Tombée au lendemain de propos tenus dans les médias par l'homme d'affaires suisse Klaus-Michael Kühne, actionnaire du commissionnaire Kuehne+Nagel, incitant Hapag-Lloyd, plus gros client du port dont il est également partie prenante (30 % via sa holding), à se positionner pour HHLA, l'information a toutes les chances de délier les langues lors de la conférence maritime annuelle qui se tient à Brême les 14 et 15 septembre.
MSC et la Ville-État d'Hambourg ont signé un protocole d'accord pour que le leader mondial du transport maritime de conteneurs devienne actionnaire du principal opérateur portuaire allemand.
Si l'offre publique d'achat amicale du transporteur italo-suisse est approuvée par le Parlement de la ville hanséatique, la holding de MSC détenue par la famille Aponte deviendrait, par l'intermédiaire d'un véhicule d'investissement créé ad hoc, actionnaire à 49 % de l'opérateur portuaire allemand, aux côtés de la ville-État de Hambourg (51 %) qui détient actuellement 69 % du capital (le reste en flottant).
L'offre de MSC vise toutes les actions flottantes de HHLA (celles qui ne sont pas détenues par la collectivité, soit 31 %) et propose 16,75 € par action, soit une prime de 57 %. Ce qui pourrait porter la transaction à près de 1,3 Md€.
TIL, l’opérateur portuaire du groupe MSC basé à Genève (détenu par MSC-Aponte à 60 % aux côtés de deux fonds d'investissement) reste étranger à l'opération.
Sur quels actifs se positionne MSC ?
Entreprise classée dans les infrastructures dites critiques, placée sous le contrôle de l'Office fédéral de la sécurité de l'information, HHLA, valorisée à 835 M€, gère trois des quatre terminaux à conteneurs dans le troisième port nord-européen.
Les Container Terminal Altenwerder (CTA, avec Hapag-Lloyd à 25,1 % depuis 2002), Container Terminal Burchardkai (CTB, à 100 %) et Container Terminal Tollerort (CTT avec Cosco à 24,9 % depuis 2022) ont manutentionné 6,07 MEVP en 2022 (- 4,1 % par rapport à 2021) et 2,76 MEVP au cours du premier semestre (- 12,7 % par rapport à la même période en 2022), en grande partie en raison de la forte baisse des volumes en provenance d'Asie, Hambourg étant un partenaire commercial de premier plan de la Chine.
Le quatrième, le Container Terminal Hambourg (CTH), est aux mains d'Eurogate, qui opère également à Bremerhaven et Wilhelmshaven.
HHLA exploite par ailleurs un terminal reefer en joint-venture avec Sea-Invest (49 %) et un autre, con-ro, avec Grimaldi (49 %). Avec sa société de fret ferroviaire Metrans, détenue à 100 %, le groupe allemand propose des trains blocs de conteneurs réguliers entre ses terminaux maritimes et des ports d'Europe centrale.
L'opération concerne l'ensemble du groupe allemand, la logistique ferroviaire et les terminaux en Allemagne et à l'étranger, ceux de Tallinn (Estonie), Odessa (Ukraine) et Trieste (Italie), dont certains détenus avec des tiers.
Quelles contreparties/concessions pour emporter un accord politique de principe ?
En Allemagne, on ne badine pas avec le contrôle des actifs stratégiques qui ont prise sur le commerce extérieur du pays, souveraineté oblige.
À n’en pas douter, au niveau fédéral comme régional, l’accord de principe a dû être monnayé par quelques contreparties en termes de trafic, d’emplois et de contrôle de la stratégie.
Avec 51 %, Hambourg reste majoritaire, ce qui prédispose les élus de la Ville à donner leur blanc-seing lors du vote, sachant que la vente de HHLA ne nécessitera pas l'approbation du niveau fédéral. Les Aponte, rompus aux tractations politiques, se contenteront donc d’une minorité.
Pour emporter la partie, ils se seraient engagés sur des volumes de trafic supérieurs à d’autres intérêts qui se sont manifestés et qui ont fait l'objet de quelques fuites. Selon les spéculations, ces derniers proposaient de faire transiter par le premier port allemand 1 MEVP (dès 2025).
Autre concession faite par le groupe italo-suisse : la relocalisation de son siège social allemand pour ses opérations maritimes (Brême) mais aussi de croisière (Munich) dans la capitale portuaire.
L’information a son piquant pour qui connaît les rivalités historiques des deux villes. Hambourg n’avait pas apprécié quand Brême (actionnaire majoritaire de BLG, qui détient 50 % d'Eurogate, aux côtés du groupe allemand privé Eurokai) et Wilhelmshaven avaient ourdi le projet d’un port en eaux profondes (Jade Weser) en concurrence frontale, un projet auquel la Ville de Hambourg avait d'abord participé avant de s’en désolidariser dans les années 90.
