Les États-Unis restent les États-Unis. Tout y va très vite. Les opérations de déblaiement du pont Francis Scott Key, dont un pylône a été percuté par le porte-conteneurs Dali à 1 h 28 dans la nuit du 25 au 26 mars, sont en cours et deux chenaux ont déjà été ouverts.
Le premier, d’une profondeur de 3,35 m, a été ouvert du côté nord du navire dans les heures qui ont suivi l’accident pour permettre l'accès à des navires de secours, des remorqueurs et des barges, chargés de dégager les débris.
Le navire de près de 10 000 EVP, sur lequel un pan de la structure de type cantilever s’est abattu, obstrue le passage de ce port, dont les trafics ro-ro (véhicules légers de machines agricoles) et de vrac sec (charbon, gypse, cobalt) pèsent à l’international.
Un deuxième chenal, d'une profondeur de 4,6 à 4,9 m, est d'ores et déjà côté sud, pour permettre l’accès à plus de navires de services et à des « navires commercialement essentiels », dont le tirant d'eau est inférieur à à 10 m.
Un troisième passage, de 6,1 à 7,6 m – le chenal dit fédéral, celui qu'empruntent les navires marchands –, devrait être prêt rapidement. Ces trois couloirs devraient permettre au port de retrouver 15 % de son activité commerciale d'avant l'effondrement du pont.
L'objectif est de mettre en place un canal plus profond d'ici la fin du mois et de rendre au port sa pleine capacité opérationnelle d'ici la fin du mois de mai.
En attendant, un périmètre de sécurité d’un peu moins de 1 700 m2 ceinture la zone du sinistre, interdite sans l'autorisation des autorités portuaires. Les activités de certains terminaux situés en dehors de la zone touchée ont toutefois repris. Selon les experts, la réouverture complète pourrait prendre encore un mois.
Opération plus difficile que prévu
Sous l'eau se trouve un enchevêtrement d'acier et de poutres et les hommes de terrain font part de difficultés à découper la structure en morceaux afin de les rendre plus maniables pour les sortir de l'eau, a indiqué le contre-amiral Shannon Gilreath, des garde-côtes américains. En amont, des grues avaient été installées dont la Chesapeake 1000, que la presse a retenue parce qu’elle est la plus grande grue de la côte est-américaine.
« Il est très difficile de déterminer où et comment couper », a précisé le colonel Estee Pinchasin, du Corps des ingénieurs de l'armée américaine, au cours d’une conférence de presse relayée par Reuters. Les équipes d’intervention sont surprises. Il a fallu 10 heures pour dégager un premier morceau de 200 t.
« Nous parlons de quelque chose qui a presque la taille de la Statue de la Liberté », a déclaré le gouverneur Wes Moore lors d'une conférence de presse en début de semaine, si bien que les autorités ont refusé d'estimer le temps qu'il faudrait pour dégager le port.
Une première enveloppe de 60 M$
À la demande de l’État du Maryland, le ministère américain des Transports a débloqué la semaine dernière une première enveloppe d’urgence de 60 M$. Joe Biden devait se rendre sur les lieux du sinistre le vendredi 5 avril. Le président américain en campagne pour sa réélection s’était montré particulièrement réactif, quelques heures à peine après le sinistre, en demandant au Congrès de prendre en charge la reconstruction de l’artère du pont endommagée. Chubb, l'un des géants du secteur de l'assurance des biens, est l'assureur principal du Francis Scott Key.
Le temps de l'instruction a démarré
L'Amérique étant l'Amérique – « patrie » que l’on dit encline aux contentieux –, les juristes sont déjà à l’œuvre. Du moins, les langues se délient sur la possible répartition des responsabilités.
Dès les premiers jours suivant le sinistre, l’avarie commune semblait exclue mais elle pourrait être finalement réclamée par les propriétaires du navire au vu des remontées des équipes en charge des opérations.
La disposition, qui impliquerait la répartition des coûts avec les chargeurs, n’est cependant pas du goût des souscripteurs de l’assurance marchandises et de l'Union internationale de l'assurance maritime (IUMI, International Union of Marine Insurance).
