Revigoré par l'appétence des Chinois pour les véhicules électriques, les porte-voitures sont sortis du trou noir l’an dernier où ils étaient confinés depuis plusieurs années.
La publication des résultats par deux des principaux armateurs spécialisés dans la logistique automobile met en évidence la très bonne conjoncture du transport maritime de véhicules légers qui a beaucoup souffert ces dernières années. En écho à une construction automobile atone affectée par la pandémie et les perturbations dans la chaîne d’approvisionnement (pénurie de semi-conducteurs et de matières premières) tandis que le conflit entre l’Ukraine et la Russie a impacté la production du néon et du palladium, essentiels aux semi-conducteurs.
Des résultats en contraste
Höegh Autoliners (37 navires dont 29 en propriété) a enregistré un résultat net de 299 M$ en 2022, ce qui contraste fortement avec les années précédentes, où une perte de 19 M$ avait été enregistré en 2020.
Le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (Ebitda) s'est élevé l'an dernier à 447 M$, plus du double des 203 M$ enregistrés en 2021.
L’entreprise norvégienne, dirigée par Andreas Enger, évoque même un record historique quand bien même les ventes de voitures neuves n'ont pas encore atteint leur niveau d'avant la pandémie. « La dernière fois que nous avons connu de très bons taux de fret, c'était avant la crise financière », confirme le rapport de la société.
« La reprise du marché dans les segments de fret clés de Höegh Autoliners se poursuivra en 2023 (…) grâce à la forte demande refoulée, à la nécessité de reconstituer des stocks très bas et aux importants carnets de commandes des équipementiers. Le faible nombre de livraisons de nouveaux navires en 2023 pourrait impliquer une situation d'approvisionnement serré », indique le transporteur, dont Maersk est encore actionnaire à hauteur de 19,34 %.
Une demande longtemps contenue
« Les résultats financiers pour l'année 2022 ont atteint un niveau record », indique aussi Lasse Kristoffersen, PDG de l’autre transporteur norvégien Wallenius Wilhelmsen. 2023 sera une nouvelle année « de taux de fret élevés et de bénéfices robustes grâce à une demande trop longtemps contenue », ajoute-t-il.
Le groupe, parmi les grands acteurs du marché, a réalisé un Ebitda de 1,55 Md$ sur l'exercice 2022, tous segments confondus, en hausse de 87 % par rapport aux 830 M$ en 2021. Le chiffre d'affaires s'est élevé à 5,04 Md$ (+ 30 % par rapport à 2021).
Congestion et saturation, des alliées
L’année 2022 a pourtant été perturbée pour les transporteurs de Pure car and truck carrier (PCTC) en raison de la congestion dans les principaux ports, réduisant la fréquence des escales et donc leur capacité. L'espace disponible saturé dans les principaux hubs de la Méditerranée et du nord-ouest de l'Europe, notamment à Bremerhaven, Zeebrugge et Anvers, a ainsi entraîné des retards records sur les principaux services de ligne transatlantiques et d'Asie vers l'Europe.
Le secteur s'est donc retrouvé dans une situation critique pour faire face à des pics de demande ou à des périodes soutenues de congestion, qui ont accentué le déséquilibre entre l'offre et la demande, poussant les taux et les valeurs à la hausse.
Des véhicules expédiés dans des conteneurs
L’offre de PCTC était déjà insuffisante à l'aube de 2022, en raison des commandes de navires historiquement faibles depuis 2016, avec une moyenne de quatre unités par an.
Du côté de la demande, la forte croissance du commerce des véhicules électriques en provenance de Chine a fait grimper les CEU (Car equivalent unit) par distance parcourue de 1,2 %. Les exportations chinoises de véhicules finis ont dépassé les trois millions d'unités en décembre, enregistrant une croissance phénoménale de 54 % sur une base annuelle.
La situation a engendré des scènes incroyables, avec des véhicules expédiés dans des conteneurs et des racks dédiés placés dans les cales, symptomatique d'un manque d'offre de PCTC.
Indice de référence du secteur en hausse de 200 %
2022 a été de ce point de vue une année en or, aussi, pour les propriétaires de navires. Ainsi le Lake Geneva (6 178 CEU, janvier 2015, Imabari) a fait l'objet d'un affrètement renouvelé par Nissan pour 100 000 $ par jour ($/j) en août 2022 dans le cadre d'un contrat de douze mois. Le même navire avait été fixé à 40 000 $/jour pour Glovis à la fin de 2021, ce qui équivaut à une augmentation de 150 % en l'espace de neuf mois. Craignant le manque, les affréteurs ont accepté des conditions de marché qui ne sont pas à leur avantage, avec des contrats plus longs de trois et cinq ans, à des taux journaliers élevés. À la fin de l'année, l'indice de référence du secteur avait grimpé de 200 % pour atteindre 103 000 $/j.
Vague de commandes en 2022
Á l’achat, même tonalité : la valeur d'un PCTC standard de 6 500 CEU âgé de 10 ans a augmenté de 84 % pour atteindre 84 M$ USD.
Le boom des échanges a en outre contraint les armateurs à commander des navires plus grands en 2022.
« Aucun navire de taille moyenne ou petite n'a été commandé, ce qui est de mauvais augure pour l'offre intrarégionale en Europe et en Asie », confirme VesselsValue, qui a constaté des dépenses pour des nouvelles constructions en hausse de 32 % (65 commandes) totalisant 6,07 Md$. « Les investissements se sont concentrés sur les navires dont la taille moyenne est de près de 8 000 CEU »,
Les livraisons de navires en 2023 étofferont la flotte de 3 % (estimée en 2022 à 700 unités pour les navires de plus de 1 000 CEU, totalisant une capacité de 3,93 millions de CEU), et la démolition devrait rester très faible, ce qui laisse présager une augmentation de l'offre. Cependant, les prévisions de ventes et de production de véhicules légers prévoient également une croissance de 4 %. Les fondamentaux ne devraient donc pas beaucoup changer en 2023, « favorisant le maintien de taux et de valeurs élevés jusqu'en 2024 », indique VesselsValue.
2024 sera en effet une année de grande livraison de porte-voitures. 2023 pourrait être la dernière année d’un super-cycle, assurent les observateurs du marché.
Adeline Descamps