaine dernière, le consultant maritime britannique Drewry, dans une de ses notes, donnait l’alerte : « Parce que les taux au comptant ont tendance à être des indicateurs avancés, les chargeurs doivent s’attendre à des taux contractuels plus élevés sur la plupart des routes en 2021. »
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Incroyable résistance des taux à long terme
Xeneta apporte un peu plus de crédit à cette thèse. Les taux de fret maritime « se sont largement stabilisés en septembre », ce qui est déjà en soi un signe de résistance au virus dévastateur mais la société d’informations commerciales constate déjà des augmentations substantielles des taux contractuels pour le quatrième trimestre 2020 et s'attend à d'autres hausses pour le premier trimestre 2021. Avec un bémol toutefois : le rétablissement du tonnage sur les principales routes dans un contexte économique peu favorable introduit une plus grande dose d’incertitude pour les taux à moyen et long terme. « De nombreux acteurs du secteur continuent d'être surpris par l'apparente résistance des taux à long terme », relève Patrik Berglund, PDG de Xeneta.
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Acheter sur le marché au comptant, un risque
Le dernier rapport XSI® Public Indices reflète de prime abord l’habile gestion des capacités par les transporteurs pour ajuster l’offre au plus près de la demande déprimée. Selon la société norvégienne, les transporteurs sont en bonne position pour réaliser de solides bénéfices s'ils parviennent à maintenir un « marché vendeur » sur une période prolongée. Une échéance importante se profile : les chargeurs américains et européens devraient lancer des appels d'offres sur le marché contractuel pour des volumes importants dans les semaines à venir. Si les transporteurs peuvent maintenir les tarifs actuels, la prochaine saison d'appels d'offres – du quatrième trimestre 2020 au premier trimestre 2021 – pourra être initialement bloquée à des niveaux de tarifs très élevés.
« Le report des appels d'offres serait une alternative très intéressante pour les expéditeurs, mais il sera difficile d'obtenir l'accord des transporteurs », reconnaît Patrik Berglund. Acheter sur le marché au comptant est un risque, explique-t-il, mais laisser passer le gros temps avant de revenir à un marché contractuel plus favorable a son intérêt...
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Baisses des imports et exports sur l’ensemble des marchés
L’analyse des marchés par régions de la société fait apparaître de légères baisses des importations et des exportations sur l'ensemble des marchés, en particulier en Europe et en Extrême-Orient. L'indice XSI met également en évidence des reculs sur les marchés américains.
« Le trafic transpacifique vers l'Est est à un niveau historique et c'est le pire moment pour les expéditeurs qui cherchent à conclure de nouveaux accords tarifaires à long terme au quatrième et au premier trimestre. Si les taux restent élevés, l'impact se fera sentir dans le cycle principal d'appels d'offres pour cette période, à savoir les premier et deuxième trimestres. Nous voyons déjà des taux à long terme avec des augmentations de 30 % sur la plate-forme Xeneta ». Sur cette route, les transporteurs ont tout intérêt à pousser les chargeurs contractuels sur le marché spot, car il leur offre un bien meilleur rendement, commente Xeneta.
De même, sur les marchés Asie - Europe, les analystes constatent déjà des hausses de 30 %. « Nous nous attendons à d'autres augmentations, car de plus en plus de chargeurs européens fixent leurs tarifs à long terme au cours du prochain trimestre. »
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Aucune certitude à l’horizon
Sur la côte ouest de l'Atlantique et sur la côte est de l'Europe du Nord et de l'Amérique du Sud, la tendance est à la baisse depuis le début de l'année tant pour le marché spot que contractuel. Mais « le niveau de tarif reste sain pour les transporteurs et acceptable pour les expéditeurs ». Le marché à court terme atteindrait également un plateau sur les principaux indices de référence, les taux à long terme augmentant et couvrant une partie de l'écart entre le marché au comptant et le marché contractuel.
« Les expéditeurs doivent être à l'affût des réductions de taux à court terme afin de comprendre où se dirige le marché à long terme » préconise Patrik Berglund. Mais in fine, explique-t-il, « le marché – le monde entier – reste en mutation, de sorte qu'il n'y a aucune certitude à l'horizon. Le retour des tonnages aura un impact sur la dynamique de l'offre et de la demande. Les transporteurs individuels ajustent également leurs propres organisations avec, par exemple, la rationalisation de Maersk (suppression progressive des marques Damco et Safmarine, NDLR), tandis que PIL se retire de la première division (après avoir cédé ses actifs, PIL a été ejecté du TOP 10 des transporteurs de la ligne régulière, laissant sa place à ZIM, NLDR).
Reste à savoir comment cette gamme complexe de facteurs internes et externes aura un impact sur les tarifs à l'avenir, signifie-t-il. Les chargeurs apprécieront.
Adeline Descamps
*parmi lesquels, ABB, Electrolux, Continental, Unilever, Lenovo, Nestle, L'Oréal et Thyssenkrupp