En revoyant ses perspectives financières à la hausse, Maersk confirme le retournement de conjoncture

Le transporteur danois réévalue ses perspectives de bénéfices pour l'année 2024 à la lumière de l'évolution très rapide de la situation. Le retour de la congestion dans les ports et les effets d'anticipation des chargeurs créent des déséquilibres entre l'offre et la demande. Les taux de fret s'échauffent. Les annulations de départ se multiplient.

Quand le numéro deux mondial a présenté les résultats financiers de son premier trimestre début mai, Vincent Clerc, le CEO de A.P Møller Maersk était déjà confiant pour la suite de l’année bien que tous ses ratios étaient en perdition par rapport au premier trimestre 2023, lequel était déjà bien au retrait par rapport à celui d’avant.

Les indicateurs, qui s’exprimaient alors en milliards d’euros se comptent désormais en millions alors que l'indicateur phare, le revenu moyen par conteneur, était passé de 2 871 à 2 368 $ en un an.

Toutefois, le rebond de 23 % par rapport au trimestre d’avant et la poussée des volumes transportés par Maersk laissaient présager comme un air doucereux de reprise, le transporteur danois ayant enregistré du mieux sur toutes les routes maritimes.

Plutôt assuré, le groupe, qui estimait à l’issue de l’exercice trimestriel la demande pour le commerce de conteneurs en croissance de 2,5 et de 4,5 % en 2024, tablait sur un résultat opérationnel avant amortissement sur immobilisations (Ebitda) entre 4 et 6 Md$, contre une fourchette située entre 1 et 6 Md$ précédemment, et à un bénéfice, une fois les charges, produits d'intérêt et impôts déduits (Ebit), au pis stable et au mieux en croissance de 2 %.

Deuxième revoyure pour 2024

Il réévalue pour la seconde fois ses prévisions à la hausse en raison de l’évolution très rapide de la situation. « Le mois dernier, le marché du transport de conteneurs est entré dans une nouvelle phase, sous l'effet des perturbations provoquées par la crise actuelle en mer Rouge et de ses répercussions sur les chaînes d'approvisionnement mondiales, indique Vincent Clerc. Alors que la demande de transport de conteneurs reste forte, l'offre a été affectée par des départs manqués, des itinéraires plus longs, des pénuries d'équipement et des retards qui ont entraîné une congestion accrue dans plusieurs ports clés d'Asie et du Moyen-Orient », énumère le dirigeant, pour lequel la situation « ne s'améliorera pas de sitôt. »

Sur cette base, A.P Møller Maersk s’attend désormais à un Ebitda sous-jacent entre 7 et 9 Md$ et un Ebit de 1 à 3 Md$ ainsi qu'à un flux de trésorerie disponible d'au moins 1 Md$ (contre - 2 Md$ précédemment).

Un retournement de situation rapide

La situation est cocasse. La surcapacité menace dans la mesure où 2 MEVP doivent être livrés d’ici la fin de l’année alors qu’1 MEVP ont déjà été réceptionnés. Mais en absorbant navires et équipements, le déroutement du bataillon mondial de porte-conteneurs du canal de Suez vers le cap de Bonne Espérance pour éviter les attaques houthies en mer Rouge, créé une situation artificielle de famine.

Tout en offrant ainsi un sursis temporaire au trop plein sur le marché,  le détournement massif crée également des points de congestion et des effets de pénuries dans les boîtes, deux éléments qui ont fait basculer en 2021 le transport maritime dans un chaos organisationnel et ont embrasé les prix. Selon Linerlytica, 2 MEVP sont actuellement absorbés par les congestions portuaires.

Accélération des taux de fret

L'accélération des taux de fret sur toutes les routes maritimes, particulièrement notable au cours du mois de mai, comme le JMM en a fait état il y a quelques jours dans son enquête, a en réalité plusieurs origines.

