Il est encore trop tôt pour savoir si l’entrée au conseil d’administration d’Euronav de représentants pour chacun des deux principaux actionnaires*, va apaiser le climat de tension pour l’exploitant belge de pétroliers.
Mais la Compagnie maritime belge, contrôlée par la famille Saverys, et Famatown Finance, le holding qui gère les participations de John Fredriksen, le magnat du transport maritime qui soutenait un projet de fusion (avorté) avec Frontline, ont désormais un espace où faire valoir, en toute légitimité, leur vision pour le futur du transporteur de brut.
Depuis de longs mois, les deux parties, qui détiennent chacun 25 % des actions avec droit de vote d'Euronav (à l'exclusion des actions propres), se livrent à une course au capital et à une bataille d’influence menée de l’extérieur.
La CMB a toutefois échoué à faire remplacer l’intégralité du conseil de surveillance actuel. Seuls deux d’entre eux n’ont pas été reconduits.
Polémique autour du transport de pétrole illicite
Dans cette période agitée, la société n’avait donc pas besoin d’une énième polémique. Elle y a droit néanmoins. Euronav est accusée par l'ONG United Against Nuclear Iran, qui piste le transport de pétrole de contrebande, d'avoir chargé du pétrole iranien à bord de l'un de ses navires-citernes.
Selon l'ONG, l’Oceania a reçu fin février le pétrole d'un autre navire, Abyss, lors d'un transfert de navire à navire dans le détroit de Malacca, en violation des sanctions américaines sur la vente et le transport de pétrole iranien.
Euronav nie l'accusation. Brian Gallagher, porte-parole de l’entreprise, est d’ailleurs un de ceux qui ont régulièrement dénoncé les manœuvres de la flotte dite obscure.
Une flotte rémunérée au double de son seuil de rentabilité
C’est dans ce contexte que la compagnie a publié le 31 mars ses résultats pour l'année 2022. Un exercice marqué par la reprise du marché des grands transporteurs de brut, qui étaient en fond de cale depuis le deuxième trimestre 2020. Mais la guerre en Ukraine, qui a disloqué les marchés de l'énergie, a donné un coup de peps à la demande de pétrole.
L’armateur a plus que doublé ses revenus entre 2021 et 2022, passant de 419,8 à 854,7 M€ tandis qu’il passe de pertes (- 339,2 M€) à profits (206,1 M€). L’Ebitda, maigre en 2021 (85,8 M€), ressort à 543,43 M€.
Enfin, étalon du secteur, la flotte de ses très grands transporteurs de brut (capacité jusqu'à 2 millions de barils) – 35 VLCC proposés en spot –, a été employé au taux moyen (Time charter equivalent, revenus quotidiens des navires une fois toutes les dépenses et charges couvertes), de 27 600 $ l’an dernier contre 11 300 $ durant l’année 2021. Un niveau critique en deçà du seuil de rentabilité d’un très grand transporteur de brut, qui est de 12 500 $/j. Sa flotte de suezmax (13 en spot) a été rémunérée à 31 200 $/j contre 11 100 $.
Un cycle haussier durable
« Le marché des grands transporteurs de brut est bien positionné pour entamer un cycle haussier pendant plusieurs années alors que les fondamentaux sont solides et qu’il existe des catalyseurs spécifiques au marché », commente la direction.
Elle fait référence à l’équilibre entre l’offre et la demande sachant que le carnet de commandes des pétroliers est au plus bas depuis plus de 25 ans. Il devrait rester limité du fait des prix élevés des navires, de la perspective des nouvelles réglementations et de la disponibilité des chantiers navals, dont les cales sont réservées jusqu’à 2025 par les contrats de construction de méthaniers et de porte-conteneurs.
Quant aux « catalyseurs », Euronav renvoie au déplacement des flux de pétrole consécutif au bannissement du pétrole russe. L'UE, son principal client, va désormais se fournir auprès du Moyen-Orient et des États-Unis, ce qui allonge les tonnes-milles, les distances à parcourir étant plus longues. Les exportations américaines de brut ont ainsi récemment atteint un nouveau record de 5,1 millions de barils par jour (Mb/j), reflétant des cargaisons SPR (Strategic Petroleum Reserves) supplémentaires mais aussi une forte croissance de la production américaine.
Les réglementations, une alliée
Les réglementations, « négligées dans le contexte géopolitique actuel » – l'indicateur d'intensité carbone des navires (CII) et l'indice EEXI (Energy Efficiency eXisting ship Index) en vigueur depuis le 1er janvier 2023 – agiront aussi en faveur du transport maritime de pétrol. Car il accroît la pression sur les faibles capacités disponibles. Pour se conformer à la norme CII, les exploitants n’auront en effet pas d’autre choix que de limiter la vitesse, ce qui suppose des navires mobilisés plus longtemps.
Des actionnaires bien rémunérés
« Les événements récents n'ont pas affecté les performances opérationnelles de la société (…) car nous avons réussi à rajeunir la flotte à un moment critique du cycle du marché, à la fois en achetant et en commandant des navires modernes à des prix intéressants et en cédant des actifs plus anciens lorsque leur valeur devenait intéressante », indique encore la société.
L’an dernier, l’exploitant a cédé sept navires (quatre suezmax de la classe Cap, deux VLCC et le très rare Europe, un superpétrolier) pour un total de 95,8 M$.
Euronav a en effet vendu au bon moment. Selon les données de Clarksons, le prix des VLCC âgés de 5, 10 et 15 ans, a augmenté de 7 %, 43 %, 65 % et 81 % respectivement. Les valeurs des Suezmax ont augmenté encore davantage pour chaque catégorie d’âge, de 44 %, 70 % et 90 %.
Un dividende de 1,22 $ par actiona
Le conseil de surveillance proposera à l'assemblée générale annuelle des actionnaires du 17 mai 2023 de distribuer un dividende brut annuel de 1,10 $ par action à tous les actionnaires. Cette proposition porterait le rendement total à 1,22 $ pour l'ensemble de l'année 2022.
Adeline Descamps
*John Fredriksen et Cato H. Stonex, représentant Famatown ; et Marc Saverys et Patrick De Brabandere, représentant CMB.