Entre janvier et mars 2024, le Bureau maritime international (BMI, IBM en anglais) de la CCI a enregistré 33 actes (incidents réels, tentatives et suspicions) sur la base d'alertes de navires menacés que ce point de signalement unique pour la piraterie ou les vols à main armée a reçus.
C’est six de plus par rapport à la même période de 2023 mais quatre de moins, comparé à celle de 2022. Pour rappel, en 2023, le nombre d’événements s’était établi à 120.
En matière de piraterie, il y a rarement des règles établies, pas de lois générales et jamais de victoires absolument acquises. Des zones peuvent être référencées mais à faibles risques, où il ne s’est rien passé ou presque depuis cinq ans comme le détroit de Malacca, pourtant un point d'étranglement dont on connait la dangerosité car leur configuration accroit l'exposition des navires.
À ces endroits, beaucoup de navires ralentissent, créant un terrain de chasse pour des actes malveillants.
Il existe aussi des régions où les incidents sont très erratiques selon les années, alternant des événements en nombre une année sur deux, comme en Inde (9 ces cinq dernières années) ou au Bangladesh (9 dont six au cours du premier trimestre). Là, les navires ont été en début d'année particulièrement attaqués alors qu'ils étaient au mouillage, notamment à Chattogram.
Il y en revanche d’autres zones où la menace est permanente : le détroit de Singapour (35 actes en cinq ans dont 5 sur le premier trimestre), l'Indonésie (20 en 5 ans dont 6 durant les trois premiers mois de l’année), le Pérou (19 depuis 2020 mais aucun en ce début d’année), l'Angola (14 dont 4 en 2024).
Éradication jamais définitive
Puis, il y a des destinations, comme le Golfe de Guinée, devenues il y a quelques années un nouveau repaire de flibustiers mais où les efforts déployés, sous la forme d’une forte présence navale régionale et internationale, ont payé. Le nombre de signalements y a en effet été fortement réduit (six entre janvier et mars 2024 et cinq au cours de la même période en 2023).
Le Nigeria est un cas d’école. Aucune agression n’est remontée depuis 2022 alors que la seule année 2020 en avait concentré 11. La volonté politique de s'attaquer au fléau a été particulièrement marquée puisque la piraterie fait l’objet d’une législation.
En revanche, dans l’océan Indien, épicentre mondial de la piraterie entre 2001 et 2012, apaisé depuis quelques années, les pirates sont de retour aux affaires. Tout particulièrement en Somalie où cinq incidents de piraterie et détournements ont été signalés récemment.
La tendance s'est amorcée à vrai dire l'an dernier. En 2023, le pôle d'expertise français de sûreté maritime MICA Center avait relevé 9 incidents de piraterie au large de la Somalie.
33 incidents en trois mois
Durant les trois premiers mois de l’année, sur les 33 incidents mentionnés auprès du BMI (19 sur le seul mois de janvier), toutes régions confondues, sept se sont déroulés dans les mers longeant le Bangladesh, six au large de Indonésie, cinq dans le détroit de Singapour et autant le long des côtes somaliennes.
Près de la moitié ont donc été concentrés en Asie du Sud-Est (13) et la plupart ont pris la forme d’un arraisonnement (24) tandis que deux navires ont été détournés.
Les pirates ont eu recours à des armes blanches et à feux dans 18 des cas. Dans le sous-continent indien, notamment, les pirates sont généralement armés de fusils, couteaux et/ou machettes et opèrent la nuit.
35 prises d'otages
Durant ce premier trimestre, la prise en otage (35) et le kidnapping (9) de membres d'équipage avec rançons ont été renseignés dans 44 des 45 actes de violence.
Les vraquiers et les pétroliers (17 sur les 33 attaques) ont été les principales cibles. Nulle surprise en revanche à constater que les pavillons ayant fait l’objet d’attaques sont le Panama et le Libéria. Ils sont aussi en force numérique, figurant parmi les premiers registres d’enregistrement des navires.
