Fusion de grande envergure dans la construction navale chinoise

Deux des plus grands constructeurs chinois de navires ont officialisé leur fusion. Une opération vivement recommandée par l’exécutif chinois qui cherche à accélérer le développement de ses chantiers navals. Les investissements programmés dans onze d'entre eux devraient augmenter leur capacité de 80 % d'ici 2027. Une suprématie qui inquiète en Occident.

Début septembre, les deux constructeurs navals publics chinois, cotés en bourse, China State Shipbuilding Corp. (CSSC) Holdings et China Shipbuilding Industry Corp. (CSIC), avaient annoncé, dans des documents distincts déposés à la bourse de Shanghai, qu'ils avaient signé protocole d’accord en vue de leur fusion. Une opération incitée par l’exécutif chinois qui cherche à rationaliser les chantiers du pays de façon à leur donner une puissance commerciale pour prendre part au boom de construction.

L’opération prévoit l'absorption de CSIC par le géant du secteur au niveau mondial, CSSC, via un échange d'actions, impliquant le retrait de la première de la cote. Les marchés avaient réagi négativement à l’annonce avant que les négociations des titres soient suspendues le temps de finaliser les actions des deux entreprises. Sur la base des derniers cours des actions, l’ensemble représenterait une capitalisation boursière de plus de 38 Md$ (22 Md$ pour CSSC Holdings et 16 Md$ pour CSIC).

CSSC a déclaré un chiffre d'affaires de 36,01 milliards de yuans (5,1 Md$) l’an dernier (+ 18 % par rapport à l'année précédente) et un résultat net qui a presque triplé pour atteindre 1,41 milliard de yuans (201 M$). De son côté, CSIC a vu ses revenus augmenter de 31 % pour atteindre 3,15 Md$ et a publié des bénéfices après impôts de 76 M$.

Une longue histoire sinueuse

Les deux entreprises appartiennent au même conglomérat d'État (CSSC), qui ne comprend pas moins de 100 entreprises sous statut public, placées sous le contrôle de la State-owned Assets Supervision and Administration Commission (SASAC).

Les origines du groupe CSSC remontent à 1950 mais c'est sous Deng Xiaoping, à la fin des années 1970, qu'il a été remodelé en une seule société publique de construction navale après intégration des entités plus petites. Dans le cadre d'une vague de réforme des entreprises d'État en 1999, il sera scindé en deux sociétés en fonction de l’implantation de leurs chantiers navals et de leurs installations, soit au nord et au sud du fleuve Yangtze. Les deux entités, communément appelées « North Ship » et « South Ship », ont finalement fusionné en 2019 pour former l'actuelle CSSC. Les deux actuelles entreprises concernées par la fusion sont des héritières des « North Ship » et « South Ship » mais elles ont survécu en tant qu'entreprises distinctes bien que leurs activités se chevauchent. 

Un cinquième du carnet de commandes mondial actuel

La construction de porte-conteneurs est limitée aux sites CSSC de Waigaoqiao, Hudong-Zhonghua, Jiangnan et Guangzhou Wenchong, ainsi qu'au chantiers de Dalian Shipbuilding Industry de CSIC. Le carnet de commandes pour les seuls porte-conteneurs de l'ensemble s’établit à 1,5 MEVP, soit environ un cinquième du carnet de commandes mondial actuel. Les groupes contrôlent également deux des principales entreprises chinoises de conception de navires, les très connus Shanghai Merchant Ship Design & Research Institute (SDARI) et Marine Design & Research Institute of China (MARIC).

Selon BRS, la part de marché de la Chine a atteint 55 % des livraisons mondiales de navires au cours du premier semestre de cette année, 74,7 % des commandes et 58,9 % carnet de commandes.

Inquiétudes croissantes en Occident

La suprématie de la Chine en matière de construction automobile et navale préoccupe de plus en plus les États du bloc occidental qui ont pourtant laissé leur industrie péricliter. Washington et Bruxelles ont respectivement lancé en avril une enquête sur les « pratiques déloyales » de la Chine dans la construction navale, le transport maritime et la logistique.

