Un départ de feu catégoriel s’éteint. Un autre s’embrase. Les ports nord-américains ont décidément beaucoup de mal à revenir à la normale.
Un conflit social observé par 7 500 dockers a démarré le 1er juillet dans les deux plus grands ports canadiens, essentiels aux importations conteneurisées de biens de consommation – Vancouver (3,5 MEVP en 2022 dont 1 84 MEVP à l’import) ; Prince Rupert (1,03 MEVP dont un peu plus de la moitié à l’import) –, et de matières premières.
La crise intervient quelques jours à peine après l’apaisement sur la côte ouest-américaine, où durant treize mois, la Pacific Maritime Association (PMA), qui représente quelque 70 exploitants de terminaux dans les 29 ports de la côte ouest-américaine, et l'International Longshore and Warehouse Union (ILWU), ont ferraillé pour se mettre d’accord sur le cadre régissant le travail des 22 000 dockers. La précédente convention collective était caduque depuis juillet 2022.
Une vingtaine de navires au mouillage
En Colombie-Britannique, la grève a déjà produit ses effets. Selon le relevé de MarineTraffic en fin de semaine dernière, 16 navires étaient à l'ancre au large du port de Vancouver et six à Prince Rupert tandis que d’autres porte-conteneurs sont attendus. THE Alliance, dont sont membres Hapag-Lloyd, ONE, Yang Ming et HMM, a par exemple sept porte-conteneurs en route pour Vancouver.
Les deux ports de la Colombie-Britannique sont aussi stratégiques pour les importations conteneurisées américaines en provenance de l’Asie parce qu'une part significative y est transbordée sur le rail vers Chicago et d'autres destinations nord-américaines. Le service ferroviaire serait d’ailleurs plus rapide que le passage par les ports de Seattle ou de Tacoma. Or les opérations ferroviaires sont également interrompues.
Premiers détournements
Les réactions n’ont pas tardé. VesselsValue a relevé au sixième jour de grève des premiers navires détournées de Vancouver vers Seattle, distant d’un peu plus d'une demi-journée de navigation à des vitesses normales, à l’instar du MSC Sara Elena et de l’OOCL San Francisco.
Solidaire, l'ILA, le plus grand syndicat de travailleurs maritimes d'Amérique du Nord, qui représente les employés des ports des côtes de l'Atlantique et du Golfe, des Grands Lacs, des principaux fleuves américains, de Porto Rico et de l'est du Canada, a déclaré dans un communiqué qu'aucune cargaison détournée des ports en grève ne serait acceptée.
Les syndicats des travailleurs portuaires de la côte ouest des États-Unis ont également fait savoir qu'ils ne travailleront pas sur les porte-conteneurs initialement destinés au port de Vancouver qui ont changé de cap. Il est cependant très difficile pour l'ILWU d'identifier les conteneurs dont la destination finale a été modifiée, car les dockers ne sont pas censés avoir accès aux informations relatives aux conteneurs pour des raisons de sécurité.
Pourparlers rompus pendant quatre jours
Selon la British Columbia Maritime Employers Association (BCMEA), le mouvement aurait déjà affecté les marchandises à hauteur d'une valeur de 4,6 Md$. D'autres données circulent nuisant à la crédibilité des informations délivrées. Une association locale d'exportateurs et de fabricants mentionnent le chiffre de 700 millions de dollars canadiens par jour.
Ces estimations sont contestées par l'ILWU Canada qui accuse le patronat de mener « une campagne de diffamation visant ses propres employés ».
Les partenaires sociaux font valoir les mêmes arguments que sur le front californien, à savoir le partage des « énormes profits postpandémiques ».
« Nous sommes toujours prêts à retourner à la table des négociations à tout moment, a rétorqué la BCMEA tandis que les pourparlers sont dans l’impasse depuis le 4 juillet, à condition que l'ILWU Canada soit prêt à présenter une proposition raisonnable, et a assouplir ses positions quant à sa demande compétence élargie sur la maintenance du terminal ».
Médiation fédérale
Le ministre canadien du travail, Seamus O'Regan Jr., qui a exhorté les deux parties à revenir à la table des négociations, s'est entretenu en fin de semaine dernière avec son homologue américaine, Julie Su, au sujet de l'impact de la grève sur la chaîne d'approvisionnement nord-américaine.
Finalement, les échanges entre les dockers en grève et leurs employeurs ont repris ce week-end sous l’égide de représentants des gouvernements fédéral et provinciaux, ont indiqué les employeurs dans un communiqué publié samedi 8 juillet.
L'industrie chimique en alerte
Côté chargeurs, l'industrie chimique est inquiète, Vancouver étant une plaque tournante pour l'exportation de produits pétrochimiques, d'engrais notamment. L'Association canadienne de l'industrie de la chimie (CIAC) a d’ores et déjà prévenu que si la grève se poursuivait, certains producteurs de produits chimiques pourraient être contraints de réduire leur production.
Pic de la peak season ?
À nouveau, les chargeurs manifestent leurs inquiétudes car « le "pic" de la peak saison est là ». En réalité, il aurait déjà été atteint.
Au cours des deux dernières années – certes « extra-ordinaires », le point culminant de la haute saison pour les conteneurs à destination des États-Unis a été atteint dès juillet, soit un à deux mois plus tôt que les années précédentes. La haute saison de cette année prend la même direction au regard des volumes de conteneurs en partance.
Ils marqueront probablement le plus haut de la haute saison avant la descente du second semestre, où les volumes d'importations conteneurisées des États-Unis pourraient encore chuter de 10 à 20 % par rapport aux niveaux du second semestre de 2019, après être revenus aux niveaux d'avant la pandémie au premier semestre.
Tous les indicateurs semblent indiquer que les grands chargeurs ne se précipitent pas pour réserver leurs volumes longtemps à l’avance.
Les taux de fret de conteneurs de l'Asie de l'Est et de la Chine vers les États-Unis continuent, eux, de baisser, inférieurs à 2 000 $/FEU (unité équivalente de 40 pieds) depuis la mi-février, selon le Drewry World Container Index. Sans aucun signal de remontada à ce stade.
Adeline Descamps
Accord social dans les ports ouest-américains à la veille de la haute saison