Contexte budgétaire : les armateurs sur la défensive, études à l'appui

Crédit photo ©Nautilus
Dans un contexte de remise en cause des acquis, la publication d'une étude portant sur l’empreinte socio-économique du groupe CMA CGM en France mandatée par le groupe français, questionne. Moins surprenante est celle de l’Institut Sapiens, soutenue par Armateurs de France, sur les conséquences qu’aurait la suppression de la taxe au tonnage pour le pavillon français.

Dans un contexte budgétaire tendu, c'est un bien curieux moment pour « sortir » une étude portant sur « l’empreinte socio-économique du groupe CMA CGM en France », qui plus est, réalisée en août et conduite par le cabinet Asterès à la demande de CMA CGM. Moins surprenante est celle de l’Institut Sapiens, publiée le 20 octobre sur les conséquences qu’aurait la suppression de la taxe au tonnage pour le pavillon français et les équilibres qui découleraient du régime fiscal dont bénéficient les exploitants de navires (qui dérogent à l’impôt sur les sociétés en choisissant d’être taxés sur le tonnage net plutôt que sur leurs résultats d'exploitation).

Cela fait plusieurs mois qu'Armateurs de France, qui en a tenu le crayon, fait de la pédagogie pour ne pas laisser accroire qu'il s'agit d'une niche fiscale illégitime et injustifiée. À l’époque, il n’était pas encore question du trou abyssal (60 Md$) des finances publiques mais il s'agissait de ne pas laisser sans réponses des propos tenus par des candidats en campagne pour les législatives. Le président du RN, Jordan Bardella, avait laissé entendre que ce cadeau fiscal représentait un manque à gagner pour les finances publiques du pays, de l’ordre de 5 Md€ par an. Un montant correspondant peu ou prou à une donnée de la cour des comptes mais pour une année hors norme et liée aux résultats exceptionnels réalisés par la CMA CGM durant la pandémie. Il avait omis de préciser qu’entre 2010 et 2020, l’impact budgétaire avait coûté en moyenne aux finances publiques 46,4 M€ pour l’ensemble des 57 armateurs français concernés.

Dans le cadre des débats parlementaires du projet de loi de finances (PLF) 2025, la taxe au tonnage a été préservée mais plafonnée à 500 M€, ce qui pourra éventuellement mettre dans l’embarras le seul armateur français CMA CGM, numéro trois mondial dans le conteneur. À vrai dire, la plupart des mesures contenues dans le PLF 2025 le concernent prioritairement. En revanche, le PLFSS ( portant sur la sécurité sociale) prévoit de supprimer le bénéfice des exonérations de charges patronales mises en place par la loi sur l'économie bleue Leroy de 2016.

Il est aussi question de la fin des exonérations de charges salariales accordées aux ferries après la crise sanitaire et du Fonds d’intervention maritime, si bien que les crédits de paiement des Affaires maritimes baisseraient de 16 % et les autorisations d’engagement de 30 %.

Un effet sur l'économie française estimée à plus de 20 Md€

C’est dans ce contexte qu’Asterès publie, de façon circonstanciée mais nuisant à so son sujet qui ne manque cependant pas d'intérêt, son étude sur la puissance d’enrôlement de CMA CGM sur l'économie et l'emploi du pays. Le document rédigé par Sylvain Bersinger, dont les conclusions « n’engagent que les économistes de l'organisme ». évalue l'impact direct et indirect du groupe français (via ses dépenses dans la chaîne de fournisseurs, ses investissements, les salaires versés, la consommation de ses salariés, etc.) à 20,4 Md€ (dont 7,9 Md€ d’activité directe) et 93 700 emplois en équivalent temps-plein (19 200 ETP directs).

Ce qui revient à dire qu’en dehors de sa propre sphère, CMA CGM génère un chiffre d’affaires de plus de 12 Md€, 6 Md€ de valeur ajoutée (979 M€ en Ile-de-France, 762 M€ en Paca) et 74 500 emplois. Et sous-entend qu’un emploi direct chez le transporteur et logisticien en induit 3,9 dans le reste de l’économie (il est en moyenne nationale de 1,8) et qu’1 euro dépensé par l’entreprise profite à hauteur de 2 euros au pays. Dans les 12,6 Md€ de chiffre d’affaires en ruissellement, le secteur du transport et entreposage en a profité à hauteur de 4,2 milliards, avec à la clé, 27 600 ETP.

