Il reste à peine une vingtaine de jours avant que le système européen d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SCEQE) ne devienne réalité. Au 1er janvier, le transport maritime entrera dans sa première année au sein du marché carbone européen qui concernait jusqu'à présent exclusivement les secteurs à forte consommation d'énergie.
Bruxelles exigera alors des armateurs qu'ils achètent des crédits pour chaque tonne d'émissions de CO2 émise lors des voyages et escales entre deux ports de l'UE et de l’Espace économique européen (UE + Islande, Liechtenstein et Norvège) ainsi que pour la moitié de leurs émissions lors de transports entre un port des Vingt-Sept et un autre d'un pays tiers.
Après Maersk, CMA CGM, Hapag-Lloyd et Evergreen, c’est au tour des armateurs de porte-conteneurs ZIM (israélien), ONE (japonais) et OOCL (Hong Kong, filiale de Cosco) de faire part de la grille tarifaire qui leur permettra de compenser le surcoût généré par l'entrée dans le mécanisme.
Dioxyde de carbone, méthane et consorts
Pour rappel, chaque année, un nombre de quotas européens (EUA) sera mis à disposition des échanges sur le marché, dont le volume sera réduit afin que l'UE atteigne son objectif de réduction de 55 % des émissions de GES d'ici 2030 par rapport à 1990, et de zéro net d'ici 2050.
Les compagnies maritimes devront soumettre des quotas équivalents à 40 % de leurs émissions en 2024 puis à 70 % en 2025 avant de couvrir la totalité en 2026. Ces règles s'appliquent aux navires de charge et de passagers de plus de 5 000 de jauge brute (GT) à partir de 2024 tandis que les navires offshore de plus de 5 000 GT seront concernés dès 2027.
Le SCEQE couvrira dans un premier temps les émissions de dioxyde de carbone, puis sera étendu au méthane et au protoxyde d'azote à partir de 2026.
Une facture collective de 7 Md$
Sur la base d’un pétrole entre 85 et 95 $ par tonne de CO2, le Lloyd's List a estimé que le mécanisme pourrait coûter plus de 7 Md$ par an au transport maritime. En cela, le Lloyd’s rejoint OceanScore qui estime la facture entre 8 et 10 Md$ par an, une fois pleinement mis en œuvre en 2026 en fonction d'un prix de marché de plus de 90 $ pour une tonne d'équivalent CO2. Une ardoise beaucoup plus lourde que pour les opérateurs de vraquiers (967M$). La note collective pour les navires de marchandises générales se serait élevée à 341 M$ et celle des porte-voitures à 247 M$.
Jusqu’à présent, la politique tarifaire des différentes compagnies présente de grandes disparités dans les prix sur un même axe.
Les méthodes de calcul qui explicitent les prélèvements restent à la discrétion des armateurs. Ce qui ne devrait pas arranger les relations avec les armateurs, qui ont longtemps dénoncé l’opacité des surcharges sous tous ses acronymes.
Neuf redevances pour ZIM
Dans un avis à la clientèle, le transporteur israélien ZIM imposera neuf « nouvelles redevances d'émissions » (ce qui donne lieu à un nouvel acronyme) à partir du 1er janvier 2024.
Sur les trade Amériques-Europe-Méditerranée, il en coûtera 37 €/EVP. Et entre Asie (Chine exceptée) -Europe-Méditerranée-Mer noire, 13 €/EVP.
Concernant la Chine, la compagnie basée à Haïfa précise que l'application de suppléments aux trafics couverts par les réglementations maritimes chinoises sera soumise à la publication et date d'entrée en vigueur de ces dernières.
Maersk a également signalé que pour les réservations au départ de la Chine (Hong Kong/Taïwan non compris), la surtaxe sur les émissions serait appliquée au taux de fret de base pour des raisons réglementaires. Le taux de fret de base sera ajusté tous les trimestres (augmentation/diminution) pour refléter le coût du SCEQE, lequel sera réactualisé tous les trimestres.