Le Canada vient de rejoindre les États-Unis et l’Union européenne en imposant des droits de douane sur les véhicules électriques fabriqués en Chine. Une mesure que l'Association canadienne des industries de la marine et de la construction navale souhaiterait voir étendue aux navires construits en Chine, une « menace stratégique et éthique » encore plus grande, soutient un de ses représentants. « L'industrie chinoise de la construction navale fonctionne selon la doctrine de la fusion entre le civil et le militaire, selon laquelle les exportations de navires marchands sont subventionnées pour renforcer les capacités militaires du pays ».

L’organisation demande l'imposition d'une surtaxe de 100 % sur tous les navires construits en Chine et importés au Canada, ainsi que l'interdiction formelle pour toute entité gouvernementale d'acquérir ou de louer des navires construits en Chine. En retour, la Chine a annoncé le 10 juillet l'ouverture d'une enquête visant l'Union européenne sur ses pratiques en matière d'obstacles au commerce et à l'investissement pour des entreprises chinoises.

Entre 2015 et 2020, la Chine a dépassé les États-Unis en nombre de navires de guerre, a en effet relevé l’Institut coréen pour l'économie industrielle et le commerce (KIET) dans un rapport publié en mai. Une performance résultant de trois décennies passées à renouveler la flotte de sa marine nationale en soutien à son industrie navale. Et ce, selon une approche « panoramique » associant transport maritime, financement des navires et défense nationale autour de son industrie de la construction navale.

« En raison d'écarts de prix substantiels de 30 à 40 %, combinés à des incitations financières avantageuses – notamment offertes par les banques chinoises –, les armateurs européens font massivement appel aux constructeurs navals asiatiques », peut-on lire dans un communiqué de SEA Europe, l'association représentant l'industrie européenne des technologies maritimes, qui presse les  décideurs politiques européens à mettre en œuvre une stratégie industrielle maritime européenne globale.

En expansion

La capacité de construction navale dans les trois grands pays constructeurs – la Chine, la Corée du Sud et le Japon –, a augmenté de plus de 20 % en 2023, selon les estimations des courtiers maritimes. Dans le même temps, le nombre de chantiers navals en activité dans le monde a diminué de 55 % par rapport au pic atteint en 2007. Les investissements programmés dans onze chantiers devraient augmenter leur capacité de 80 % d'ici 2027.

Selon la société de courtage Xclusiv, Nantong Xiangyu Shipbuilding & Offshore Engineering a récemment acquis un chantier naval en faillite, Jiangsu Hongqiang Ship Heavy Industry, qui devrait accroître sa capacité de production d'environ 60 %. New Times Shipbuilding, autre acteur majeur de l'industrie chinoise, a engagé 690 M$ pour accroître sa production et développer un navire intelligent de navires à énergie nouvelle. Ce projet prévoit l'installation d'une méga cale sèche de 700 m de long en mesure de construire deux très gros transporteurs de brut (VLCC) côte à côte.

Hengli Heavy prévoit d'introduire sa société de construction navale à la Bourse de Hong Kong et a programmé 1,5 Md$ pour doubler sa capacité annuelle. Yangzijiang Shipbuilding doit acquérir les terrains où implanter la construction de navires à énergie propre, y compris le GNL. L'entreprise, qui détient un carnet de commandes d'une valeur record de 16,1 Md$, se concentre sur la construction des navires à double carburant au méthanol, les transporteurs de GPL et des VLEC (éthaniers)

Risque de surcapacité ?

Pour autant, Xclusiv ne redoute pas le risque de surpacité. Selon lui, le ratio entre le carnet de commandes et la flotte en exploitation est bien orienté pour toutes les catégories de navires. Il s'établit à 9,8 % pour les vraquiers, à 12,6 % pour les pétroliers, à 22,3 % pour les porte-conteneurs et à 46,7 % pour les transporteurs de gaz. « Cela indique que le niveau des commandes de nouvelles constructions est conforme aux besoins de renouvellement et de croissance de la flotte ».

Le courtier estime par ailleurs que la part de navires anciens (en tpl) dans le total de la flotte est de plus de 20 % pour les vraquiers, de 34 % pour les pétroliers, plus de 30 % pour les porte-conteneurs (en EVP), ce qui suggère aussi « un besoin important de renouvellement ». Enfin, il est attendu que les réglementations environnementales plus strictes poussent les navires vers la retraite. Le démantèlement tarde néanmoins à se manifester malgré des prix à la ferraille incitatifs ces derniers mois.

Adeline Descamps

 

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