Sans surprise, le constructeur naval italien n’a pas été épargné par la crise sanitaire qui a muté en choc économique. Il pouvait en être difficilement autrement au regard de la suspension totale de ses activités et de son redémarrage très progressif ensuite. Pour autant, au 30 juin, il n’avait pas enregistré d’annulation de commandes alors qu’il est particulièrement exposé au secteur de la croisière.
Au regard de la situation, Fincantieri, dont les résultats semestriels viennent d’être approuvés par son conseil d’administration, amortit un peu le choc. Il n’aura enregistré aucune annulation de commandes en dépit de son aversion au risque « croisière », secteur particulièrement touché par la crise sanitaire mondiale. Les trois paquebots initialement prévus devraient donc être livrés au cours du second semestre par les chantiers relevant de la direction croisière*. Son site de Monfalcone devait en livrer un en juin à Princess Cruises. Celui de Marghera est engagé avec Costa pour une livraison en septembre. Silversea Cruises devrait réceptionner son Silver Moon en septembre par le chantier d’Ancône.
Au 30 juin, les chantiers navals du groupe de Trieste répartis sur une vingtaine de sites dans 11 pays auront livré une dizaine de navires dont trois paquebots (Seven Seas Splendor pour Regent, marque appartenant à Norwegian Cruise Line, le Scarlett Lady, premier d'une série de quatre pour l'armateur Virgin Voyages et via le chantier norvégien Vard, Le Bellot, yacht d'expédition de la gamme Explorers pour Ponant), un chalutier et un navire militaire.
Perte de 790 M€
Plus globalement, la production du géant européen de la construction navale a été affectée au cours du premier semestre mais elle est liée à la suspension totale de ses activités du 16 mars au 20 avril puis à un redémarrage très progressif. Au 30 juin, le personnel de production dans les chantiers navals n’atteignait pas encore la pleine capacité mais approchait les 90 % (Fincantieri emploie 19 500 salariés dont 8 300 en Italie). Il en ressort une diminution conséquente de ses recettes, à 2,369 Md€ au 30 juin 2020, soit 15,6 % de moins qu'au 30 juin 2019, ce qui reflète la perte d'environ 790 M€ en valeur au cours du premier semestre.
Son excédent brut d'exploitation de 119 M€ présente un manque à gagner de 108 M€ par rapport au 30 juin 2019 avec une marge réduite de trois points, à 5 % « L'Ebitda a été affecté par la non contribution d'environ 65 M€ due à l'arrêt de la production », indique encore le constructeur.
Fincantieri a perdu 190 M€ au premier trimestre
Un carnet de commandes de 37,9 Md€
Le résultat net pour la période s’affiche en perte de 137 M€ contre un bénéfice de 12 M€ en glissement annuel. « Il intègre des charges de 114 M€ imputables au Covid et 23 M€ pour le litige amiante ». L’endettement financier net s’exacerbe, à 980 M€ (736 M€ au 31 décembre 2019). Le constructeur italien dual (civil/militaire) fait valoir un carnet de commandes global de 37,9 Md€ au 31 juin (32,7 Md€ au 31 décembre 2019), soit environ 6,5 fois le chiffre d'affaires de 2019.
Parmi ses « faits saillants » du semestre, l’entreprise, encore contrôlée par le ministère italien de l'Économie (via son actionnaire principal, la société Fintecna, à 71,64 %), dit avoir « poursuivi sa diversification ». En l’occurrence, elle s’est vu attribuer des commandes pour le secteur des énergies renouvelables offshore, notamment une unité SOV (Service operation vessels) pour effectuer des opérations de maintenance dans les parcs éoliens offshore et deux unités sophistiquées pour la pêche. Ces commandes illustrent par ailleurs les premiers pas réussis de la stratégie de diversification voulue pour sa marque norvégienne Vard, où un plan de restructuration a été engagé.
Fincantieri a clôturé 2019 sur un chiffre d’affaires de 5,8 Md€
Fincantieri et le nouveau pont de Gênes
Aussi, le 4 mai dernier, dans le domaine militaire (35 % de son activité), la branche américaine, Fincantieri Marinette Marine (FMM), a décroché auprès du département de la Défense des États-Unis une commande d’une valeur de 795 M$ pour le design et la construction de la tête de série d’une frégate FREMM. Le contrat prévoit l'option pour neuf autres unités, d'une valeur cumulée de 5,5 Md$ sur six ans. L'européen était en compétition avec des chantiers navals américains.
Enfin, dans les infrastructures, le groupe a été choisi pour la reconstruction du port de Rapallo et pour la conception et la reconstruction du stade Renato Dall'Ara à Bologne. Mais dans ce domaine, son nom s’est surtout inscrit en lettres capitales pour sa contribution à la reconstruction du nouveau pont de Gênes, pour lequel il a fourni la structure porteuse.
Le 14 août 2018, l’effondrement du pont Morandi avait couté la vie à 43 personnes. La nouvelle structure, trait d'union entre la partie est et ouest de la capitale ligure, a été officiellement inaugurée le 3 août dernier. Baptisé San Giorgio, le nouveau pont mesure 1 067 m de long pour une hauteur de 45 m. Reposant sur 18 piles, son tablier se décline en 19 travées en acier de 26 m de large. Imaginée gracieusement par l'architecte génois Renzo Piano, les travaux ont été menés par un consortium rassemblant Fincantieri et Salini-Impregilo, géant du BTP transalpin, avec pour maître d'œuvre, Autostrade per l'Italia. Le coût des travaux s’est élevé à 202 M€.
Sur un plan plus politique
Pour rappel, en matière d’alliances industrielles, l’Italien est engagé sur plusieurs fronts mais patine. Candidat à la reprise des Chantiers de l'Atlantique (ex-STX France), il n’a toujours pas obtenu le blanc-seing des autorités européennes de la concurrence, qui jugent l'opération susceptible de réduire « la concurrence sur le marché de la construction navale de croisière » et font mine de vouloir bloquer.
En joint-venture avec Naval Group (Naviris) pour développer des projets communs autour des navires de surface, le Français et l’Italien ont signé un premier contrat pour cinq projets de recherche avec l'OCCAR, organisation intergouvernementale européenne visant à faciliter la coopération sur de grands programmes d'armement.
Enfin, en mars, on lui prêtait la volonté de se rapprocher du groupe allemand Thyssenkrupp pour constituer un « champion national » dans la construction navale militaire, premier pas vers une consolidation européenne tant attendue par certains.
A.D.
* Le groupe Fincantieri dispose de plus de 20 chantiers navals dans le monde répartis dans 11 pays : Italie, Norvège, Roumanie, Suède, Vietnam, États-Unis, Canada, Brésil, Inde, Chine et France. Les chantiers navals sont répartis en fonction de leur spécialisation : croisière (Monfalcone, Marghera et Sestri) ; navires de transport (Ancône, Castellammare di Stabia et Palerme) ; militaire (Muggiano et Riva Trigoso).