Six jours avant l’expiration du sursis de plus de deux mois que les deux parties s’étaient octroyé pour finaliser le contrat-cadre des six prochaines années, l'International Longshoremen's Association (ILA), représentant les 25 000 dockers des grands ports est-américains et du Golfe du Mexique concernés par le renouvellement, et les employeurs des 36 terminaux portuaires, unis sous la United States Maritime Alliance (USMX), ont signé un accord de principe portant sur tous les points. Y compris ceux qui rendaient inéluctable, il y a encore quelques jours, une longue grève paralysante dans les 14 ports d'un range portuaire allant de Houston à Boston, où opèrent CMA CGM, Maersk, Cosco, MSC, OOCL et Evergreen.
Les contractants avaient rompu en novembre le processus de négociation et, depuis, se livraient à une guerre des mots et d'arguments par médias interposés. Jusqu'à 45 000 dockers prévoyaient de débrayer le 15 janvier si un nouvel accord de travail n'était pas conclu avec leurs employeurs à cette date.
« Nous avons convenu de continuer à appliquer le contrat actuel jusqu'à ce que l’ILA puisse se réunir avec l'ensemble de son comité et programmer un vote de ratification, et que les membres de l'USMX puissent ratifier les termes du contrat final », indique un communiqué conjoint diffusé le 9 janvier, qui n’en donnera donc pas la teneur avant que le document final ne soit approuvé. « Cet accord gagnant-gagnant protège les emplois actuels de l'ILA et établit un cadre pour la mise en œuvre de technologies qui créeront davantage d'emplois tout en modernisant les ports de la côte Est et du Golfe en les rendant plus sûrs et plus efficaces, et en créant la capacité dont ils ont besoin pour assurer la solidité de nos chaînes d'approvisionnement. ».
L'automatisation, le vrai débat
La mention feutrée des « technologies » vaut de l’eau précieuse. Car les pourparlers achoppaient précisément sur le sujet de l’automatisation. Les dockers demandaient d’en écarter le principe, y compris si elle était partielle. Or, dans son actuelle formulation, la clause du contrat stipule qu'aucun équipement entièrement automatisé ne peut être utilisé dans les ports et que seuls des équipements semi-automatisés ((autrement dit les portiques à conteneurs montés sur rails RMG) peuvent être mis en œuvre si les deux parties s'accordent sur les mesures de sécurité.
« Nous voulons une clause absolue stipulant qu'il n'y aura pas d'automatisation ou de semi-automatisation », avait tranché Harold Daggett, le président de l'International Longshoremen's Association, soutenant que « l'USMX a inclus dans sa proposition des dispositions relatives à l'utilisation d'équipements semi-automatiques ». « L'ILA n'est pas opposée au progrès, à l'innovation ou à la modernisation mais nous ne pouvons pas soutenir une technologie qui mette en péril les emplois et menace la sécurité nationale ». Une allusion aux vifs débats outre-Atlantique sur le fait que les grues automatisées importées de Chine (80 % du parc) constituent une cybermenace pour les opérations maritimes.
Capacité d'extension très limitée
« La modernisation et l'investissement dans les nouvelles technologies sont des priorités fondamentales nécessaires pour négocier avec succès un nouveau contrat-cadre avec l'ILA. faisait valoir de son côté l'USMX dans un communiqué, rappelant qu'il s'agissait d'une régression par rapport à l'actuel accord.
« Les opérations portuaires doivent évoluer. Il faut en améliorer les performances pour transporter plus de marchandises de manière plus efficace », indiquent les manutentionaires, sous-entendant que les dockers ont tout à gagner avec une technologie qui permettrait de gagner en productivité (d'autant que leur rémunération est conditionnée aux volumes manutentionnés). Une étude conjointe du Conseil international des dockers et de la Fédération internationale des ouvriers du transport tend au contraire à montrer que les dockers génèrent une plus grande productivité que les équipements automatisés.
L'investissement stratégique dans les nouvelles technologies et la modernisation des opérations n'est pas synonyme de réduction du nombre d'emplois, soutiennent encore les exploitants des terminaux. « Un terminal utilisant des équipements traditionnels, avec une capacité de 775 000 conteneurs, a doublé son volume après avoir intégré des RMG. Et l'accroissement de capacité s'est traduite par une hausse équivalente du nombre d'heures travaillées, ce qui a entraîné une augmentation du nombre d'emplois syndiqués », ajoute l’UMSX. Le terminal en question serait passé de 600 à près de 1 200 travailleurs par jour
En raison du manque de nouveaux terrains disponibles dans la plupart des ports, le seul moyen pour les ports concernés de traiter plus de volumes est en effet de densifier les installations existantes. La pandémie a révélé la sous-efficacité des ports américains si bien que le président Biden avait annoncé un grand plan d’investissement (20 Md$) pour les mettre au standards des ports chinois, ces derniers étant largement automatisés.
Clap de fin ?
Le premier round de l’interminable marathon social de plus d’un an n’avait pas pu aboutir si bien les dockers avaient mis leur première menace à exécution le 1er octobre, date de l’échéance de la précédente convention collective, Les salaires et l’automatisation constituant d’irréductibles lignes de fracture. L’ILA exigeait une revalorisation de 77 % alors que l'USMX en proposait 40 %.
Là encore, contre toute attente alors qu’ils promettaient un enlisement de plusieurs mois, les dockers avaient levé les piquets trois jours et cinq heures seulement après avoir débrayé, ayant obtenu une augmentation salariale d'environ 62 % sur six ans. Cela porte les salaires moyens à environ 63 $ de l'heure, contre 39 $ dans le précédent contrat-cadre.
