Le gestionnaire du canal de Panama dose sa communication comme il a géré ces derniers mois les passages de ses clients, les navires. À savoir au compte-gouttes et en donnant régulièrement des nouvelles de son état hydrique au risque de créer la confusion. Car les intentions du gestionnaire ne résistent pas face aux humeurs climatiques, qui hésitent encore entre pluies et sécheresse.
Après s’être engagé à ne plus émettre de nouvelles restrictions au moins jusqu'en avril-mai, date du début de la saison des pluies, l'administrateur du passage maritime mondial essentiel aux transits entre l’Asie et la côte est-américaine (3 % du trafic maritime mondial) a annoncé fin mars qu’il envisageait un retour à la normale du trafic avant février 2025, soit 36 passages quotidiens.
Ce 15 avril, l'autorité du canal de Panama (ACP) passe à l’acte en rendant possible le passage de cinq navires supplémentaires par jour par rapport à sa précédente jauge, soit 32 navires à partir du 1er juin, contre 27 depuis le 25 mars, niveau qui avait déjà été relevé, comparé aux 24 en janvier. Les pluies « divines » du dernier trimestre de l'année 2023 avaient permis au gestionnaire de rehausser le seuil initialement prévu de 20 à 24.
La sécheresse, ennemi public numéro un au Panama
« La saison des pluies, qui commence maintenant, aura un impact sur le fonctionnement du canal », a justifié le patron du canal de Panama, Ricaurte Vasquez, qui compte sur le phénomène météorologique La Niña (se caractérisant par une augmentation des précipitations) pour faire oublier El Niño (dieu de la sécheresse intense). Ce dernier, aggravé par le réchauffement climatique, aura offert à l’isthme centraméricain sa troisième année la plus sèche depuis que le pays a commencé à tenir des registres il y a plus de 140 ans.
Cela fait des années que les autorités à Panama luttent contre leur pire ennemi. Mais le changement climatique s'est traduit ces dernières années par une évaporation plus marquée des deux lacs artificiels qui fournissent en eau le système d'écluses, celui d'Alajuela (qui menace la pêche) et du Gatun (trafic maritime), seule source d'eau du pays. Pour chaque passage, il faut déverser environ 200 millions de litres d'eau douce dans l'océan, que le canal puise dans un bassin hydrographique formé par les deux lacs.
Or sans eau, pas de navires ni devises étrangères. En 2023, les droits de passage et prestations ont rapporté 3,34 Md$ de recettes à l’État panaméen, soit 20 % de ses ressources.
Mise au point
« Bien qu'aucune réponse simple ni aucun projet unique ne puisse résoudre immédiatement le problème de l'eau, nous avons planifié des mesures à court et à long terme, à commencer par la mise en œuvre d'un système de gestion de l'eau plus robuste », explique l'ACP dans une mise au point via un communiqué de presse sur un ensemble de « mythes » et « réalités » le concernant. « Toutefois, les spécialistes de la voie navigable, en collaboration avec le Corps des ingénieurs de l'armée américaine, ont confirmé que les solutions techniques relevant de la juridiction du canal de Panama ne sont pas suffisantes », convient-elle.
Le conseil d'administration a présenté en septembre dernier une proposition au gouvernement qui pose deux options mais dont le périmètre déborde du seul bassin hydrographique du canal.
La première consiste à définir le bassin versant du canal et de modifier ou d'étendre les limites établies par la loi 20 de 2006. La seconde demande est d'éliminer les restrictions imposées au canal par la loi 28 de 2006 pour la construction d'un nouveau réservoir.
En attendant, l’administrateur n’a d’autres choix que la sobriété pour ne pas assécher ses réserves – rationaliser l’usage et donc restreindre le passage des navires – et l’optimisation de son stockage.