Les assureurs ont déjà fait savoir qu’ils s'attendaient à des pertes de plusieurs milliards de dollars, si l'on additionne la reconstruction du pont, les indemnisations des familles endeuillées et des blessures corporelles, les coûts de sauvetage, les réparations du navire (la coque semble toutefois intègre), les marchandises à bord du navire (le navire de 9 962 EVP était chargé de 4 679 EVP dont 56 contenant 764 t de matières dangereuses, de classe 9) mais aussi celles qui seront déroutées, la couverture des retards et des pertes d'exploitation...
Assurance et réassurance
La responsabilité personnelle des assurances devrait être limitée dans la mesure où ils se réassurent mutuellement en partageant les sinistres supérieurs à 10 M$ grâce au P&I, sorte de mutuelles d'assurance mariitme. Ainsi, le P&I Britannia ne sera responsable qu'à hauteur des 10 premiers millions de dollars.
La tranche comprise entre 10 et 100 M€ sera ensuite répartie entre les 12 membres de l'International Group of P&I Clubs (IGP&I). Au-delà de 100 M$ et jusqu’à 2,1 Md$, un autre pool de réassureurs (« Group general excess of loss ») prendra le relais.
Les P&I auront la charge de l'indemnisation des familles des personnes décédées ou blessées dans l'accident qui a tué six des huit ouvriers du bâtiment qui travaillaient sur le pont enjambant la rivière glacée du Patapsco. Deux personnes ont été sauvées, deux autres ont été repêchées, quatre sont présumées décédées tandis que quatre voitures ont été emmenées par l’effondrement.
Limitation de responsabilité à 43 M$
La Cour fédérale américaine a déjà reçu une requête dans laquelle il est affirmée que « la faute », « la négligence », le « manque de diligence » de la part des requérants, propriétaires, des exploitants du navire ou de toute personne ou entité (dont les actes peuvent être imputées) ne peuvent être tenus responsables.
Grace Ocean et Synergy Marine, le propriétaire et gestionnaire du navire, basées à Singapour, ont en effet déposé le lundi 1er avril une requête conjointe auprès du tribunal fédéral du district du Maryland afin de limiter leur responsabilité à environ 43,7 M$ (la valeur du navire et de la cargaison affranchie du coût des réparations et du sauvetage).
Les armateurs bénéficient, par la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, du droit légal de limiter leur responsabilité. Mais les États-Unis traitent aussi la question par le biais d'une législation nationale.
L'inspection de contrôle par l'État du port à San Antonio avait accrédité les déclarations de l'équipage ayant signalé une perte de puissance peu de temps après avoir quitté le port de Baltimore et être entré dans le chenal, les remorqueurs avaient alors largué les amarres. Le système de propulsion du navire a été défaillant à deux reprises et l'équipage a jeté l'ancre après la deuxième perte de puissance.
Mise à l'épreuve des nouvelles règles de surestaries
En attendant, alors que la plupart des grands armateurs ont annoncé des changements d’itinéraires et la résiliation du contrat de transport une fois les déchargements des conteneurs dans d'autres ports de la côte Est américaine effectués, la FMC s’attend à une croissance des litiges pour les frais de stationnement (détention et surestaries) des conteneurs.
L’autorité américaine qui règlemente le transport maritime est aguerrie par la période pandémique durant laquelle les terminaux étaient tellement saturés que les remorques des transporteurs routiers (appelées châssis), utilisées pour tirer les boîtes, étaient toutes mobilisées par des conteneurs vides. Les frais de franchise facturés aux chargeurs avaient explosé.
La situation est une mise à l'épreuve pour les nouvelles règles, plus protectrices, qui doivent entre en vigueur le 26 mai. Elles réglementent la manière dont les transporteurs maritimes et les exploitants de terminaux doivent facturer les frais « liés à la prise en charge et à la dépose tardives », délimite les délais de facturation et introduit une procédure de contestation.
Adeline Descamps
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