Treize nouvelles surtaxes pour ONE
Le transporteur japonais ONE prévoit pour sa part treize nouvelles surtaxes sur les conteneurs dry uniquement, notamment 23 $/EVP sur les trafics Asie-Europe, 30 $/EVP pour les services entre l'Amérique du Nord et l'Europe.
De son côté, OOCL prélèvera une surtaxe de 27 $/EVP sur les trafics entre l’Asie et l'Europe du Nord, de 15 $ entre les États-Unis et l'Europe mais de 46 $ dans l’autre sens.
Des agitations dans les ports
Les ministres de sept États membres du sud de l’Europe (Italie, Espagne, Grèce, Portugal, Chypre, Croatie, Malte), ont demandé à Bruxelles de suspendre le dispositif, arguant que cette mesure risquait « d'éloigner les entreprises des ports européens » tout en offrant des « avantages environnementaux limités ».
« Le régime qui entrera en vigueur en 2024 pourrait induire des émissions vers d'autres parties du monde voire augmenter le volume des émissions [de gaz à effet de serre] du fait d'itinéraires plus longs pour éviter les escales dans les ports de l'UE », ont déclaré les ministres.
Ils estiment que les armateurs sont susceptibles de détourner le trafic vers des ports non européens le long de la côte méditerranéenne, tels que Tanger Med au Maroc ou Port Saïd en Égypte, afin d'éviter les coûts additionnels.
Ils craignent aussi « de graves répercussions » sur leur commerce extérieur respectif et par ricochet, sur les investissements dans les ports, insistent-ils.
Afin d'éviter les fuites de carbone, les porte-conteneurs escalant dans des ports de transbordement situés en dehors du périmètre mais à moins de 300 milles nautiques (550 km) d'un port de l'UE/EEE seront tenus d’inclure la moitié des émissions jusqu'à ce port, plutôt que de se limiter au court trajet depuis le port de transbordement. La liste des ports considérés par le transbordement doit encore être publiée. Tanger Med et East Port Saïd viennent d'y être ajoutés.
Les exploitants des terminaux portuaires inquiets
Cette mesure préventive ainsi que les déclarations de la commission selon lesquelles elle « suivrait de près les effets de cette mesure » et était disposée à « envisager des ajustements si cela s'avérait nécessaire », n’ont pas suffi à calmer les ministres. Ils demandent à la Commission de publier une déclaration publique dans laquelle elle s'engagerait à prendre des mesures concrètes pour remédier aux risques que l'introduction de la taxe fait peser sur les ports de l'UE.
Les risques de détournement inquiètent aussi l’organisation professionnelle représentant les exploitants de terminaux à conteneurs.
Les membres de la Feport, réunis à Anvers pour leur assemblée générale ne se contentent pas non plus des engagements de la Commission européenne à suivre la mise en œuvre du règlement. Des solutions qu'ils jugent inefficaces à court terme en ce qui concerne le risque d'évasion de la cargaison.
« Nous avons besoin d'une véritable étude sur l'impact du SCEQE sur le transport maritime et sur les ports de l'UE, et non dans deux ans, lorsque les marchandises auront quitté certains ports européens pour de bon », alerte Gunther Bonz, le président de la Feport pour lequel les « risques réels de détournement » n'ont pas été vraiment évalués.
« Nous sommes dans une situation où nos terminaux pourraient devenir moins attractifs pour les compagnies maritimes qui n'ont pas l'intention de répercuter les coûts du SCEQE sur leurs clients et éviteront nos ports ».
« Pour une cargaison transportée du pays de réception (Malaisie) au pays de livraison (Suisse), nous appliquerons une surtaxe sur les émissions si le port de déchargement (maritime) de la réservation est les Pays-Bas mais pas s’il est en Turquie », faisait observer A.P. Møller-Maersk dans sa dernière note d’information à sa clientèle sur le sujet.
Adeline Descamps
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