Répartition des passages au canal de Panama par catégories de navires (mars 2023-24). ©ACP
La congestion a été réduite
Selon le système de notification du canal, au 16 avril, 38 navires attendaient de pouvoir transiter (contre 65 en décembre et 115 en novembre), dont 10 sans réservations pour un temps d'attente moyen de 2,4 jours vers le Nord (contre 23 jours en fin d'année 2023) et de 1,2 jour vers le Sud (contre 16,4 j).
Les porte-conteneurs commencent à revenir
Les transits du canal de Panama ont augmenté de 12,8 % en mars par rapport à février selon les données publiées par l’ACP.
La voie d'eau frappée par la sécheresse, a accueilli 747 navires en mars : 218 via les plus grandes écluses (qui autorisent des navires néo panamax), principalement empruntées par les porte-conteneurs (jusqu’à 15 000 EVP), et 529 par les plus anciennes, transit en progression de 8,5 % et 14,8 %, respectivement
La situation s’améliore mais par rapport au même mois de l’an dernier, les passages aux écluses récentes étaient encore inférieurs de 22 % (et de 18 % par rapport à mars 2022). Le repli est encore plus prononcé aux dites « vieilles écluses » (- 36 % par rapport à mars 2022 et 2023).
Un signal positif ?
Compte tenu de l’amélioration, a indiqué le numéro deux mondial de la ligne régulière Maersk, le service OC1 (opéré avec MSC et Hapag-Lloyd) entre la côte est-américaine et l'Australie et Nouvelle/Zélande, retrouvera sa configuration initiale, en une seule boucle, dès le 7 mai au départ de Philadelphie avec un passage à Panama le 17 mai (vers le Sud).
Il avait été remplacé par une offre en deux boucles, dites Atlantique et le Pacifique, reliées au Panama par un pont ferroviaire terrestre.
Les petits porte-conteneurs, qui passent par les écluses originelles, n'ont pour leur part pas connu d'amélioration le mois dernier, leur nombre étant toujours plus faible (70 transits en mars, encore 18 de moins qu’en octobre).
Les grands transporteurs de gaz sont de retour
Les mouvements de méthaniers ont été beaucoup plus rares. Le GNL américain traverse l'Atlantique en direction de l'Europe ou contourne le cap de Bonne-Espérance en direction de l'Asie.
En revanche, Panama a enregistré 57 passages en mars de VLGC, gros transporteurs de gaz (+ 16 % par rapport au niveau le plus bas de janvier).
Selon le suivi de ces navires, ils empruntent deux fois plus (par rapport à Bonne Espérance) l’infrastructure pour le trajet aller, quand ils sont en charge, des États-Unis vers l'Asie. En revanche au retour, sur lest, ils passent par la pointe de l'Afrique.
Les vraquiers toujours rares
Les vraquiers, grands clients des écluses originelles, ont manifestement déserté et sont responsables en grande partie de l’érosion de la fréquentation enregistrée au cours des cinq derniers mois : 54 et 66 passages ont été relevés en mars contre 164 en octobre.
Les vraquiers chargés de céréales américaines destinées à l'Asie ont d'abord dérouté pour prendre le chemin vers l'Est, via le canal de Suez, avant de changer à nouveau d’itinéraire, contrariés par les attaques des Houthis, pour faire le grand tour de l’Afrique.
Des déboires qui font les affaires des voisins
Dans sa mise au point, l’administrateur n’a pas mentionné le projet de canal sec multimodal que l’État du Panama, à travers la voix de Rodolfo Samuda, directeur des affaires logistiques du ministère de la présidence, a présenté le 10 avril, selon l'AFP.
Il ne s'agit plus d'une vue de l'esprit puisque le décret de création d'une « nouvelle juridiction douanière spéciale », qui sert de cadre au projet, aurait été promulgué
Les déboires de Panama font les affaires de ses voisins. Le Mexique et le Honduras ont présenté des projets de chemin de fer interocéanique, très clairement positionnés comme une alternative au canal.
Adeline Descamps