Les signes menaçant la bonne fortune du secteur maritime ne manquent pas mais les acteurs de la chaîne d’approvisionnement mondial semblent bien partis pour une nouvelle année record. Ils revoient tour à tour à la hausse leurs bénéfices alors que les volumes ont plongé au premier trimestre.
Pourtant, la conjoncture est porteuse de moult inquiétudes et incertitudes : le confinement en Chine qui gagne toujours plus de villes (à commencer par le premier port mondial) et ralentit l’activité manufacturière mondiale, la volatilité des cours de l’énergie et la flambée des prix de matières premières qui grèvent les comptes d’exploitation, l’inflation générale qui plombe la demande de consommation et l’enlisement dans une guerre qui promet d’être de longue durée aux portes de l’Europe. L’ensemble a le potentiel pour jouer les coupe-feux dans la demande de conteneurs.
Taux de fret en hausse de 71 et 80 % pour Maersk et Hapag-Lloyd
Après Maersk, qui vient de revoir à la hausse ses prévisions pour l’année 2022, de 6 Md$ son Ebitda (désormais attendu à 30 Md$) et de 5 Md$ son Ebit (24 Md$), Hapag-Lloyd relève également ses prévisions de 2,5 Md$ concernant son bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements (Ebitda, earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization) que l’armateur allemand projette désormais entre 14,5 et 16,5 Md$, tandis que l'Ebit (Earnings before interest and taxes) devrait atteindre 12,5 à 14,5 Md$.
D’après ses premières estimations pour le premier trimestre, l’Ebitda devrait s’élever à 5,3 Md$ et l’Ebit à 4,8 Md$ (versus 1,9 et 1,5 Md$ l’an dernier à la même période). Au cours du premier trimestre, Hapag-Lloyd a transporté autour de 3 MEVP, soit peu ou prou le volume enregistré à la même période de l’an dernier, mais les taux de fret ont bondi de 80 % par rapport à l'année précédente. L’armateur danois a fait valoir pour sa part que ses volumes avaient baissé de 7 % (2,99 MEVP) mais ses taux de fret ont été propulsés (+ 71 %). Le cours de l'action de Hapag-Lloyd a augmenté de 7,8 % à la suite de l’annonce en fin de semaine.
Un trimestre record pour Cosco
Cosco a également démarré l'année en trombe avec le meilleur résultat jamais enregistré pour un premier trimestre. Le transporteur chinois, qui a glissé de la troisième à la quatrième position (derrière CMA CGM) dans le classement mondial des transporteurs pendant la pandémie, devrait afficher un bénéfice avant impôts et intérêts de 39,3 milliards de RMB (6,17 Md$) pour les trois premiers mois de 2022. Le résultat net du groupe est attendu à 27,6 milliards de RMB (4,1 Md$). Ces deux résultats sont en légère hausse par rapport au quatrième trimestre 2021, mais en baisse par rapport au troisième trimestre 2021.
Taux en flèche mais volumes en chute pour Kuehne+Nagel
Maersk, Hapag-Lloyd et Cosco ne sont pas les seuls à afficher de solides performances. Les résultats du premier trimestre 2022 publiés par Kuehne+Nagel présentent une trajectoire similaire et sont portés par la même équation : taux en flèche mais volumes en chute.
L'Ebitda du commissionnaire de transport international s'est envolé de 114 % par rapport à l'année précédente, à 1,3 milliard de francs suisses (1,27 Md€), mais stable par rapport au quatrième trimestre 2021. Les volumes maritimes ont totalisé 1,15 MEVP, en baisse de 3 % par rapport au quatrième trimestre et de 8,5 % en glissement annuel. Le revenu par EVP a atteint les 966 $ (+ 111 % sur une base annuelle).
Le résultat net explose (+162 %) et ressort à 810 M€ et le chiffre d'affaires, à 9,8 Md€ (+ 68 % sur un an). Ses revenus se sont accrus de 103 % dans le transport maritime et de 91 % dans le fret aérien.
Mais « la situation déjà tendue dans les chaînes d'approvisionnement s'est encore détériorée », a pondéré Detlef Trefzger, son directeur général, qui a relevé au cours de la conférence avec les analystes un changement de comportement des consommateurs notable, se traduisant dans les flux des marchandises par « moins de biens de consommation et davantage d’équipements pour les entreprises (notamment pour des prestataires de services : restauration, coiffure…) », a-t-il signifié.
DSV aussi revoit à la hausse
Le premier trimestre s’est aussi bien passé pour son homologue danois DSV si bien que la société a revu à la hausse ses prévisions pour l'ensemble de l'année en ce qui concerne le résultat d'exploitation (Ebitda), qui passe de 18 à 20 milliards de couronnes danoises (2,4 à 2,7 Md€), selon une déclaration financière.
Cet ajustement à la hausse est basé sur une augmentation du bénéfice d'exploitation (Ebit) qui a plus que doublé au premier trimestre (3,06 à 6,5 milliards de DKK sur une base annuelle, soit 873 M€). Le chiffre d'affaires total de DSV a également été multiplié par eux par rapport à il y a un an, à 8,2 Md€.
Le chiffre d’affaires du commissionnaire, qui revendique la troisième place derrière les groupes DHL et Kuehne+Nagel, s’était élevé à plus de 23,7 Md€ en 2021 avec 1,5 Mt de fret aérien (+ 18,7 %) et 2,5 MEVP (+ 13,1 %).
Des bénéfices attendus à 300 Md$
Selon les prévisions de Drewry, les transporteurs maritimes (toutes activités confondues) devraient réaliser 300 Md$ de bénéfices en 2022 (avant intérêts et impôts, Ebit). Cela représenterait alors une augmentation de 40 % par rapport aux 214 Md$ de l'année dernière selon ses propres estimations. La société de conseil britannique s'attend à ce que les taux de fret moyens pour l'ensemble de l'année, y compris les taux spot et contractuels, soient plus élevés de 39 à 40 % par rapport à l'année précédente (ils avaient augmenté de 110 % en 2021, toujours selon ses estimations).
À vrai dire, le consultant n’a pas revu à baisse ses précédentes prévisions en dépit des récents événements, le confinement en Chine et la guerre Russie-Ukraine. Toutefois, il a rétrogradé le taux de croissance de la demande de conteneurs pour l’année 2022, passée de 4,6 à 4,1 %.
Pourtant, les rumeurs de marché se font persistantes. Un point de basculement aurait été atteint : les taux contractuels seraient supérieurs à ceux pratiqués sur le marché au comptant. Sea-Intelligence en a fait part à plusieurs reprises. Si cette tendance se confirmait, cela augure de sérieuses tractations sur la revoyure de certains contrats pour ajuster les tarifs et certaines conditions. D’autant plus que les taux de fret sont principalement déterminés par le manque de capacité à l'heure actuelle, et non par les volumes de fret, a indiqué la société danoise.
En l’occurrence, nul ne peut prédire la façon dont les volumes de fret vont évoluer cette année. Et c’est bien la seule chose qui puisse être affirmée avec certitude.
Adeline Descamps