À compter du 1er janvier, l’incoterm Free on Board (Franco à bord), imposé dès octobre 2019 aux importations de matériel de téléphonie, sera généralisé à l’ensemble des biens importés en l’Algérie. Vent debout contre cette mesure et la préférence affichée du pavillon national, les armateurs européens dénoncent la violation de l’accord euro-méditerranéen.
Ni loi, ni règlement… C’est une simple note du ministère algérien des finances du 29 septembre 2019, appliquée à la lettre par les banques algériennes lors des dépôts de lettres de crédits, qui a mis le feu aux poudres. Si avec le CFR (Coût Fret Rendu), c’était le fournisseur qui prenait en charge le transport maritime de la marchandise jusqu’au port de destination et payait le transport en euros, le FOB impose un paiement en dinars par le destinataire de la marchandise. Fret en dinars et 9 mois de crédit fournisseur, la coupe est pleine pour les compagnies maritimes qui refusent d’assumer de tels risques financiers. De sources concordantes, Marfret, MSC, CMA CGM, Maersk ont suspendu leurs services de début d’année…
« L’Algérie va au-devant des difficultés d’approvisionnement. Nous ne pouvons plus prendre de bookings et courir le risque d’avoir le fret immobilisé durant des mois en Algérie. Le point critique ce sont les formalités administratives, le fret payable en Algérie avec un délai de 9 mois. Les exportateurs et transporteurs maritimes sont complètement coincés », avertit Luc Portier, directeur des études chez CMA CGM.
Seule, la compagnie nationale CNAN, aux côtés de son nouveau partenaire turc Arkas en Méditerranée (depuis début décembre), continue son activité au fil de l’eau en vertu de cette fameuse note : « Les importateurs doivent recourir, en priorité, aux capacités nationales de transport maritime », écrit le ministère des finances.
Contraire à l'article 34
Dans un courrier en date du 9 décembre, adressé au premier ministre algérien, l’association des armateurs européens (European Community Shipowners' Associations, ECSA) dénonce cette préférence du pavillon national et ces règles qui contreviennent « aux principes libéraux du transport maritime international et qui violent l’article 34 de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et l’Algérie ». Cet article stipule que les deux parties signataires appliquent de manière effective « le principe de l’accès sans restriction au marché et aux trafics internationaux sur une base commerciale ». L’ECSA, qui fédère une vingtaine d’associations nationales d’armateurs européens, dénonce une distorsion de concurrence et demande au premier ministre de « reconsidérer ces mesures » qui vont à « l’encontre des pratiques commerciales habituelles et affecteront fortement les opérateurs économiques desservant les marchés algériens ».
« Refuser un paiement immédiat et demander un règlement à destination signifie de facto qu’il est demandé à la compagnie de transport de donner un délai de paiement jusqu’à un an, en plus du risque de non-paiement. Il sera impossible pour les compagnie maritimes d’entretenir des échanges commerciaux avec l’Algérie », considère l’ECSA.
« Les importateurs doivent recourir, en priorité, aux capacités nationales de transport maritime »
Prendre le risque de ne pas être payés
Sur le terminal de Mourepiane, qui réalise 60 % de son activité avec l’Algérie, l’inquiétude est grande. CMA CGM avait modifié son service sur le Maroc au bénéfice de liaisons maritimes vers l’Algérie avec trois rotations par mois de l’Aknoul dans les ports des ailes. « Si les compagnies maritimes maintiennent leurs positions et n’envoient pas leurs bateaux, l’Algérie ne pourra plus s’approvisionner. Les compagnies ne prendront pas le risque de ne pas être payées à l’arrivée. Qui prendrait ce risque ? », questionne Fatiha Jaureguy, responsable du département commercial au Grand port maritime de Marseille (GPMM). « Nous sommes attentifs à cette question sur laquelle nous avons été récemment saisi par les armateurs », explique le président de l’Union des Ports de France, Hervé Martel, par ailleurs directeur du GPMM.
Les professionnels avaient un espoir avec les élections présidentielles en Algérie. En attendant, ils naviguent à vue. « Je reste persuadé que l’Algérie va se rétracter sur cette décision et qu’une solution sera trouvée. Le nouveau président va très certainement revoir ces mesures. Les armateurs font du payable en Algérie avec les clients avec lesquels ils ont des contrats. Avec les autres, ils discutent les conditions et vont certainement les accepter. Pour un Shanghai-Alger, il faut compter environ 35 jours de délai de mer et y ajouter les délais de compte d’escale à 60 voire 90 jours », explique, plus mesuré, Rafik Belhadj, représentant de Bolloré Transport & Logistics et responsable de la chambre bilatérale franco-algérienne.
Nathalie Bureau du Colombier