[Focus sur la capture et stockage de carbone] Concorde entre cinq pays nord-européens en faveur du transport de CO2

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Nouvelle étape dans la mise en place d'un marché européen du captage et stockage du carbone. La Norvège, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède ont conclu le 18 avril des protocoles pour le transport transfrontalier du CO2.

Longtemps restée confidentielle, la technologie n'est plus ignorée des politiques publiques énergie-climat mais ne fait pas pour autant consensus.

La capture et stockage de carbone, qui consiste à capter les émissions de dioxyde de carbone à la sortie des cheminées d'usine en vue d’acheminer le CO2, après liquéfaction, vers des sites de stockage ultimes (CCS, carbon capture and stockage) ou à des fins de valorisation (CCU), est même controversée dans la mesure où elle peut être considérée comme un moyen de prolonger la durée de vie du pétrole. Et ainsi, donner un sursis à l'industrie pétrolière pour surseoir à une éradication du fossile. C'est du moins ce que soutiennent les ONG.

Pourtant, elle est tolérée, dans une phase de transition, par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), est soutenue par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) en raison de son potentiel de décarbonation à portée et est reconnue par le Haut Conseil pour le climat (avis positif rendu en décembre) pour sa pertinence à décarboner des secteurs industriels pour lesquels les solutions de décarbonation sont limitées, comme la cimenterie.

L'Europe du Nord, proactive

Les pays d'Europe du Nord sont très actifs dans ce domaine et en font à nouveau la démonstration. Le 18 avril, le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique et la Suède ont conclu chacun des protocoles d'accord pour le transport transfrontalier du CO2 avec la Norvège, considérée comme un potentiel cimetière de carbone grâce à ses anciens gisements d'hydrocarbures en mer. Le Danemark et la Suède ont fait de même entre eux. Plusieurs de ces pays étaient déjà liés par des accords bilatéraux dans le domaine du CCS.

Des projets sont déjà sur les rails en mer du Nord. Avec les danois Bifrost et Greensand conduit par Ineos et Wintershall DEA, 13 Mt de CO2 pourraient être injectés annuellement dans la mer du Nord. Mais le plus avancé reste Northern Lights porté par Equinor, Shell et TotalEnergies, qui devrait réceptionner à compter de 2025 du CO2 en provenance d'installations industrielles ou énergétiques pour le stocker « indéfiniment » sous les fonds de la mer du Nord.

La joint-venture entre les trois majors pétrolières a commandé en septembre son troisième navire de transport de CO2 liquéfié (LCO2) d’une capacité de 7 500 m3, alimenté au GNL avec assistance vélique.

Divisions européennes

Pour autant, les États membres de l’UE sont encore divisés sur le sujet bien que le procédé soit éligible à des financements européens via les programmes Innovation Fund, Connecting Europe Facility ou encore Horizon Europe.

En amont de la COP28, les échanges ont encore été vifs, la technologie étant diluée dans le débat sur la sortie des énergies fossiles dites « unabated » ou « abated », c’est à dire atténuées ou non par des mesures comme le captage ou stockage du CO2.

Mais dans le cadre de la révision des objectifs de la feuille climatique européenne, qui prévoit d’insérer une cible intermédiaire de 90 % d'ici 2040 pour être en mesure d'atteindre une neutralité carbone en 2050 – horizon inscrit dans l’accord de la COP 21 pour limiter les effets de serre –, le CCS est considéré comme de nature à abattre d'importants volumes de carbone.

Une proposition de loi sera présentée par la prochaine Commission, après les élections européennes de juin, et devra être ensuite approuvée par le parlement européen et les États membres, comme l'exige la loi européenne sur le climat.

Dans son règlement pour une industrie « zéro net », la Commission a proposé un objectif d’au moins 50 Mt par an de CO2 stocké d'ici à 2030 (équivalent des émissions annuelles de CO2 de la Suède en 2022). Mais avec sa nouvelle cible, il faudra atteindre les 280 Mt d'ici à 2040.

En France, la position s'est précisée

Dans l'Hexagone, la stratégie nationale bas carbone de 2020 (qui doit être révisée) soutenait un objectif de 5 Mt de CO2 captés annuellement dans l’industrie à l'horizon 2050. Mais lors d'un déplacement à Toulouse le 11 décembre 2023 dans le cadre des deux ans du plan France 2030, le président Emmanuel Macron semblait avoir évolué sur le sujet.

