Blé français : malmené par l'Algérie, dopé par la Chine

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La forte demande mondiale et la récente baisse des prix pourraient favoriser les exportations françaises de blé tendre, qui restent cependant bien faibles à destination de l’Algérie même si elles augmentent par rapport à la campagne précédente.

Malgré une légère baisse, les cours mondiaux du blé restent fermes du fait d'une demande croissante d'année et d’une offre limitée. « Les États ont pris des mesures pour assurer l’approvisionnement de leurs marchés intérieurs », a souligné Marc Zribi à l’issue du conseil spécialisé grandes cultures et marché céréaliers de France Agrimer. Il en veut pour preuve la confirmation par la Russie d’un quota de 8 Mt pour les exportations de blé du 15 février au 30 juin 2022 et le rehaussement de la taxe à l’exportation, mise en place en juin 2021 à hauteur de 28 $/t et passée à 98 $/t en janvier 2022. L’Argentine, qui a engrangé de belles moissons, a quant à elle plafonné les exportations de blé à 12,5 Mt pour l’ensemble de l’année.

Du côté des pays importateurs, on assiste à des baisses de droits de douane sur le blé au Brésil et au Maroc et à leur suppression en Turquie. À noter que l’Inde, habituellement importatrice, est devenue exportatrice nette de blé, avec des chargements record de 3,2 Mt sur sa campagne qui court d’avril à octobre.

Bouches à nourrir

Contrairement aux habitudes, c'est la demande qui cette année a soutenu considérablement les prix. À commencer par l'explosion de la demande chinoise, provoquée par une baisse de sa propre production et de ses stocks et la réorganisation de sa filière porcine, a ébranlé le marché. Et profité à la France, attristée de voir son premier client, l'Algérie, la délaisser pour la Russie.

Mais Bangladesh, Pakistan, Turquie, Iran, qui subissent pour les uns des aléas climatiques, pour les autres de fortes progressions démographiques, ne sont pas en reste. Ces quatre pays ajoutés à la Chine importaient 15 Mt il y a deux ans. Ils sont passés à 35 à 37 Mt sur la campagne en cours.

Ce phénomène de demande soutenue n'est pas prêt de s'arrêter et est désormais structurel. Avec une hausse annoncée de 600 millions d'habitants sur la planète d'ici 2030, les besoins vont encore s'accroître. Ils sont estimés à 80 Mt supplémentaires que les pays producteurs vont sans doute peiner à fournir, d'autant que ceux qui avaient le plus progressé ces vingt dernières années, Russie et Ukraine, semblent désormais avoir atteint leur plafond, qu'il s'agisse des surfaces emblavées ou des rendements obtenus. Quant aux États-Unis, ils ont cédé à la Russie le premier rang qu'ils ont longtemps occupé pour mieux se consacrer au soja et au maïs, de meilleur rapport.

Prix français compétitif

Bien que, sur cette campagne, l’Argentine et l’Australie soient les plus compétitifs sur le marché du blé, la France tire son épingle du jeu avec un prix FOB à Rouen inférieur à celui de son principal concurrent, la Russie, prix qu'elle a elle-même alourdi avec ses nouvelles taxations. Figurant parmi les premiers acheteurs mondiaux, l’Égypte a réduit ses achats par rapport à l’an dernier. À fin décembre, 3,77 Mt ont été importées, soit 15 % de moins qu’au cours de six premiers mois de la campagne précédente. La France se positionne cette année sur ce marché, avec un premier achat de 60 000 t le 29 décembre par l’Égypte. Cette dernière vient d’agréer la Lettonie parmi ses fournisseurs officiels mais privilégie habituellement l’origine mer Noire.

La campagne ukrainienne d’exportation a été très dynamique jusqu'en début d'année, en particulier pour les orges, dont 93 % des ventes prévues ont été effectuées, mais aussi pour le blé avec seulement 7 Mt restant à exporter. La dynamique est moins forte en Russie, où il reste 14 Mt de blé à vendre sur les marchés étrangers pour un disponible initial équivalent.

Conflit dans l’air

Mais les tensions très fortes entre Ukraine et Russie – qui représentent à eux deux la première zone d'exportation de céréales au monde – et le risque d'un conflit armé bousculent les trafics et les cours. Chargements et livraisons se sont accélérés sur les premières semaines de 2022 afin de dégager le plus de tonnage possible avant un possible début des hostilités armées.

À la mi-février, FranceAgriMer rappelait le poids des deux pays sur le marché des céréales, avec 30 % des exportations mondiales de blé et d'orge. Une occupation russe de l'est de l'Ukraine la priverait de 30 % de ses orges et 40 % de son tournesol, de son blé et de son maïs. Un tel cas de figure se traduirait immanquablement par un renchérissement des prix dopés par la crainte des pays clients de manquer d'approvisionnement et l'organisation probable de nouveaux flux.

Parité dollar-euro favorable aux exports européens

Depuis le début de l’automne, le redressement du dollar, qui s’explique par la normalisation de la politique monétaire américaine, redonne de la compétitivité aux exportations européennes. Par ailleurs, la baisse des taux de fret favorise le transport maritime : le Baltic Dry Index, qui avait atteint 5 700 points fin septembre, a été plombé par la baisse de la demande chinoise en charbon. Il s’est fixé autour de 2 200 points début janvier, soit le niveau d’il y a un an.

L’ensemble de ces éléments favorise les exportations françaises, même si France Agrimer les estime bridées par les faibles achats de l’Algérie. Mais l’organisme parie sur les nouveaux volumes à destination de l’Égypte – qui multiplie ses sources d'approvisionnement et fait quelques infidélités à ses fournisseurs traditionnels de la mer Noire –, du Maroc, client traditionnel, et surtout de la Chine, devenue le premier débouché des blés français.

Prévisions revues à la baisse

Les importations algériennes de blé français, sur les premiers mois de la campagne 2021-2022, ont atteint 1,2 Mt, le double du volume de l’an dernier sur la même période. Mais la moyenne décennale tourne plutôt autour de 2 Mt sur la même période. Le record a été établi en 2018 avec 3 Mt.

En 2020, l'Algérie modifiait son cahier des charges concernant les dégâts d'insectes sur les grains afin d'ouvrir ses silos au blé russe. Les exportateurs français affichaient alors leur confiance dans la poursuite des échanges malgré cette révision des critères. Las, la suite ne leur a pas donné raison. La crise diplomatique entre la France et l'Algérie a donné un coup de frein supplémentaire aux exportations de la première vers la seconde, l'Algérie préférant se tourner vers la Russie, mais aussi l'Allemagne et l'Argentine.

France Agrimer a finalement reconsidéré ses prévisions, leur appliquant une légère baisse : 7,7 Mt de blé français devraient être vendues à l’Union européenne et 9 Mt aux pays tiers.

Étienne Berrier

 


 

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