Outre le retour de la congestion dans plusieurs ports devenus stratégiques par la force majeure et la persistance des attaques contre les navires marchands en mer Rouge, l’arrivée précoce de la saison de pointe du fait de l'anticipation des chargeurs, particulièrement américains, inquiets des tensions commerciales croissantes entre la Chine et les États-Unis et de la menace de grèves potentielles sur la côte est-américaine, a contribué à donner un coup de peps aux taux de fret dont la bulle avait éclaté il y a un an après deux ans de cavalcade.

Le transport maritime est connu pour sa capacité à s'autoréguler et à trouver des solutions optimales en cas de dérèglements. Mais la coupe des perturbations déborde et les tarifs s’échauffent à nouveau.

Depuis la mi-mai, le Shanghai Containerized Freight Index (SCFI), qui mesure les prix au comptant du fret au départ de Shanghai vers un certain nombre de destinations dans le monde, a grimpé chaque semaine, de 16 % puis de 7,2 % et de 12,6 % en fin mois pour atteindre 3 044,77 points, son plus haut niveau depuis août 2022.

L'indice mondial des conteneurs établi par Drewry fait valoir, de son côté, un bond de 151 % par rapport à la même période il y a un an pour s’établir à 4 226 $ par conteneur de 40 pieds (FEU, forty equivalent unit). Toutes les routes en profitent depuis l’Est. Vers l’Europe du Nord, la poussée est notable : 271 $ de plus pour une boîte transportée jusqu’à Rotterdam, ce qui porte le prix moyen du transport à 5 270 $. La Méditerranée s’échauffe aussi : il en coûte 199 $ de plus pour Gênes depuis Shanghai, soit près de 5 700 $.

En conséquence, les compagnies annoncent à tour de rôle l'application de Peak Season Surcharge (PSS) pour la mi-juin : + 1 000 $/FEU sur Asie-Méditerranée pour CMA CGM et sur tous les trades Asie-Europe pour Hapag-Lloyd.

Une situation qui devrait s'ancrer

Il y a quelques jours, Maersk a annoncé des modifications dans son programme de navigation pro forma en raison d'engorgement dans plusieurs ports en Asie  et Moyen-Orient qui ont surgi à la surprise générale.

Le déroutement massif de la flotte mondiale de la mer Rouge du Canal de Suez engendre un remaniement des itinéraires, non sans effets dominos. Pour respecter leur transit-time, certains armateurs annulent les escales les moins rentables, ce qui accroit la pression sur les ports clés, notamment en Asie du Sud-Est (Shanghai, Qingdao, Guangzhou, Singapour, Port Klang, Tanjung Pelepas…) et en Méditerranée occidentale, en particulier à Tanger Med, Barcelone et Algésiras où les armateurs transbordent.

Les escales des MSC Amelia et MSC Mirjam, opérées dans le cadre de l’alliance avec MSC (2M) sur les AE11 et AE15, soit de Qingdao à Valence et de Busan à Tekirdag, doivent être revues. Au cours des cinq prochaines semaines, 2M a prévu une dizaine d'annulations, plus que THE Alliance et Ocean Alliance avec 7 blank sailings chacun.

En mai, l’analyste Drewry a relevé que sur les principaux trafics est-ouest, 39 suppressions de départs ont été annoncées entre la semaine 22 (27 mai-2 juin) et la semaine 26 (24 juin-30 juin), sur un total de 651 départs programmés, soit un taux d'annulation de 6 %. Au cours de cette période, 44 % concernent le trafic transpacifique Est, 36 % l'Asie-Europe du Nord et Méditerranée et 20 % le transatlantique Ouest.

Les trois dernières années ont témoigné d'une nouvelle réalité pour le transport maritime après cinq décennies d'une relative stabilité. Il est entré dans une ère de changement continu et doit désormais composer avec une volatilité particulièrement aiguë si bien que toute projection est susceptible d'être trahie en un battement d'aile de papillon.

Adeline Descamps

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