« Les technologies de captage, de transport et de stockage du carbone sont un levier très important de notre transition écologique. Il y a un débat qui peut prêter à confusion sur ce sujet. Il y a ceux qui vous expliquent qu’elle va régler tous les problèmes et qu’on va pouvoir faire comme avant avec les énergies fossiles, parce qu'on va réussir à le capter puis à le stocker. C'est faux. Peut-être que dans 20 ou 30 ans, on saura totalement décarboner un site de cimenterie sans passer par du CCS Aujourd'hui, ce n'est pas vrai. Comme on veut les décarboner vite, on doit passer par ces technologies-là et donc on va accélérer nos financements ».

À cette occasion, le chef de l’État, qui souhaite que le potentiel géologique en France métropolitaine puisse être étudié, a annoncé un objectif de traitement de 10 % des émissions industrielles incompressibles d'ici 2030, soit 8MtCO2 grâce à des technologies de capture de carbone.

« Les mécanismes d'aide à la décarbonation pourront ainsi soutenir les premiers projets en France dès 2024, ce qui veut dire qu'on va passer les textes dès les prochains mois », assurait-il en décembre.

Un projet en France engagé

En juillet, TotalEnergies, Heidelberg Materials (matériaux et solutions de construction, ciment, granulats et béton prêt à l’emploi), Lafarge (ciment), Lhoist (production de chaux) et les deux opérateurs gaziers GRT gaz et Elengy (trois terminaux méthaniers à Montoir-de-Bretagne sur la façade atlantique, Fos Cavaou et Fos Tonkin en Méditerranée), ont lancé les études de faisabilité portant sur l’exploitation à horizon 2030 d’un projet de captage de CO2 dans le Grand-Ouest (Pays de la Loire et Nouvelle-Aquitaine), en s’appuyant sur le port de Nantes-Saint-Nazaire.

Le CO2 issu des fumées industrielles de leurs sites serait acheminé par canalisation jusqu’aux terminaux portuaires en vue d’un enfouissement dans des zones de stockage ultimes. Le site, dont la localisation n’est pas précisée, est projeté sur une capacité de 2,6 Mt par an à l’horizon 2030.

Soutenu par la région Pays-de-la-Loire, il pourrait à terme transporter et exporter jusqu’à 4 Mt de CO2 en 2050, soit plus de 75 % des émissions industrielles des deux régions, selon les industriels, qui estiment l’investissement à 1,7 Md€.

Des industriels des Hauts-de-France portent par ailleurs une démarche nommée « Cap décarbonation » qui comprend le captage, le transport et le stockage du carbone (CCUS). Cela suppose, entre autres, de nouvelles installations près du terminal méthanier de Dunkerque LNG à Loon Plage.

Comme le projet dans son ensemble bénéficie d’aides financière d’un programme européen, le calendrier est contraint. Le captage et l’exportation des premières molécules de CO2 devront être opérationnels avant la fin de l’année 2027. La décision d’investissement pourrait être prise fin 2024 (après enquête publique). Les travaux de construction sont prévus entre 2025 et 2027, pour une mise en service fin 2027.

44 Mt de CO2 captés au niveau mondial

Selon un rapport de l’association Équilibre des Énergies publié en avril, 44 Mt de CO2 ont été captés au niveau mondial par 35 sites en exploitation en 2023, soit « à peu près un millième des émissions totales annuelles de CO2 d’origine humaine recensées sur la planète », précise l’organisation.

L'AIE recense, de son côté, 200 projets susceptibles de capter 220 Mt de CO2 en 2030 en Europe (dont le projet Northern Lights en mer du Nord).

La structure du marché et des coûts, l'accès des tiers, les normes de qualité, les volumes de CO2, les procédures d'autorisation des projets, les sites de stockage potentiels, les incitations à l'investissement pour les nouvelles infrastructures, les autorités de régulation compétentes, la réglementation tarifaire… seront autant de points qui devront être définis par un futur cadre réglementaire. Le coût de mise en place du CCS reste encore dissuasif par rapport à l'achat, par exemple, de quotas carbone.

Infrastructure de transport du CO2, un élément clé

Quoi qu’il en soit, l'infrastructure de transport du CO2 est un élément clé pour ces technologies. Selon une étude du Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne, elle pourrait s'étendre sur 7 300 km et son déploiement nécessiterait jusqu'à 12,2 Md€ d'ici 2030 et 16 Md€ en 2040 si le réseau couvre 19 000 km. Plus de 90 Mt par an de CO2 seront expédiés chaque année d'ici la fin de la décennie, assure Rystad sur la base des projets programmés. Dans ce cas, 55 navires et 48 terminaux portuaires seront nécessaires.

Adeline Descamps

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