Beaucoup de bruit pour rien
Si on ne peut pas préjuger de la poursuite favorable des échanges, il y aura eu beaucoup de catastrophisme dans ce dossier tant de la part des médias que des institutions en tout genre. Avec des références historiques plombantes : les 44 jours de débrayage en 1977 et des estimations élastiques sur le prix à payer : un impact estimé entre 5 Md$ par jour (selon JP Morgan), à 3,78 Md$ par semaine, soit 540 M$ par jour, donc (pour le Conference Board) tandis qu’Oxford Economics considérait de son côté que chaque semaine de grève amputerait le PIB américain de 4,5 à 7,5 Md$...In fine, quelque 45 porte-conteneurs n'ont pas pu accoster.
Quoi qu’il en soit, cela reste un dénouement rapide à l’échelle des ports américains. À l’Ouest, il a fallu 13 mois après expiration du contrat des 22 000 dockers travaillant dans les 29 ports ouest-américains pour qu'ils obtiennent une augmentation de salaire cumulée de 32 % d’ici 2028.
Pression politique
La grève aurait pu coïncider avec le début du second mandat du président élu Donald Trump. Bien que sous pression de la puissante National Retail Federation (NRF) et des centaines d’associations professionnelles sollicitant une intervention présidentielle, l'actuel occupant, Joe Biden, avait mis un temps avant de sortir de sa réserve. Mais sans se priver de stigmatiser les transporteurs maritimes, qu’il avait déjà accusés durant la pandémie, sans nuances, de profiter des perturbations de la chaîne d'approvisionnement pour s’enrichir.
Alors que les détaillants le lui demandaient, il s’est bien gardé d’actionner la loi Taft-Hartley de 1947, qui autorise, en cas d’urgence nationale, d’ordonner un retour de travail moyennant une période de réflexion de 80 jours. Depuis les années 1970, la disposition n'a du reste été utilisée qu'une seule fois pour mettre fin à la grève de 2002 dans 29 ports de la côte ouest (sous la présidence de GW Bush).
Le soutien du président républicain élu a été bien plus franc. « Vous avez prouvé que vous étiez l'un des meilleurs amis des travailleurs et des travailleuses des États-Unis », lui reconnait l'ILA, qui mentionne en outre que le soutien de Donald Trump a été déterminant dans la sortie de crise. Dans un post sur son réseau Truth Social, le futur locataire de la Maison Blanche avait clairement demandé de renoncer à l'automatisation. « Je sais à peu près tout ce qu'il y a à savoir à ce sujet. La somme d'argent économisée n’est rien en comparaison de la détresse, du mal et du préjudice qu'elle cause aux dockers. Je préférerais que ces entreprises étrangères consacrent [leurs bénéfices] aux hommes et aux femmes qui travaillent sur nos quais, plutôt qu'aux machines, qui coûtent cher et qu'il faudra constamment remplacer ».
La position sera confirmée à nouveau alors que Harold Daggett et son fils ont été conviés, à la mi-décembre, à sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride. « Tout au long de ma carrière, je n'ai jamais vu un homme politique – et encore moins le président des États-Unis –, comprendre réellement l'importance du travail que nos membres accomplissent chaque jour. Mais hier, le président élu Trump a non seulement démontré cette compréhension, mais il a également fait preuve du plus grand respect pour le travail acharné, les sacrifices et le dévouement de nos membres ».
Voilà les transporteurs avertis sur la teneur de leurs futures relations avec le nouvel homme fort du pays…
Adeline Descamps
Record d'affluence dans les ports ouest-américains
La grève promettait de nouveaux débordements dans la chaîne d’approvisionnement en paralysant un range portuaire capital, auquel il est prêté entre 40 et 50 % de toutes les importations américaines et 57 % du volume de conteneurs. Face à cette menace, les transporteurs (Hapag-Lloyd, CMA CGM, Maersk) avaient instauré des surtaxes oscillant entre 1 000 $ et 3 780 $/EVP selon les compagnies.
Fin décembre, Hapag-Lloyd avait annoncé deux nouvelles surcharges « équipements » en prévision du mouvement de la mi-janvier, de 850 $/EVP et de 1 700 $ pour les boîtes de 40 pieds pour toutes les importations en provenance de tous les ports d'Asie de l'Est et à destination de la côte est-américaine. Mais le transporteur allemand avait assuré que les suppléments seraient supprimés si aucune perturbation n'avait lieu.
La grève à l’Est a fait les affaires des ports ouest-américains (en plus des annonces des droits de douane), soutenant par ailleurs les taux de fret spot sur le transpacifique. Un juste retour des choses. L’inverse s’était produit lorsque ces derniers ont accouché dans la douleur de leur contrat de travail pour lequel il aura fallu 13 mois de négociations. En dehors de Los Angeles et Long Beach, les alternatives étaient limitées, hormis Altamira au Mexique, Vancouver au Canada où le contexte social était aussi fragile.
Record en record
Ainsi, le port de Long Beach s'approche d'un nouveau record en 2024 (9,6 MEVP), au-delà du cru de 2021. Le deuxième point d'entrée le plus fréquenté des États-Unis a enregistré son meilleur mois de novembre, avec 884 154 EVP (+ 20,9 % par rapport au même mois de l'année précédente). Los Angeles devrait, lui, franchir les 10 MEVP pour la deuxième fois dans l'histoire du port. Ses volumes en novembre ont également été spectaculaires (884 315 EVP, + 16 % sur un an).
Selon les indicateurs de Freightos, les taux de fret transpacifique – de l’Asie vers la côte ouest-américaine –, avaient augmenté de 8 % pour atteindre 4 825 $/FEU (40 pieds) pour la semaine qui s'est achevée le 27 décembre et de 3 % vers la côte Est, à 6 116 $/FEU.
A.D.
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