François Lambert, ENSM : « Le capitaine au long cours ne sera pas forcément la référence au 21e siècle »

François Lambert, ENSM

François Lambert, directeur de l'ENSM depuis août 2022., doit redonner de la perspective à une école qui a connu plusieurs crises ces dernières années.

Crédit photo ©Nautilus
Comment anticiper des formations sur des technologies dont on ne sait pas encore trop comment elles seront exploitées ? Est-ce que les évolutions en cours dans le transport maritime nécessitent de revoir les cursus ? Pourquoi les futurs navigants sont plus sensibles à l’enjeu écologique ? Entretien avec François Lambert, directeur général de l'École Nationale Supérieure Maritime.      

L’ENSM peut-elle garantir dès à présent que l’officier de demain ne se retrouvera pas désemparé devant un moteur brûlant un carburant qui ne soit pas du fuel ?

François Lambert : Les formations de l’ENSM ne sont pas hors sol par rapport aux mutations en cours dans la propulsion. On débat des carburants alternatifs à l’école depuis que le sujet des gaz à effet de serre est sur la table de l’OMI. On ne peut pas dissocier ce contexte de celui des mutations propres à l’ENSM.

L’école est issue du regroupement des quatre anciennes écoles de la marine marchande sous une seule tutelle. Les investissements de l’État et des collectivités locales, qui ont accompagné cette évolution nous ont permis d’engager des travaux dans nos établissements et de les doter d’équipements de pointe. Le site du Havre est assez symptomatique de la modernité dans laquelle on s’inscrit.

Il en va aussi de notre attractivité auprès de nos élèves. On ne vient plus à l’école par hasard si tant est que cela ait été un jour le cas. C’était en tout cas une crainte lorsque nous avons rejoint ParcourSup en 2021.

Est-ce que l’effet sur le nombre de candidats est concluant sachant que c’est un objectif assigné par votre tutelle, le secrétariat d’État à la mer ?

F.L. : Nous avons retrouvé le niveau des années précédentes mais ce n’est pas suffisant. On s’y emploie. Les futurs navigants aspirent à donner du sens à ce qu’ils font. À l’école, nous faisons de la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires [MARPOL] et du Code de l’environnement des thématiques plus connues que jamais pour coller à leurs ambitions de voir la navigation évoluer.

Il nous faut adapter les cursus en étant innovant sans sortir du cadre imposé par la STCW [Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille mise en œuvre en 1984, NDLR].

La première modification importante intervenue en 1995 ne faisait pas référence aux nouvelles motorisations. Celle de 2010 est plus explicite, ce qui nous a permis d’adapter la dispense de nos cours. C’est particulièrement vrai pour les marins en « Machine », mais aussi pour les enseignements techniques (automatisme, électronique, en électrotechnique). Tout se fait aussi en lien avec les nouvelles possi- bilités d’interagir avec les armateurs. Qui aurait imaginé un jour un fleet center tel que celui de CMA CGM !

Concrètement, est-ce que les évolutions en cours dans le transport maritime nécessitent des repositionnements majeurs dans les formations ?

F.L. : Les matières évoluent dans les différentes unités d’enseignement. On a l’espoir, dans le cadre du prochain contrat d’objectifs de performance [le Cop 2023-2027 que l’école doit signer avec le secrétariat d’État à la Mer à l’automne, NDLR] d’intégrer encore davantage la transition écologique avec notamment la création d’un label au début du parcours de formation des ingénieurs polyvalents.

Dans le cadre de la réforme des diplômes, repositionné sur cinq ans, nous optimisons nos volumes horaires pour faire de la place à des matières autres que celles imposées par la STCW.

Les enseignements fondamentaux de la première et de la dernière année intègrent aussi une dimension énergétique. C’est aussi une demande portée par différents ministères [Transformation de la fonction publique et Enseignement supérieur, NDLR].

Comment anticipez-vous des formations sur des technologies dont on ne sait pas encore trop comment elles seront exploitées en tant que carburants marins ?

