Voilà quelques trimestres que le leader mondial dans le transport maritime de conteneurs ne déroge pas à sa stricte ligne de conduite : la rentabilité en toutes circonstances. Søren Skou, le PDG d'A.P. Moller-Maersk a fait part de sa vision du marché lors d’une conférence téléphonique avec les analystes à l’occasion de la publication de son rapport financier.
La faible croissance des échanges, les tensions commerciales, les incertitudes géopolitiques sur de nombreux marchés ne l’avaient pas fait dérailler en 2019. Le Covid-19 ne l’a pas davantage désarçonné en ce premier trimestre. Le leader mondial du transport maritime de conteneurs AP Møller-Maersk avait clôturé l’année sur un chiffre d’affaires de 38,9 Md$, en léger retrait, mais avait réduit son endettement de 3,3 Md$ en 2019 (ce qui portait sa dette nette à 11,7 Md$), amélioré sa trésorerie (6,8 Md$ contre 5,1 Md$ en 2018), accru ses bénéfices et son cash-flow.
Le groupe a maintenu le cap au premier trimestre, selon son rapport financier publié ces derniers jours. La société a déclaré un chiffre d'affaires de 9,57 Md$, « malgré des volumes plus faibles et principalement grâce à Ocean ». La division, qui comprend les activités maritimes de Maersk (Maersk Line, Safmarine et Sealand), les marques Hamburg Süd et Aliança ainsi que les terminaux portuaires dits « stratégiques »*, représente autour de 73 % de son chiffre d’affaires.
AP Moller-Maersk tire profit de son orthodoxie budgétaire
Les revenus des trois premiers mois sont sensiblement du même niveau qu’à la même période de 2019 (9,54 Md$), mais le danois a enregistré un résultat net de 209 M$, contre une perte nette de 659 M$ il y a un an. Le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement a augmenté de 23 % pour s'établir à 1,52 Md$, et notamment celui de ses activités maritimes (Ocean) de 25 % pour atteindre 1,2 Md$. Dans sa division Logistics et services, le bénéfice d’exploitation est passé de 49 à 69 M$. Pour ses activités dans les infrastructures, qui comprennent les terminaux et le remorquage (Terminals & towage), les recettes sont en baisse, à 2,1 Md$ contre 2,3 Md$ pour la même période l'année dernière. Le groupe le justifie par l’entrée en vigueur des mesures de confinement.
« Ces bons résultats ont été obtenus au cours d'un trimestre marqué par une forte augmentation des coûts du carburant liée aux nouvelles réglementations IMO 2020 sur fond de contraction du commerce mondial due aux mesures de confinement dans la plupart des régions », a précisé Søren Skou, PDG d'A.P. Moller-Maersk, lors de la conférence téléphonique avec les analystes. Le dirigeant a fait de la grande discipline budgétaire le principal marqueur de sa gestion. La rentabilité de l’ex conglomérat aux intérêts diversifiés avait quelque peu souffert de son recentrage sur le transport maritime, les services portuaires et la logistique terrestre. Il a dégagé 506 M$ entre janvier et mars après paiement des loyers capitalisés et les dépenses d'investissement brutes hors acquisitions (Capex) ont été divisés de moitié (310 M$ contre 778 M$ au premier trimestre 2019).
90 navires immobilisés entre mars et janvier, 140 en avril et juin
Pour autant, les sombres perspectives ont pris le pas sur la confiance des marchés, les actions du groupe ont chuté de près de 5,53 %. Ses déclarations n’ont pas aidé. « Nous prévoyons que les volumes du deuxième trimestre diminueront de 20 à 25 % », a lancé Søren Skou, après avoir fait état de la réduction de voilure et d’une faible visibilité. Entre janvier et mars, les volumes chargés sont passés de 3,15 à 3,048 MEVP (- 3,2 % par rapport à l’an dernier). Et anticipant, le dirigeant n’a pas caché que les volumes d'avril avaient baissé de près de 20 %.
Sur le premier trimestre, plus de 90 navires ont été immobilisés, soit une baisse de 3,5 % de la capacité moyenne déployée notamment sur les lignes est-ouest (Asie vers Europe et Asie vers Amérique du Nord). Mais selon Søren Skou, la crise sur les marchés pétroliers crée une incertitude sur les échanges nord-sud (Amérique latine, Afrique). Le nombre de navires retirés du marché pourrait être porté à 140 entre avril et juin.
Søren Skou estime que la demande mondiale a chuté de 4,7 % en glissement annuel au premier trimestre, avec des échanges est-ouest en baisse de 5,7 % et intrarégionaux en repli de 5,5 %. Seul le commerce nord-sud resterait à flot (0,6 %). La flotte mondiale inactive aurait atteint 9,4 % de sa capacité totale, soit 2,2 MEVP, à la fin du premier trimestre.
Pas de comparaison possible avec 2008-2009
Pour le dirigeant, la consolidation du secteur et les alliances opérationnelles [2M, Ocean Alliance, THE Alliance, NDLR] « permettent d'ajuster la capacité de manière beaucoup plus simple et agile par rapport aux périodes de crise précédentes. Dans notre cas [Maersk fait partie de l'alliance 2M avec MSC, NDLR], si nous opérons 14 lignes de service par semaine en Asie-Europe du Nord et en Asie-Méditerranée, il est évidemment beaucoup plus facile d'en retirer une que si nous opérions dans le cadre d’un petit VSA [accord de partage de navires] qui opère une ou deux lignes ».
Il partage manifestement l’idée assez répandue selon laquelle la crise actuelle n’est pas comparable à celle de 2008-2009. « La grande différence, c’est le carnet de commandes », explique-t-il. « Il est assez bas aujourd'hui. Ce n'était pas le cas en 2008-2009. Aussi, à l’époque, la surcapacité était énorme. » Maersk a fait état d’une revenu par EVP de 1 999 $ au premier trimestre, soit une hausse de 5,7 % par rapport à l'année précédente, résultant précisément d’une grande discipline des transporteurs dans leur gestion de la capacité. Il y a dix ans, ils s’étaient lancés dans une guerre des prix mortifère.
Adeline Descamps
* ceux d’APM Terminals : Rotterdam, Maasvlakte II, Algesiras, Tanger-Med II, Port Saïd et ceux exploités en joint-venture de Salalah, Tanjung Pelepas et Bremerhaven
Le Off : Søren Skou veut que l'UE intervienne contre les aides d'État aux compagnies maritimes
Le PDG AP Møller-Maersk estime qu'il est « totalement inacceptable » que les compagnies maritimes asiatiques HMM et Yang Ming reçoivent une aide de leurs gouvernements. Il demande à l'UE d'intervenir, les renflouements publics faussant la concurrence.