Une grève en cache un autre. Le continent nord-américain vient à peine de digérer les mouvements sociaux dans le port de Montréal, où les 1 200 dockers ont repris les activités le 16 novembre après avoir débrayé le 31 octobre, et à Vancouver et d'autres ports de la côte ouest du Canada (Prince Rupert et Fraser-Surrey) qui avait débuté le 4 novembre. Les usagers des ports de la côte-est américaine sont, eux, de nouveau sous la menace d’un mécontentement d’ampleur des dockers auxquels ils avaient échappé en novembre, la grève ayant été écourtée par rapport à ce qui était initialement prévu.
Dans le cadre du nouveau round de négociations entre l'International Longshoremen's Association (ILA, représentant les dockers) et l’United States Maritime Alliance (USMX, représentant les employeurs des terminaux), la question de l’automatisation est de nouveau au centre de l’achoppement. Un sujet sur lequel les représentants des personnels portuaires demandent d’en écarter le principe, y compris si elle était partielle.
Marathon social
Pour rappel, l’organisation syndicale et l’association professionnelle ont entamé un marathon social depuis un an pour définir le cadre de travail qui régira les droits et devoirs des deux parties pour les six prochaines années.
Dans une déclaration postée dans la soirée du 31 octobre, l'ILA, qui représente les 45 000 dockers des ports de la côte est-américaine et du Golfe du Mexique, avait annoncé avoir conclu un « accord de principe » pour les 25 000 employés concernés avec leurs employeurs de l'USMX. Cette avancée avait ajourné la grève qui aura duré trois jours et cinq heures dans 36 ports, conformément à l’ultimatum que le syndicat des salariés avait posé il y a des mois. Le 1er octobre correspondait à l’échéance de la précédente convention collective, d’une durée de six ans aux États-Unis.
À ce stade des pourparlers, les deux parties avaient convenu d’une augmentation salariale d'environ 62 % sur six ans. Cela porterait les salaires moyens à environ 63 $ de l'heure, contre 39 $ dans le précédent contrat-cadre. Pour permettre la finalisation de « l’accord de principe » et « négocier toutes les autres questions en suspens », les deux parties avaient décidé de proroger le précédent contrat jusqu'au 15 janvier 2025, le temps que les négociations reprennent pour parvenir à un accord sur un nouveau contrat-cadre.
Automatisation, inenvisageable
Dans le cadre de cette finalisation, les échanges ont rapidement buté, l'ILA ayant rompu sine die les pourparlers. « L'USMX a introduit dans sa proposition des dispositions relatives à l'utilisation d'équipements semi-automatisés », fait valoir le syndicat. « L'USMX feint d'ignorer notre position bien connue sur l'automatisation et la semi-automatisation, génératrices de suppressions d'emplois. Une fois de plus, les employeurs qui engrangent chaque année des milliards de dollars de bénéfices ont dévoilé leur objectif ultime, qui est de supprimer le plus grand nombre possible d'emplois et de remplacer par des équipements robotisés ».
« Bien que nous ayons progressé sur un certain nombre de questions, nous n'avons pas été en mesure de faire des progrès significatifs dans nos discussions qui portaient sur une série de questions technologiques », indique de son côté l'USMX dans un communiqué. Malheureusement, l'ILA insiste sur des points qui feraient régresser notre industrie en limitant l'utilisation future de la technologie, ce qui rendrait impossible son évolution pour répondre aux futures demandes de la chaîne d'approvisionnement du pays ». L'USMX rappelle qu'elle ne « cherche pas une technologie susceptible de supprimer des emplois » mais qui permet de « gagner en efficacité » et en « solidité des chaînes d'approvisionnement et en capacité ».
Taux de fret insensibles
À la perspective d'une augmentation significative des tarifs douaniers (sous l'administration du président élu Donald Trump), facteur à lui-seul en mesure de provoquer un sursaut de la demande, vient donc se greffer la menace d’une grève dans les 36 ports est-américains. Le combo peut faire l’effet d’un arc électrique sur les importations américaines au cours des dernières semaines de l'année même si Bloomberg Economics soutient « qu’une version moins extrême que ses promesses de campagnes » n’est pas exclue (hausse moyenne des droits de douane de 5 à 8 % d'ici la fin de 2026).
La National Retail Federation (NRF), puissante fédération des grands détaillants américains (Walmart, Home Depot, Cotsco…), n’a pas encore communiqué les données du baromètre portuaire NRF/Hackett Associates Global Port Tracker mais anticipe un volume de 2,13 MEVP en octobre (+ 3,7 % par rapport à l'année précédente), 2,15 MEVP en novembre (+ 13,6 %) et 1,99 MEVP (+ 6,1 %), ce qui porterait l’ensemble de l’année à un trafic de 25,3 MEVP, pas loin des 14 % de progression par rapport à l’exercice 2023.
Les taux de fret ne manifestent à ce stade aucune manifestation d’humeur particulière. Entre Asie et États-Unis, les prix du conteneur restent stables bien que les entreprises soient invitées à réserver, pour leurs exportations, quatre à six semaines à l'avance, soit en ce moment (les entreprises s'efforcent d'exporter des volumes excédentaires pour équilibrer les stocks de fin d'année).
Alors que le blocage des négociations syndicales pourrait inciter les chargeurs à déporter une partie du flux maritime atlantique vers le transpacifique, rien n’est de nature à étayer cette thèse actuellement. Au contraire. Les tarifs entre l'Asie et la côte ouest des États-Unis ont baissé de 2, 3 % et 5 % au cours des trois dernières semaines, selon Drewry, pour atteindre 4 488 $ pour un conteneur de 40 pieds (FEU). De Los Angeles à Shanghai et de Shanghai à New York, ils sont en revanche stables, à la baisse (- 0,2 %). L’indice au niveau mondial reste cranté autour de 3 440 $/FEU.
Adeline Descamps
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