Premier bilan mitigé pour les éco-subventions maritimes en Espagne

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Le Galicia de Brittany Ferries

Parmi les 16 services sélectionnés figuraient notamment les lignes Bilbao-Rosslare de Brittany Ferries et Vigo-Montoir de Suardiaz Atlantic et Flota Suardiaz.

Subventionner le report modal de la route vers la mer avec un financement européen pendant une période de trois ans, tel est l’objectif du programme des éco-subventions maritimes. Les premiers résultats de cette initiative pionnière sont modestes en Espagne.
 

Le ministère espagnol des Transports a souhaité profiter des financements européens dans le cadre de l’initiative NextGenerationEU pour favoriser le report modal. Le Plan de Récupération, Transformation et Résilience (PRTR), qui définit les projets bénéficiant de ces fonds, a prévu des enveloppes de 75 M€ pour le rail et de 60 M€ pour le maritime pendant la période 2022-2024 (20 M€ par an).

Pour ce qui est du rail, la subvention est versée aux opérateurs ferroviaires et le transporteur routier n’est pas directement incité à pratiquer le report modal. En revanche, pour le transport maritime, les utilisateurs, transporteurs routiers et opérateurs logistiques, peuvent bénéficier d’une subvention en cas de mise sur un navire de leurs véhicules (rigides, remorques et semi-remorques).

La subvention est accordée en fonction de la réduction des coûts externes générés par le report modal sur la partie du trajet routier alternatif correspondant au territoire espagnol, c’est-à-dire des impacts négatifs sur l’environnement et d’ordre socio-économique : congestion, sinistralité et bruit. Le calcul est effectué sur la base d’un manuel établi par la Commission de l’UE.

Forte concentration des aides

Le premier appel à propositions, correspondant à la première tranche (20 M€), a été lancé le 19 septembre 2022 par le ministère des Transports sur la base du principe « premier arrivé, premier servi ». Quelque 16 services (ro-ro, ropax et con-ro) entre l’Espagne et d’autres pays de l’Union européenne (France, Belgique, Estonie, Finlande, Irlande et Italie), opérés par 6 compagnies dites « collaboratrices », ont été sélectionnés dans ce cadre.

Parmi eux, figuraient notamment les lignes Bilbao-Rosslare (Brittany Ferries) et Vigo-Montoir (Suardiaz Atlantic et Flota Suardiaz). La subvention a couvert les trafics pendant la période comprise entre le 20 septembre 2022 et le 31 mars 2023.
La concrétisation a été longue et complexe. Pour éviter les fraudes, chaque trajet a du faire l’objet d’une validation par le ministère grâce à la plateforme Dueport, le guichet unique maritime portuaire qui recense les escales de navires.

 

Au début d’avril 2024, seuls 6,8 M€ de subventions avait été attribués à 43 entreprises ayant réalisé 100 619 embarquements, soit une moyenne de 67,6 € par trajet, très loin des attentes initiales du ministère qui visaient 10 à 11 M€.

Les demandes des entreprises ont porté sur un montant de 8 M€, mais 15 % d’entre elles (1,2 M€) ont dû être rejetées pour erreurs ou insuffisances dans les dossiers présentés. Trois entreprises (LKW Walter, Transitalia et SMET) ont concentré 54,6 % des trajets et 53 % des subventions. Autant d’éléments qui semblent indiquer que le dispositif a principalement profité aux grandes entreprises, celles qui réalisent un nombre élevé de trajets et disposent des capacités suffisantes pour gérer une procédure administrative complexe.

Effet frontière, une limite

La première tranche était une sorte de « pilote », assumée comme telle par les autorités, compte tenu du caractère pionnier de l’initiative. Mais la faible consommation de l'enveloppe questionne. Elle s'explique notamment par les limites mêmes du dispositif, à commencer par ce que les Espagnols appellent l’« effet frontière ».

La subvention correspond uniquement aux kilomètres de route qui ne sont plus effectués en territoire espagnol. Ceux parcourus en dehors du territoire espagnol, en France ou en Italie par exemple, ne sont pas pris en compte. Dans ces conditions, plus le point de départ du trajet est éloigné de la frontière et plus le dispositif est avantageux. C’est le cas par exemple pour la ligne Vigo-Montoir : 58 % du trajet par la route a lieu en territoire espagnol. En revanche, ce ratio tombe à 36,7 % pour Barcelone-Livourne et à 10 % pour Bilbao-Zeebrugge.

L’autre limite tient au fait que les subventions ne s’appliquent pas aux trajets vers les pays n’appartenant pas à l’Union européenne, notamment le Royaume-Uni depuis le Brexit et le Maroc avec lequel le trafic maritime est en expansion, en raison notamment des échanges croisés dans le secteur automobile. La ligne ro-ro Vigo-Montoir, qui a pour principal client Stellantis, a une extension vers Tanger Med pour assurer les flux vers et depuis l’usine du groupe située à Kenitra.

Un avenir incertain

Sans attendre les résultats de la 1ère tranche, le ministère a lancé, le 28 avril 2023, le deuxième appel à propositions qui couvre les trajets pendant la période comprise entre le 29 avril 2023 et le 24 mars 2024. Les subventions peuvent être sollicitées depuis le 1er avril 2024 jusqu’au 30 juin 2024. La troisième tranche, annoncée le 7 mai dernier, couvrira les trajets pendant la période du 8 mai 2024 au 31 mars 2025. Les subventions pourront être sollicités entre le 1er avril et le 2 juin 2025.

De fait, le ministère des Transports est soucieux de respecter le calendrier car la Commission a fixé la date de butoir de juin 2026 pour l’attribution des aides : au-delà, les montants non attribués seront perdus. Il souhaiterait également trouver un moyen de garantir la pérennité du dispositif tout en élargissant son application à d’autres pays européens comme la France, la Belgique ou l’Italie.

Appui de la Commission ?

Lors de la journée annuelle du Shortsea Promotion Centre Spain (SPC-Spain), organisée le 28 novembre 2023 à Huelva, Giovanni Colzi, fonctionnaire de la DG Move, direction européenne des Transports, a affirmé que « le TMCD est une de [ses] principales priorités » et a évoqué une éventuelle « éco-subvention européenne ».

Le dispositif ne peut toutefois pas être inclus dans le programme Connecting Europe Facility Transport (CEF-Transport) pour la période 2021-2027 mais pourrait figurer dans la future programmation (2028-2034).

Le représentant de Bruxelles s'est par ailleurs montré disposé à un élargissement aux pays tiers, considérant qu’il fallait tirer parti de l’expérience de l’Espagne mais aussi de celle de l’Italie (ecobono).

Cette prise de position a rassuré les Espagnols. Reste cependant à assurer la « soudure » d’ici un démarrage éventuel en 2028, qui n’est pas assuré pour l’instant. Nul doute que de bons résultats des deux dernières tranches aideraient le ministère qui aimerait aussi que les acteurs privés concernés se mobilisent et « fassent pression à tous les niveaux pour assurer la continuité des aides », selon une source au ministère.

Daniel Solano

 

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