Quelle forme juridique pourrait prendre le PPP ?
La société resterait une société anonyme publique à responsabilité limitée, une « aktiengesellschaft » en allemand, forme juridique adoptée par les grands constructeurs automobiles, Volkswagen, Daimler et BMW.
Dans cette structure publique, la responsabilité des actionnaires est limitée à leur capital investi, la surveillance réglementaire y est accrue et les actionnaires ont les moyens d'intervenir sur la stratégie mise en oeuvre par la direction générale de l’entreprise.
Un dossier moins compliqué que l’entrée de Cosco sur les quais d’Hambourg
La prise de contrôle par MSC devrait être en effet plus simple que ne l'a été celle de son concurrent asiatique, Cosco, via Cosco Shipping Ports, dans le CTT, aux côtés de HHLA.
Étant intra-européenne, l'opération ne sera en effet pas soumise au même niveau d'examen réglementaire qui régit l’investissement étranger.
Les soubresauts précédant l’entrée outre-Rhin de capitaux chinois, qui plus est, d'une entreprise placée sous l'égide de la Commission chinoise de supervision et d'administration des actifs publics qui supervise les intérêts de Pékin, a rythmé une bonne partie de l’année 2022.
En juin, après de longs mois de valse-hésitation, Berlin a finalement validé l’arrivée du numéro quatre mondial dans un port où il n'y avait alors qu’un seul transporteur maritime à la manœuvre, l’Allemand Hapag-Lloyd, son challenger et cinquième transporteur mondial. Et ce, en dépit de l’avis défavorable de la Commission européenne et de l’opposition de six ministères fédéraux.
Mais le chancelier allemand Olaf Scholz, ancien maire de Hambourg, avait fini par convaincre en rabotant la participation de Cosco à 24,9 % (contre 35 % pensé initialement).
Pour HHLA, l'arrivée de Cosco est vécue comme une opportunité pour sécuriser des investissements futurs tout en assurant ses volumes d’autant que ces deux dernières années, les problèmes de congestion ont poussé Maersk et MSC à rediriger une grande partie de leurs flux vers Bremerhaven, où MSC a prolongé sa coentreprise avec Eurogate dans le terminal MSC Gate Bremerhaven jusqu'en 2048.
Du mouvement dans les terminaux portuaires depuis 2021
Hapag-Lloyd a repris en 2021 les 30 % de parts d’APM Terminals (groupe Maersk) aux côtés d'Eurogate dans le capital de la société qui gère le terminal à conteneurs de Jade Weser à Wilhelmshaven.
À cette occasion, l'armateur allemand, dont est aussi actionnaire la Ville de Hambourg (13,9 %), a également acquis 50 % des parts de Rail Terminal Wilhelmshaven.
Mis en service mi-2012, le terminal d’une capacité nominale de 2,7 MEVP n’a jamais vraiment trouvé son public en dépit de son accès en eaux profondes avec son tirant d'eau à 18 m. Son éloignement des grands marchés de consommation et la mauvaise connectivité avec son hinterland ont notamment handicapé son développement.
La congestion engendrée par la pandémie a cependant redonné des couleurs au port allemand, choisi comme hub de déchargement en Europe du Nord par plusieurs services Asie-Europe du Nord des alliances 2M et Ocean Alliance.
L'investissement d'Hapag-Lloyd aux côtés d'Eurogate a été un temps considéré comme un moyen de faire pression sur HHLA, qui a connu par le passé de sérieux différends avec Hapag-Lloyd en ce qui concerne les prix et les conditions de service.
Pourquoi Hapag-Lloyd a investi Wilhemshaven tout en étant actionnaire du CTA à Hambourg ?
Le terminal de Hambourg a une problématique de taille : sa configuration nautique ne lui permet pas de traiter les plus grandes unités actuelles (19 870 EVP) de l’armateur allemand de porte-conteneurs et encore moins ses 23 666 EVP (deux séries de six unités) ou de tout autre mégamax de THE Alliance dont il est membre.
HHLA et Eurogate en perte d'influence dans les terminaux allemands ?
En juin 2020, les deux opérateurs portuaires allemands faisaient part de l'entame de discussions afin de coopérer et plus si affinités dans les principaux ports à conteneurs allemands. Les deux grands manutentionnaires allemands envisageaient alors la création d’une entreprise commune dans laquelle seraient fusionnés les actifs portuaires qu’ils détiennent en Allemagne, à Hambourg, Bremerhaven et Wilhelmshaven.
Finalement en juin 2022, les deux groupes ont convenu de suspendre les négociations en invoquant les « incertitudes » dans le secteur des ports et de la logistique.
