Le trafic maritime a repris ses droits dans l'estuaire du fleuve Patapsco depuis début juin, deux mois et demi après l'effondrement du pont Francis Scott Key, percuté le 26 mars par le Dali, un porte-conteneurs de 300 m, détenu et exploité par les sociétés singapouriennes Grace Ocean et Synergy Marine et affrété par Maersk. L'incident aura coûté la vie à six employés travaillant sur le pont et paralysé une artère de transport majeure pour le nord-est des États-Unis entre avril et juin.
Grace Ocean et Synergy Marine ont déposé dès le 1er avril une requête conjointe auprès du tribunal fédéral du district du Maryland afin de limiter leur responsabilité à 43,7 M$ (la valeur du navire et de la cargaison affranchie du coût des réparations et du sauvetage), soit 1 à 2 % du coût gigantesque alors estimé de la catastrophe (2 à 4 Md$). En principe, c’est la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes qui s’applique. Mais les États-Unis disposent de leur propre législation avec la loi de 1851 sur la limitation de la responsabilité (Limitation of Liability Act, Lola).
Le procureur général, Anthony Brown, a indiqué ces dernières heures qu’il demanderait des dommages-intérêts bien plus élevés. « Notre objectif est de briser cette limitation de responsabilité. Nous ne laisserons pas les habitants du Maryland payer la facture de la négligence grave, de la mauvaise gestion et de l'incompétence qui ont causé ce préjudice », a-t-il déclaré.
Pluie de plaintes
Lors du grand rendez-vous annuel des assureurs maritimes (IUMI), qui s’est tenu la semaine dernière à Berlin, un avocat associé au sein du cabinet d’assurance maritime Gallo Vitucci Klar à New York, qui s'exprimait dans le cadre d'une conférence, avait étonné son auditoire en indiquant que non seulement les propriétaires du Dali avaient des chances d’obtenir gain de cause dans leur demande en limitation de responsabilité, mais que « le pont pourrait même se voir attribuer une part de responsabilité » pour plusieurs raisons, à commencer par le manque d'entretien.
La date limite pour les demandes d'indemnisation découlant de l'accident étant fixée au 24 septembre, les parties prenantes de ce dossier complexe se sont manifesté ces derniers mois. Les familles des six employés décédés dans l'effondrement du pont ont ainsi déposé une demande d'indemnisation pour décès injustifié devant le tribunal de district du Maryland et demandent des dommages-intérêts non spécifiés « dépassant de loin la valeur du navire », selon les informations émanant du tribunal. Une autre plainte a été déposée pour le compte de Brawner Builders, l'entreprise de construction qui les employait.
103 M$
Le ministère américain de la Justice se retourne pour sa part contre le propriétaire et gestionnaire du Dali, alléguant que la catastrophe avait été causée par négligence. Il leur réclame 103 M$ pour couvrir les coûts liés au déblaiement de l'épave du navire et des débris du pont et à la réouverture de l'accès au port.
Le procureur général du Maryland,où est basée la ville de Baltimore, a annoncé, de son côté, avoir porté plainte devant le tribunal fédéral contre les deux sociétés, réclamant « des dommages-intérêts punitifs » dont le montant n’a pas été précisé, pour le coût du pont, les opérations de nettoyage et les dommages environnementaux. Dans sa plainte de 56 pages, le Maryland impute l'effondrement à la « mauvaise gestion, au désintérêt et/ou à l'incompétence » des entreprises. Dans son communiqué, le bureau du procureur général estime que l'incident était « entièrement évitable », citant des dyfonctionnements et le manque de réaction des membres d’équipage.
Enquête sur les causes de l'accident
Dans un premier rapport, publié en mai, les experts du National Transportation Safety Board (NTSB) avaient attribué les causes de l’accident à la perte de puissance de l'ensemble des moteurs. Selon les enquêteurs, le navire a subi quatre pannes électriques. La première s'est produite la veille de l'accident lorsqu'un membre de l'équipage a fermé par erreur un clapet d'échappement lors d'une opération de maintenance, ce qui a provoqué l'arrêt d'un des moteurs diesel et une perte de puissance du navire. Le navire se trouvait alors encore dans le port de Baltimore. La dernière, fatale, lui a fait perdre la direction et la propulsion si bien que le navire s’est encastré dans le pylône du pont. Elle a eu lieu quatre minutes avant l'accident, lorsque des disjoncteurs électriques se sont déclenchés de façon imprévue, rendant le navire aveugle, avant que le courant soit partiellement rétabli avant de s'éteindre à nouveau, cette fois à 320 m de la passerelle. L'équipage a indiqué ne pas avoir été en mesure d'actionner le gouvernail pour se diriger.
Avarie commune
Comme présumé au vu des opérations, plus difficiles que prévu, et des coûts en conséquence plus élevés, l'avarie commune a été déclarée par le propriétaire du navire. La mesure implique un partage des coûts avec les chargeurs, dont le montant finalement payé ne sera connu que longtemps après la livraison de la cargaison...
D’après Moody's Ratings, quelque 80 réassureurs différents couvrent les assureurs du navire. Pour rappel, les risques insuffisamment ou non garantis par les polices d’assurance maritimes classiques (particulièrement les dommages causés au tiers et à l’environnement, où la responsabilité civile de l’armateur entre en jeu), sont couverts par ces mutuelles d’assurance maritime, qui se réassurent mutuellement en partageant les sinistres supérieurs à 10 M$.
Ainsi, le Britannia, le P&I du navire, ne sera responsable qu'à hauteur des 10 premiers millions de dollars. La tranche comprise entre 10 et 100 M€ sera partagée entre les 12 membres de l'International Group of P&I Clubs (IGP&I). Au-delà de 100 M$ et jusqu’à 2,1 Md$, un autre pool de réassureurs (« Group general excess of loss ») peut prendre le relais. Les P&I auront en revanche la charge de l'indemnisation des familles des personnes décédées ou blessées dans l'accident. Les effets dominos sur la chaîne d'approvisionnement ne relèvent pas en revanche de leur périmètre. La reconstruction du pont devrait à elle seule coûter plus d'un milliard de dollars.
Adeline Descamps
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