Le détroit de Bab el Mandeb devient d'abord et avant tout « porte de la douleur », en tant que point de convergence de toutes les tensions, avant d’être le point d'étranglement permettant au trafic maritime de relier, plus rapidement que les ancestrales routes, les trois continents stratégiques pour l’économie mondiale, l’UE, les États-Unis et l’Asie.
Les frappes aériennes et maritimes de missiles américaines et britanniques sur des sites militaires détenus par les houthis vers 2h30 du matin (heure de Sanaa/Mer Rouge) dans la nuit de vendredi à samedi pourraient marquer le « début de la fin » de la crise de la mer Rouge, mais à court terme, « les choses vont empirer avant de s'améliorer pour les chaînes d'approvisionnement du fret maritime », rappelle Peter Sand, analyste en chef chez Xeneta, une société qui compare et renseigne sur les taux de fret maritime en temps réel. Un point de vue assez consensuel chez les analystes : la capacité est suffisante pour supporter des temps de transit plus longs sans pour autant entraîner une pénurie durable. Ni dans la capacité offerte, ni dans les stocks des détaillants, pour lesquels aucune alerte n’a été émise à ce stade.
27 attaques
En attendant, les assauts sont de plus en plus intenses (représailles contre représailles) et le nombre d’attaques contre les navires marchands traversant la région s'élève à 27 depuis le 19 novembre. Depuis lors, la mer Rouge est confrontée à des perturbations sans précédent, contraignant les porte-conteneurs (500 selon les données de ContainerXChange) qui empruntent d'ordinaire des routes commerciales essentielles via le canal de Suez, de l’Asie à la Méditerranée, à l'Europe du Nord et à la côte Est des États-Unis, à contourner le cap de Bonne-Espérance en Afrique. Moyennant un délai de 10 à 20 jours dans le transit-time et selon les routes.
Frémissement à l'aube du Nouvel an chinois
En réaction logique du marché, dans le sillage des turbulences en Mer Rouge, les taux de fret font plus que frémir à l'approche du Nouvel An chinois.
L'indice mondial des conteneurs de Drewry, publié le 11 janvier, a encore augmenté de 15 % pour atteindre 3 072 $ par conteneur de 40 pieds (FEU) la semaine dernière. Soit une croissance de 44 % par rapport à la même semaine l'année dernière, le plus élevé depuis octobre 2022 et 116 % plus élevé que les taux moyens de 2019 (avant la pandémie) de 1 420 $.
Entre Shanghai à Gênes, les tarifs ont augmenté de 25 % pour atteindre 5 213 $/FEU. De Shanghai à Rotterdam, du fait d’un bond de 23 %, il en coûte désormais 4 406 $ par boîte de 40 pieds. De même, dans l’autre sens, les prix ont augmenté de 19 % pour atteindre 652 $ par conteneur de 40 pieds.
Transpacifique modérée
Entre Shanghai et New York, la progression est plus modeste (+ 8 %) mais le transport d’un conteneur vers le Pacifique revient à 4 170 $. Vers la côte ouest-américaine, les deux points de croissance portent la boîte à 2 790 $ et sont en baisse dans l’autre sens (- 1 %). De même, de New York vers Rotterdam (599 $) et de Rotterdam vers New York 1 513$), les taux restent modérés (+ 1 %).
Selon Container xChange, dont les indices suivent en temps réel les mouvements des conteneurs, certains de leurs clients leur font remonter des prix bien supérieurs : un chargeur opérant depuis Singapour mentionne « un taux moyen sur le China-Europe d'environ 5400/FEU », ce qui signifierait une hausse de 1500 $ en une semaine.
« L'Amérique latine (Est et Ouest), en hausse de 48 % au cours des 30 derniers jours [au 11 janvier 2024], le Japon et la Corée ainsi que l'Europe méditerranéenne ont connu la plus forte augmentation des taux spot pour le commerce des conteneurs au cours des 30 derniers jours », indique l'entreprise.
Boom de la demande de conteneurs
« La demande de conteneurs augmente en Asie, car les chargeurs et les transitaires prévoient une demande de fret dans les semaines à venir, afin d'honorer les commandes avant le Nouvel An chinois », précise Christian Roeloffs, à la tête de Container xChange,
« Les compagnies maritimes demandent davantage de conteneurs maintenant qu'elles évitent la mer Rouge. C'est pourquoi les compagnies maritimes et les sociétés de leasing ont passé plus de 750 000 commandes de conteneurs au départ de la Chine au cours des deux derniers mois », confirme un fabricant chinois de boîtes.
Selon le dirigeant de ContainerXChange, « la crise de la mer Rouge devrait faire grimper les coûts de transport de 60 % et entraîner une augmentation de 20 % des primes d'assurance, ce qui se répercutera sur l'ensemble des coûts d'exploitation.
jusqu’à présent, on note une baisse de 60 % des navires passant par le canal de Suez. Les primes de risque de guerre pour le transport maritime ont grimpé en flèche ».
De la surenchère. Pour Xeneta, les taux de fret de l’Asie vers la Méditerranée et l'Europe du Nord devrait bondir de 200 % dans les sept prochains jours par rapport à la mi-décembre.
Adeline Descamps