Toutes les régions en profitent

Sans surprise, c’est le territoire où est basé son siège (Marseille) et l'Ile-de-France qui en profitent en premier lieu, avec notamment 9 877 emplois engendrés en Paca et 1,5 Md€. Sur ses 160 000 salariés répartis dans les 160 pays où l’armateur est implanté, 13 % des effectifs sont en France dont 6 200 (environ 32 %) dans la région de son siège. Les entités françaises du groupe sont comptables de 7,9 Md€ de chiffre d’affaires en 2023 sur les 43,5 Md€ enregistrés à l’échelle mondiale (18 % de son chiffre d’affaires donc). Les éléments comparaisons avec d’autres grands groupes manquent dans cette étude qui se réduit à un déluge de chiffres.

35 % du total des conteneurs manutentionnés en France

Une autre donnée est celle qui concerne le transit dans les ports. En 2023, CMA CGM a permis aux ports français de traiter plus d’un million de conteneurs (moitié à l'export et à l'import), soit 35 % du total des conteneurs manutentionnés dans l’Hexagone (ce qui paraît très élevé) et 12 % du fret maritime en vrac. Le groupe, qui possède une filiale de commission de transport (Ceva) et une compagnie aérienne, représenterait par ailleurs 10 % du fret aérien transitant dans les aéroports de l’Hexagone.

Un marché très volatile

L’étude de Sapiens n’apporte, elle, aucune information de plus sur la taxe au tonnage qui n’ait été déjà dite ici, , ou encore à cet endroit voire encore là, sur les bénéfices de la taxe au tonnage pour l’économie française, ses conséquences si les armateurs en étaient privés, les risques pour les équilibres sous-jacents, son coût réel, le caractère irréversible d’une telle décision…

La taxe au tonnage est conçue pour s’adapter à un marché très volatile et à un secteur où les investissements sont lourds, est-il rappelé. Après les années noires de 2000, la décennie morose dans les années 2010, les années 2020 sont, elles, marquées par une très grande volatilité. En témoigne le prix moyen d’un conteneur de 40 pieds qui était de 1 500 $ en 2020 (données Freightos Baltic Index), de 11 000 $ en 2021, redescendu à 2 500 $ avant de remonter à 4 500 $ en 2024.

Sans doute cela n’est-il pas suffisamment dit, ce que l'étude a le mérite de faire, mais le dispositif n’est pas un chèque en blanc. L’armateur français doit en effet domicilier sa gestion technique et opérationnelle ainsi que son siège social en France. Il s’engage également à immatriculer 25 % de sa flotte sous pavillon européen. « Ils vont généralement plus loin en optant spécifiquement pour un enregistrement français plutôt qu'européen. Si la législation impose que 25 % des marins à bord des navires sous pavillon Rif soient européens, ils choisissent pour la plupart qu'ils soient français », soutient l’étude, fidèle à la réalité du shipping français.

Note à l'intention du législateur

Enfin, petite note à l’intention du législateur, « les recettes de la taxe au tonnage ne sont pas captives. L’activité actuellement taxée en France sous ce régime ne le sera plus demain si le secteur revient à l’imposition au taux général de l’impôt sur les sociétés », avertissent les auteurs.

Un changement de pavillon est si vite arrivée, faisait valoir le député Charles de Courson, rapporteur de la commission des Finances à l’Assemblée nationale. Un changement de pavillon est faisable en quelques heures, a-t-il prévenu, la perte de compétitivité immédiate les contraignant à s’orienter vers des juridictions fiscalement plus hospitalières…

Et pour les armateurs qui n’auraient pas d’autres choix que de rester en France ? Leur activité serait-elle viable avec un taux d’imposition de 25 % sur des bénéfices, « nécessaires pour financer des investissements gigantesques » ? questionne faussement le plaidoyer.  La décarbonation de la filière maritime française est estimée entre 75 et 110 Md€ pour la période 2023-2050 selon la feuille de route rendue l'an dernier par la filière au gouvernement.

Adeline Descamps


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