À l’issue d’une instruction de plusieurs mois, l’Autorité de la concurrence a rendu son avis sur le fonctionnement des marchés en Corse. La desserte maritime de l'île est de nouveau passée au tamis des instructeurs, au même titre que la distribution de carburants, la grande distribution et la gestion des déchets. Le besoin réel de service public doit être réévalué et les modalités d’organisation de la desserte de la Corse redéfinies.
Saisie en février 2019 par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, d’une demande d’avis sur le niveau de concentration de l’économie corse et son impact sur la concurrence locale, l’autorité européenne de la concurrence a rendu son avis après avoir entendu l’ensemble des acteurs économiques, politiques, institutionnels, syndicaux.
Les autorités de régulation se sont donc à nouveau emparées de ce serpent de mer et impossible synthèse à réaliser entre deux injonctions en apparence paradoxales. La première exige de garantir un service public de transport maritime Corse-continent selon des modalités et tarifs (coût maîtrisé pour l’usager comme pour le contribuable) aussi proches que possible de celles des liaisons continentales au nom du principe de « continuité territoriale » qui prévaut depuis les années 70. La seconde implique de l’exercer dans le respect des règles du marché intérieur de l’UE.
En préambule, la commission rappelle que la desserte maritime de la Corse est caractérisée par un niveau d’intervention publique particulièrement élevé, « faisant coexister des opérateurs en concurrence soumis à un régime d’obligations de service public (applicables à tout opérateur souhaitant desservir la Corse depuis la France continentale) et des opérateurs sous contrats de délégation de service public, qui opèrent actuellement plusieurs liaisons entre Marseille et la Corse ».
Ce secteur est en effet soumis à un ensemble de règles européennes et nationales contraignantes (marché intérieur, aides d’État, commande publique, concurrence), qui imposent notamment que soit démontré un « besoin de service public » résultant d’une carence de l’initiative privée, préalablement à toute intervention publique. Ce point a, par le passé, toujours fait débat.
Mesurer plus finement
Les autorités recommandent tout d’abord de confier par la loi à l’Autorité de régulation des transports (ART) une évaluation du besoin de service public de transport maritime. Actuellement, la Collectivité de Corse conclut ses contrats de délégation de service public (DSP) sur la base d’études réalisées en 2018 et 2019 qui identifient un besoin de service public « quantitatif » pour le transport de marchandises et de diverses catégories de passagers pour tous les ports corses. Pour Propriano et Porto-Vecchio, ces études identifient un besoin similaire pour le transport de tous les passagers. En outre, sur toutes les liaisons, est identifié un besoin de service public « qualitatif » (en termes de fréquence et de tarif des liaisons), qui détermine des obligations de service public (OSP), tant pour les marchandises que pour les passagers.
Or, selon les autorités, ces études présentent des « faiblesses méthodologiques ». Parmi celles-ci, elles relèvent un nombre trop limité de participants (à ce jour, trois opérateurs sont présents sur le marché) aux consultations et tests de marché menés par la Collectivité de Corse. Elles jugent en outre les données économiques insuffisamment étayées pour évaluer les besoins quantitatifs en matière de transport de passagers depuis les ports de Propriano et Porto-Vecchio ou, depuis les autres ports, pour les malades, étudiants et convoyeurs de remorques. Les inspecteurs notent enfin que la question de la substituabilité de Marseille avec d’autres ports continentaux (Toulon par exemple, une vieille demande) pourrait être « approfondie » et l’offre aérienne davantage considérée.
Exigences pas toujours fondées
Bruxelles préconise, dans une seconde recommandation, à l’autorité organisatrice des transports maritimes entre la Corse et la France continentale de réexaminer à l’aune de cette expertise le « bienfondé de certaines exigences imposées dans le cadre des contrats de DSP et des OSP actuels, tels que le choix des navires et les contraintes en matière d’horaires des dessertes notamment ».
Les rigidités dans le fonctionnement des DSP et OSP ont souvent été relevées, notamment parce qu’elles peuvent restreindre l’accès au marché de la desserte maritime à d’autres candidats. « La DSP limite le recours à des ro-ro pour les liaisons Marseille/Corse, alors que le port de Marseille dispose d’infrastructures adaptées à ce type de fret », illustrent les auteurs. N’étant pas soumis au mêmes contraintes que les navires passagers, ils pourraient pourtant faire baisser de 50 % les coûts, selon l’avis, « ce qui pourrait permettre de dégager des économies sur les subventions publiques et de baisser le coût du transport de marchandises ».
Imbroglio
Voilà un nouvel avis qui vient nourrir la littérature sur le sujet. Ce dossier sans épilogue est dans le collimateur de Bruxelles depuis des années, mais ces dernières semaines, l'autorité européenne s’est montrée plus radicale. La DSP, telle qu’elle est organisée actuellement, semble condamnée.
L’assemblée de Corse a prolongé début novembre jusqu’à fin février les cinq contrats de DSP entre Marseille et les ports corses (à Corsica linea pour Ajaccio, Bastia et L’Île-Rousse, et à La Méridionale pour Porto-Vecchio et Propriano) qui devaient expirer le 31 décembre et a retenu le principe d'un nouvel appel d'offres pour des DSP pour les 22 mois à suivre. Dans ce laps de temps des deux mois, la collectivité doit organiser un nouveau fonctionnement de la desserte pour la période du 1er mars 2021 au 31 décembre 2022. À cette date, l’exécutif corse souhaite que la desserte soit assurée par une société d’économie mixte (Semop).
Adeline Descamps