Depuis, ils ne sont plus, l’un et l’autre, seuls à la barre des actifs mais leur puissance de nature oligopolistique reste une réalité. À quelques exceptions près. APM Terminals (Maersk) est un partenaire d’Eurogate à 50 % dans le NTB à Bremerhaven. TIL (MSC) est actionnaire à 50 % du MSC Gate Bremerhaven aux côtés d’Eurogate.
Une bonne décision au bon moment ? (dixit Alphaliner)
Le troisième port à conteneurs européen dévisse depuis des années, de plus en plus distancé par Rotterdam et Anvers, les deux leaders portuaires européens. Et le premier semestre ne pourra pas le démentir.
Que ce soit en tonnage (38,7 Mt, - 10,8 %) ou en nombre de conteneurs (3,8 MEVP, - 11,7 %), il est de ceux, sur le range nord, avec Bremerhaven et Le Havre, a avoir affiché les pertes de volumes les plus importants.
« Hambourg a principalement souffert de deux choses : Le manque de soutien politique de la part du gouvernement fédéral allemand à Berlin et, à quelques exceptions près, l'absence de participation et d'implication de la part des grands transporteurs, tranche Alphaliner. Depuis des décennies, le mantra de Hambourg est d'empêcher les transporteurs de posséder des parties du port et de développer leurs propres terminaux à conteneurs ».
Selon le spécialiste de la ligne régulière, ce nouvel épisode pourrait déverrouiller certains investissements, comme celui d'un quai à conteneurs à proximité du terminal Eurogate de Hambourg, dont le plan a été approuvé mais pas le premier coup de pioche.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Le document d'offre de reprise sera soumis dans les quatre prochaines semaines à l'approbation de la Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht (BaFin), ce qui prendra environ 10 jours ouvrables. Il sera ensuite publié au cours de la deuxième quinzaine d'octobre. Au cours de la période d'offre de quatre semaines, suivie d'une période obligatoire de deux semaines, les investisseurs pourront décider d'accepter l'offre. La clôture de l'offre sera soumise à l'approbation des autorités réglementaires et du Parlement de Hambourg.
Adeline Descamps
HHLA : un premier semestre à la peine
« La guerre en cours en Ukraine, les tensions géopolitiques, l'inflation et la hausse des taux d'intérêt exercent une pression sur la demande des consommateurs et de l'industrie et continuent d'entraver la reprise économique mondiale après la pandémie », justifie Angela Titzrath, PDG de HHLA.
Les résultats de l'entreprise au cours du premier semestre 2023 ont bien reflété les sentiments négatifs de son marché : baisse significative des volumes, réduction du temps de séjour des conteneurs traités dans les terminaux à conteneurs de Hambourg et donc des frais de stockage....
Le chiffre d'affaires du groupe a diminué de 6,7 % pour atteindre 727,1 M€, le résultat d'exploitation (Ebit) de 50,3 %, à 50,4 M€ et la marge s'est sérieusement dégradée, passée de 13 à 6,9 %. Le bénéfice après impôts et intérêts s'élève à 8,2 M€ contre 43,9 M€ il y a un an.
Conteneurs en chute
Dans le segment des conteneurs, le débit de conteneurs dans les terminaux à conteneurs de HHLA a diminué d'une année sur l'autre de 14,6 % pour atteindre 2,87 MEVP dont 2,76 MEVP pour les trois installations de Hambourg, en baisse de 12,7 %. En cause : la forte baisse des volumes depuis l'Asie que la dynamique positive en Amérique du Nord n'a pas pu compenser, trafic Feeder à la peine et manque à gagner des volumes en provenance de Russie.
Dans les terminaux internationaux, les volumes de conteneurs ont chuté de 43,9 % pour atteindre 113 000 EVP, largement imputable au terminal d'Odessa (CTO), très impacté par les tensions géopolitiques en mer Noire. Le terminal à conteneurs TK Estonia n'a pas vraiment opéré en tant qu'alternative aux ports russes en 2023.
Les recettes dans le segment des conteneurs ont chuté de 19,7 % au cours de la période pour atteindre 352,2 M€, le résultat d'exploitation de 76,2 % (19,1 M€) et la marge dégringole de 12,9 points pour atteindre 5,4 %.
Dans le segment Intermodal, le transport de conteneurs a limité la casse (- 3,7 %) à 819 000 EVP dont 691 000 EVP pour le ferroviaire, en baisse par rapport aux 709 000 EVP de la période 2022. Les principaux itinéraires ont été affectés, les ports maritimes du nord de l'Allemagne et le trafic polonais étant particulièrement touchés.
HHLA a fait part le 27 juillet d'une révision à la baisse de ses prévisions pour l'exercice 2023 par rapport aux attentes communiquées durant le premier trimestre de l'année.
A.D.
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