Aussi, faut-il prouver que les pirates aient une volonté délibérée de cibler une nation. Les pirates « à rançons » agissent par opportunisme mais n’œuvrent pas par idéologie politique.
Ce sont les propriétaires indiens (6), allemands (4) et singapouriens dont les navires ont été impliqués dans le plus grand nombre d’actes en trois mois.
sur les 16 pays d’armateurs recensés. Un navire sous contrôle français a été attaqué, très probablement exploité par CMA CGM.
Regain de pirates
En ce début d'année, c'est la confirmation du retour de la piraterie somalienne qui retient l'attention.
« Nous réitérons notre préoccupation concernant les incidents de piraterie somalienne et nous demandons instamment aux propriétaires de navires et aux capitaines de suivre toutes les lignes directrices recommandées », insiste Michael Howlett, directeur général du BMI.
L’attaque du 14 décembre 2023 contre le vraquier Ruen fait date dans le sens où il est le cas le plus extrême d'une menace qui s'est accrue dans cette zone, actant le premier détournement réussi d’un navire marchand par des pirates somaliens présumés depuis 2017 (avec le tanker Aris 13).
Le navire (41 600 tpl), immatriculé à Malte, avait été attaqué à 700 km à l'est de l'île yéménite de Socotra, puis détourné avec une partie de l’équipage vers l'État somalien semi-autonome du Puntland, ancien « paradis de pirates », dont la côte s'étend sur 1 600 km. Le navire a ensuite jeté l'ancre dans la ville de Bosaso, d’où les flibustiers semblent avoir repris leurs affaires.
Des technologies de plus en plus sophistiquées
La marine indienne est parvenue en mars à tirer d’affaires les 17 marins, retenus en otage depuis trois mois et pour lesquels une rançon était réclamée à l’armateur bulgare Navibulgar. Une intervention de 40 heures et qui a nécessité de déployer d'importants moyens.
En récupérant le navire, les forces marines indiennes estiment surtout avoir « contrecarré les projets des pirates somaliens » cherchant à l'employer en tant que navire-mère pour mener d’autres attaques.
Selon le modus operandi des pirates, « ils utilisent des skiffs lancés à partir de navires-mères, qui peuvent être des chalutiers ou des boutres motorisés détournés, indique le BMI. En général, les pirates somaliens sont bien armés, avec des armes automatiques et des lance-grenades », précise-t-il.
Le Ruen et l'Abdullah, dont l’équipage vient d’être libéré après rançon, sont susceptibles d'avoir été employés en tant que tels dans des actions récentes des pirates somaliens.
Fenêtre d'impunité
Pour les spécialistes, cette résurgence dans la corne de l’Afrique n’est pas sans liens avec le fait que les forces navales étrangères soient accaparés par la lutte contre les houthis du Yémen, situation offrant une fenêtre d'impunité aux pirates somaliens alors qu’ils avaient été mis au pas.
Les actes les plus significatifs « se sont concentrés sur la fin de l'année, presque de manière concomitante à ce qui s'est passé dans la partie mer Rouge, golfe d'Aden et Bab el-Mandeb », avait fait observer le capitaine de frégate Éric Jaslin, commandant du MICA Center, dans des échanges avec la presse.
La présence de gardes armés à bord de navires marchands et des bâtiments de guerre, déployés à des fins de sécurisation et dissuasion par l'UE dans le cadre de la mission de sécurité maritime Eunavfor Atalante, par l’OTAN (opération Ocean Shield) et par les États-Unis (Combined Joint Taskforce-Horn of Africa), avaient fini par payer.
Pour rappel, entre 339 à 413 M$ ont été versés en rançons pour des actes de piraterie commis dans l'océan Indien entre 2005 et 2012, selon les données du Lloyd’s List.
Adeline Descamps
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