F.L. : Nos premiers travaux sur la pile combustible remontant aux années 2000, nous n’avons donc pas de difficulté à appréhender la matière hydrogène.

Pour le méthanol ou l’ammoniac, nous sommes plutôt dans une phase exploratoire. Je ne suis pas très inquiet sur le savoir de base qu’on délivre bien qu’il ne puisse pas être complètement adapté, étant encore dans l’attente de ce que seront les carburants de demain, de l’évolution réglementaire et de leur traduction dans la convention STCW.

Pour autant, s’il est important que chacun puisse bien se positionner sur les mutations en cours, la maîtrise des compétences de base reste indispensable.

Le site de Marseille est, par exemple, équipé de la seule centrale vapeur en France. Compte tenu de l’évolution des positions sur le nucléaire, il n’est pas complètement incohérent de préserver ce type de compétence.

À l’ENSM, vous semblez avoir un tropisme vélique, non ?

F.L. : Nous avons un petit historique car nous avons remporté un appel à projet [DIGI4MER avec le Campus des Industries Navales, l’association Wind Ship et D-ICE Engineering, NDLR], qui nous a permis de développer des modules de formation avec des experts de la propulsion éolienne mais aussi des spécialistes de la mécanique des fluides ou de l’architecture navale. Les stagiaires auront accès, en formation continue, à un contenu basé sur les dernières recherches dans le domaine.

Par ailleurs, alors qu’il est de plus en plus question d’une troisième évolution de la STCW, il ne serait pas étonnant que la dimension vélique s’insère davantage dans les cursus.

Que ce soit en motorisation principale ou auxiliaire, il est important que l’on puisse qualifier dans les prochaines années des compétences dans ce domaine.

Vous êtes sourcilleux sur ce point mais quel est le niveau d’intervention des armateurs dans la définition des programmes ?

F.L. : Nous avons clarifié le lien avec les acteurs économiques dans nos douze orientations stratégiques [le document qui sert de base aufutur contrat d’objectifs et de performance, NDLR]. En tant qu’école nationale, nous avons le monopole de la formation initiale des officiers.

En tant que tel, les armateurs sont donc nos clients et s’ils ne sont pas satisfaits, nous avons raté une très grande partie de notre mission.

Il faut distinguer trois cercles. Le premier relève de la pure pédagogie et l’intervention des armateurs se limite à la dispense de compétences sur la navigation. Ils ne participent pas à la définition des programmes, n’étant pas au conseil des études. En revanche, en tant que membres du conseil d’administration, ils peuvent donner leur avis sur des orientations.

Á un deuxième niveau, nous entretenons les liens avec eux, notamment via Armateurs de France, pour répondre au mieux aux besoins.

Enfin, il y peut y avoir des relations plus serrées, comme celles nouées avec notre futur locataire à Marseille via le campus Tangram [un tiers-lieu interdisciplinaire à l’initiative de CMA CGM pour plancher sur le transport et la logistique de demain, NDLR]. Les armateurs vont aussi intervenir au sein du conseil de gestion de notre fondation [créée en mars avec le statut universitaire, direction confiée à Muriel Mironneau, NDLR].

Qu’est-ce qui vous fait dire que les futurs naviguants sont plus sensibles à l’enjeu écologique ?

F.L. : Est-ce que naviguer à bord d’un pétrolier de TotalEnergies a le même sens pour eux qu’embarquer sur le roulier-voilier Canopée ou le cargo à voile de Towt, je ne peux pas le dire. Mais le capitaine au long cours du 21e ne sera plus forcément la référence.

Les énergies nouvelles offrent de belles perspectives qui exigent des compétences en navigation tout aussi fortes. La volatilité est aussi une caractéristique de notre époque que nous essayons de contenir. Nous allons au bout de la mission quand nous avons formé des élèves employables mais pas s’ils ont déserté après. Quelque 9 000 officiers manquent dès à présent et il en faudra 35 000 d’ici à 2030.

Propos recueillis par Adeline Descamps

 

Cet entretien est extrait d'un hors-série spécial sur la décarbonation : Le long voyage vers la décarbonation

Shipping

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15