Après la pénurie, le trop-plein. Les conteneurs, ces vulgaires boîtes en acier qui ont tant fait défaut durant la pandémie au point de devenir essentiels, sont désormais guettés par le surplus. L’atténuation de la congestion et le ralentissement de la demande de transport libèrent les équipements qui se sont accumulés en excès dans la flotte au cours des deux dernières années. Selon des données convergentes, il y aurait plus de 6 millions d'unités en excès.
« Cette situation s'explique par le nombre record de nouveaux conteneurs livrés en 2021, soit plus de 7 millions d'unités, et par le fait que les affréteurs et les transporteurs maritimes se sont abstenus de retirer les vieilles boîtes », soutient Drewry dans l’actualisation de son Container Equipment Forecaster récemment publié. En conséquence, les conteneurs seraient actuellement vendus sur le marché secondaire à un rythme accéléré.
Achat en masse
Depuis l'été, « on constate une augmentation notable du nombre d'équipements restitués aux bailleurs, les compagnies maritimes n'ayant pas renouvelé et/ou prolongé leurs contrats ». Échaudés par la pénurie, les transporteurs maritimes ont par ailleurs acheté en masse des boîtes pour mieux maîtriser leur parc.
Il y a un an à la même période, sur une capacité de 25 MEVP de capacités à bord des 5 500 porte-conteneurs exploités par100 premier transporteurs mondiaux de conteneurs, l’équivalent de 11,4 MEVP relevait de la seule propriété des armateurs, Maersk en tête avec un parc de 2,36 MEVP, et China United Lines à l’autre extrémité du classement avec 599 EVP. La location de boîtes auprès des sociétés de leasing comme CAI, Cronos, Triton concernait un volume de 13,05 MEVP, MSC apparaissant en plus grand loueur avec 2,83 MEVP et Dalian Trawind, le plus petit, avec 345 EVP. Le nombre possédé par chargeur – qu’il soit Beneficial Cargo Owner (BCO, exportateur direct), transitaire ou NVOCC –, n’est pas renseigné par Alphaliner.
Depuis le début de l'année, près de 70 % des conteneurs livrés l’ont été à des transporteurs, ce qui constitue un renversement total de la tendance par rapport aux dix dernières années quand les loueurs de boîtes dominaient le carnet de commandes mondial.
Première contraction depuis 2009
Or les stocks de conteneurs chez les fabricants (chinois) sont actuellement particulièrement élevés, autour de 750 000 EVP à la fin du mois de septembre, l’emballement pour les nouvelles commandes devrait donc progressivement se refroidir. Pour Drewry, la production devrait chuter de manière drastique en 2023 et les conteneurs retirés du service ne pas faire l’objet d’un remplacement systématique.
À l'échelle mondiale, le parc d'équipements en service devrait approcher des 51 millions d’unités cette année mais redescendre en dessus des 50 millions en 2023 (49,3 millions). Pour 2023, Drewry estime la production autour de 497 000 EVP, un chiffre à peine supérieur à celui enregistré en 2009, après la crise financière mondiale. La baisse prévue de 3 % du parc mondial l’an prochain marquera d’ailleurs la première contraction depuis cette date. Pour les années d’après, de 2024 à 2026, Drewry s'attend à ce que le marché se redresse et que la production annuelle se rétablisse dans une fourchette de 4,4 à 5,2 millions d'unités.
Accumulation dans les dépôts
Sur les quais, les dépôts de conteneurs débordent, nouvelle manifestation du ralentissement économique et de la faiblesse de la demande alors que les taux de fret, sur certaines routes, ont déjà retrouvé leur niveau d’avant pandémie.
« Il n'y a tout simplement pas assez d'espaces pour accueillir tous les conteneurs », a signalé Christian Roeloffs, directeur général de xChange, dont l’offre de services file à la patte les mouvements de conteneurs. « Avec la libération des stocks de conteneurs sur le marché, du fait de la résorption de la congestion, la pression sur les dépôts va s'accroître dans les mois à venir », confirme le dirigeant, qui relaie les alertes d’un de ses clients, la société italienne Sogese, propriétaire de dépôts de conteneurs, faisant état de dépôts pleins au point de devoir refuser des demandes.
Frais de stationnement
Certains ports ont du reste déjà pris des mesures, prélevant des frais supplémentaires sur les conteneurs sans mouvements depuis plus de sept jours. L’application de pénalités rappelle les plus chaudes heures de la congestion à la nuance près que l’accumulation de conteneurs ne s’explique plus par un boom inédit de la demande mais par une récession imminente. Mais quelle qu’en soit la raison, elle impacte le repositionnement et le mouvement des conteneurs.
Près de 60 % des 200 transitaires, négociants et chargeurs auxquels Container xChange s'est adressé dans le cadre d'une enquête réalisée en octobre ont déclaré être aux prises avec des pressions à la baisse sur la consommation et donc la demande de conteneurs.
Des taux de fret inférieurs au niveau de 2020
Les dernières données sur les taux de fret délivrées par Xeneta, dont l’indice est établi à partir des taux communiqués en temps réel par les principaux chargeurs (fret aérien et maritime), confirment la bascule. Entre Europe du Nord et Asie, les tarifs sont désormais inférieurs de 6,8 % à leur niveau de janvier 2020, avant la pandémie.
Le tarif moyen d'un conteneur de 40 pieds standard serait tombé à 820 $, soit une perte de 1 000 $ en un an et demi. Pour Peter Sand, analyste en chef chez Xeneta, cette manifestation ne sera pas un cas isolé. « Cela dit, d'autres routes maritimes font actuellement preuve d'une plus grande résilience, comme entre la côte ouest-américaine et l'Extrême-Orient », soutient l’analyste.
Normalisation en mode accéléré
Sea-Intelligence n’a pas tout à fait la même lecture du marché. Alors que les prix sur les grands axes maritimes restent selon lui au-dessus du niveau de 2019, les baisses de taux les plus remarquables se produisent précisément sur les itinéraires les plus lucratifs pendant la crise sanitaire mondiale. Sea-Intelligence s’appuie sur le CCFI, qui suit les taux de fret au comptant et contractuels depuis les ports à conteneurs chinois vers une douzaine de destinations.
Alors que les taux entre l’Asie et l'Europe se sont normalisés de près de 70 % par rapport aux niveaux de 2019, les tarifs entre la Chine et la côte ouest des États-Unis ont presque atteint 80 % de leur niveau de 2019, écrit le cabinet d'analyse. Le degré de normalisation le plus rapide – 90 % par rapport à 2019 – a lieu sur les routes intrarégionales, reliant la Chine à l'Asie du Sud-Est.
En revanche, les liaisons entre la Chine et le Japon, où les taux étaient loin d'atteindre les mêmes sommets que les autres lignes pendant la pandémie, n'ont diminué que d'environ 30 % par rapport à la période prépandémique. Un cas de figure rare en tant qu’ilot préservé de l’embrasement généralisé des tarifs de transport.
Adeline Descamps