Après plus de cinq mois passés en mer sur un navire abandonné, les 16 membres de l'équipage du Yangtze Fortune vont pouvoir rentrer chez eux. Le bétailler, battant pavillon libérien appartenant à une société chinoise basée à Dalian, était ancré au large de la côte de Portland, dans le sud-ouest de l'État de Victoria, depuis septembre dernier. Il avait été arraisonné après la découverte d'une fissure dans la coque du navire avant qu’une ordonnance de la Cour fédérale australienne établisse le constat en janvier de l’abandon du navire et de l'équipage en raison d'un endettement croissant. Une vingtaine de membres d'équipage avaient été alors autorisés à débarquer, 16 autres marins étant assignés à bord pour faire face aux éventuelles urgences comme l’exigent de nombreuses législations.
Ils sont désormais relayés par un équipage chinois suite au changement de propriétaire. Quant au navire, dont la construction date de 2005, il se dirige actuellement vers la Chine pour y être réparé. Le sort des créances n’est en revanche pas soldé, encore moins, celui des salaires des marins, qui apparaissent souvent en second rang dans la hiérarchie des ayant-droit.
L’équipage, qui avait été contraint de rester à bord pour des raisons de sécurité, libéré. (image ONG).
Une convention encadrée
Les abandons de navires (il exite une carte interactive) sont un « sujet-glue » pour le transport maritime. Le travail des gens de mer (1,5 million) est pourtant très réglementé par des normes internationales établies sous l’égide de l’Organisation internationale du Travail (OIT) et par une charte des droits, fruit de sept ans de concertation entre toutes les parties prenantes.
Selon la Convention du travail maritime (MLC), actée en 2006 et entrée en vigueur en 2013 après la signature de 30 pays représentant 33 % du tonnage (101 signataires en 2022), un marin est considéré comme « abandonné » lorsque son armateur ne peut plus assurer le coût de son rapatriement, le laisse sans soutien et coupe toute relation avec lui, notamment en ne lui versant plus de salaire durant au moins deux mois.
La réglémentation indique par ailleurs que les pays signataires « doivent faciliter le rapatriement des marins œuvrant à bord d’un bateau ainsi que leur remplacement ». En aucun cas, ils ne peuvent « refuser le droit au rapatriement d’un marin en raison de la situation financière de son armateur ou en raison de son incapacité ou de son refus de remplacer le marin ».
Si 101 pays l’ont désormais ratifiée, certaines régions du monde, particulièrement critiques par le nombre de cas recensés, n’y ont toujours pas adhéré. Ces dernières années, les Émirats arabes unis ont alerté. Ils représenteraient 12 % des navires abandonnés dans le monde. L'Autorité fédérale des transports (FTA) des Émirats arabes unis et la Fédération internationale des travailleurs des transports (ITF) s’étaient déjà rencontrés à ce sujet en 2016 en vue de trouver des solutions. Les responsables de la FTA avaient alors annoncé qu'ils feraient pression pour que les émirats ratifient la Convention du travail maritime, et l'ITF s'était engagée à fournir une formation et une expertise à cet effet. Mais force est de constater que les choses avancent très lentement.
Une situation critique en 2020
En 2020, du fait de la pandémie et de la crise humanitaire (et politique) qui en a découlé, la relève de l’équipage ayant été rendue inopérante par les nombreuses contraintes administratives d’ordre sanitaire (refus de transiter, non délivrance des visas, absence de vols...), le nombre d’abandons a doublé avec 85 cas déclarés, contre 40 en 2019, selon les chiffres de l’Organisation internationale de Travail (OIT) et l’Organisation maritime internationale (OMI).
L’adoption d’un amendement à la Convention MLC en 2017 prévoyait un « dispositif de garantie financière rapide et efficace pour indemniser les gens de la mer en cas d’abandon ou d’incapacité de longue durée causés par un accident du travail ou de décès ». Mais la mesure ne couvre toutefois que quatre mois de salaire alors que les derniers cas recensés indique des durées qui peuvent aller jusqu’à 3 ans et demi dans le cas du MT Iba.
Les marins livrés à eux-mêmes n’ont bien souvent pour seul recours que les ONG Human Rights at sea, Mission to Seafarers ou Sailor’s Society pour les aider à récupérer leur dû. Ce qui n’est pas non plus garanti.
Adeline Descamps