Démantèlement de navires : un été meurtrier

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Le troisième trimestre a été particulièrement cruel au Bangladesh, où échouent une grande partie des navires de la flotte mondiale en fin de vie. Neuf accidents distincts ont coûté la vie à sept personnes. Le démantèlement de navires reste un sujet en l’absence d’un règlement international, qui ne peut toujours pas s’appliquer faute de quorum atteint.

Selon l'ONG Shipbreaking Platform, qui recense tous les faits en lien avec le recyclage des navires, sept travailleurs ont perdu la vie au cours de neuf accidents distincts alors qu'ils démantelaient des navires sur une des plages du Bangladesh. « Il s'agit du pire trimestre en termes de nombre d'accidents dans l'histoire de la démolition de navires au Bangladesh », indique l’association. Les cinq premiers se sont produits en août et début septembre et les plus récents les 18 et 29 septembre au même endroit, à Chattogram. « Le 18 septembre, Liton Paul, 26 ans, est tombé de l'Oro Singa pendant des opérations de découpage au chantier de la SN Corporation. Le 29 septembre, la chute d'une plaque de fer a coûté la vie à Taslim, 36 ans, sur le Medan dans un chantier appartenant au groupe Kabir Steel. » Selon l’ONG, douze accidents, faisant neuf morts et douze blessés, ont été enregistrés chez SN Corporation depuis 2009. Rien qu'en 2021, deux travailleurs sont morts et cinq auraient subi de graves brûlures sur le chantier.

« Contournement des lois »

Ces accidents rappellent avec force les défis liés au démantèlement des navires dans des conditions respectueuses de la sécurité des employés et de protection de l’environnement. « Il existe des lois sur l'environnement et le travail qui réglementent le recyclage des navires, mais elles sont ignorées et facilement contournées par les propriétaires de navires, souvent avec l'aide d'acheteurs au comptant », dénonce avec constance l’ONG. Ceux-ci paient le prix le plus élevé pour les navires en fin de vie et, en général, ils rebaptisent, réenregistrent et changent de pavillon les navires lors de leur dernier voyage vers les chantiers d'échouage. »  

Elle rend notamment GMS responsable de cette situation. L'un des grands négociants mondial de navires en fin de vie, « à l'origine d'une part importante du tonnage total échoué chaque année dans le sous-continent indien, se vante d'être leader de son secteur. Pourtant, il traite avec les pires destinations de démantèlement de navires de la planète », accuse Shipbreaking Platform.

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Une ratification en attente de signataires...

Les armateurs, respectueux des règles, poussent de leur côté pour que la Convention internationale de Hong Kong soit promulguée, la clé des enjeux selon eux. Le traité international impose, entre autres, aux propriétaires de flotte de fournir aux chantiers de démantèlement un inventaire des matières potentiellement dangereuses et aux chantiers d’établir un « plan de recyclage », précisant la manière dont chaque navire sera démantelé, en fonction de ses caractéristiques propres et de cet inventaire et dans le respect de la sécurité des employés et de protection de l’environnement.

Mais si le texte, rédigé sous l'égide de l'OMI, d’ONG, de l'Organisation internationale du travail (OIT) et des parties prenantes de la Convention de Bâle, est ouvert à la signature depuis le 1er septembre 2009, il n’est toujours pas entré en vigueur, faute du quorum de ratification atteint, fixé à 15 États et au moins 40 % de la flotte mondiale de navires marchands. 

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630 navires démantelés en 2020

Selon les données de l'ONG, 630 navires marchands et unités offshore ont été vendus aux chantiers de démantèlement en 2020. Sur ce total, 446 d’entre eux ont été démantelés sur trois plages d'Asie du Sud-Est. Invariablement, selon les années, la baie d’Alang en Inde (153 parcelles dédiées à la démolition sur une côte de 10 km), les plages de Chittagong au Bangladesh et de Gadani au Pakistan, concentrent près de 90 % du tonnage mondial démantelé.  

En Europe, durcissement des règles

Le recyclage des navires battant pavillon européen est régi par un règlement européen. Entré en vigueur le 1er janvier 2019, il rend obligatoire le démantèlement dans des sites agréés par Bruxelles. Dans la liste européenne, figurent une quarantaine de sites, dont 34 dans les États membres de l’UE avec la Norvège et l’Irlande. Parmi les neuf chantiers hors UE, huit se trouvent en Turquie et un aux États-Unis. Mais aucun en Asie.

L'Inde appliquant la méthode d'échouage (les navires sont d'abord échoués, puis démontés), autorisée par la convention de l'OMI mais interdite par les règles européennes, aucun de ses chantiers ne figure sur la liste de l'UE. Les récents audits de la Commission européenne en octobre 2019 et janvier 2020 n’ont pas été concluants. Sur les quatre candidates chinoises et les 20 en Inde, aucune n’a été retenue. Les installations indiennes ont été mises en défaut sur 34 points. Quant à la Chine, elle s’est de facto placée hors-jeu en fermant ses portes à l’importation des déchets, dont font partie les navires depuis un récent amendement à la Convention de Bâle.  

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Extension de la liste européenne à des pays tiers

La liste européenne est un un sujet de tensions. Les armateurs européens ont toujours soutenu, via leur instance de représentation professionnelle, que les seuls chantiers européens ne seraient pas suffisants pour assurer le démantèlement des navires, du fait de leur faible disponibilité (activité concentrée sur les activités plus rentables de la réparation navale et les travaux offshore) et de capacité. Les exploitants et propriétaires de flotte militent, pour cette raison, en faveur d’une extension de la liste « européenne » à des sites extra-communautaires dès lors qu’ils se conforment aux exigences. Et pour les armements, la convention internationale de Hong Kong est le marqueur de référence. 

Dernièrement, un autre sujet s’est invité dans les instances européennes. Depuis décembre 2019, un amendement à la Convention de Bâle interdit l'exportation de déchets dangereux vers des pays qui ne font pas partie de l'OCDE, comme l'Inde. La Convention a déjà statué sur le fait que les navires peuvent être considérés comme des déchets dangereux en raison de la présence d’amiante, métaux lourds, hydrocarbures, etc. 

Pourtant, la législation européenne permet aux navires battant pavillon de l'UE d'être exportés vers toute destination figurant sur une liste d'installations de recyclage de navires approuvées par l'UE, qu'elles se trouvent ou non dans un pays en développement. Bruxelles se trouve donc, sur ce point, en infraction avec la législation internationale. 

Adeline Descamps

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