Pendant trois jours, les dockers bloquent les ports « pour que la réforme ne s'applique pas à [nous] » et réclament notamment la reconnaissance de leur pénibilité au travail « comme s'y étaient engagés le ministre des Transports de l'époque, Clément Beaune, et le président Macron en 2022 lorsqu'il était en campagne », fait valoir le syndicat CGT des dockers.
Pour rappel, grâce à un accord de branche, les dockers peuvent valider leur carrière complète en partant quatre ans avant l'âge légal qui, de 58 ans a été porté à 60 ans à la suite de l'application de la loi sur la réforme des retraites, promulguée le 14 avril 2023.
Mouvement très observé à Marseille, Le Havre et Rouen
L’arrêt de travail de 24 heures du 7 février – seule journée de grève pleine (le 9 février, la mobilisation est prévue sur quatre heures, comme pour le 5 février) –, a été particulièrement observée dans les plus grands ports, à commencer par ceux de Marseille et du Havre.
Les opérations de chargement et déchargement ont été affectés à Marseille mais avec un décalage de quelques heures alors qu’aucun mouvement n’a été décelé sur les terminaux de Port 2000 au Havre, selon l’AFP.
À Rouen, où 150 dockers sur un total de 210 ont rejoint les piquets de grève, l'accès à deux sites situés rive-gauche, dont celui du céréalier Beuzelin, ont été bloqués.
Travail en horaires décalés
Plusieurs centaines de dockers des bassins Ouest du port de Marseille Fos (un millier selon le syndicat et 450 selon la préfecture) se sont regroupés en milieu de matinée le 7 février devant la sous-préfecture d'Istres où une délégation a été reçue et où une conférence de presse s'est tenue à 10 h.
« Au vu de nos conditions de travail, ce n'est pas acceptable que nous travaillions deux ans de plus alors que nous sommes obligés de travailler en horaires décalés, les week-end, que de nombreuses personnes souffrent de troubles musculosquelettiques et que nous sommes confrontés à l'amiante transportée par les navires », a justifié Christophe Claret, secrétaire général CGT des dockers du golfe de Fos-sur-Mer.
« Grand port et grand discours, petite vision et petite ambition »
Les revendications débordent largement du seul cadre de l'application de la réforme. Les dockers et les personnels de la manutention portuaire du Golfe de Fos sont revenus à la charge sur un ensemble de propositions, qu’ils avaient déjà présentées le 23 novembre 2022, dans un document intitulé « Après Marseille en grand, le Port de Fos en grand ». Une version détournée du plan « Marseille en grand », vaste programme de 15 Md€ d'investissements publics lancé par Emmanuel Macron en 2021 et censé transformer la ville de Marseille. Un « grand port et grand discours, petite vision et petite ambition », assènent les dockers.
Dans ce document dressant des constats et énumérant les urgences, ils rappellent l’importance des activités des bassins Ouest et de la zone industrialo-portuaire et dénoncent le manque d'ambition portuaire. Ils estiment à 10 Md€ le niveau d'investissement à consentir pour « que les ports français ne décrochent pas » face à leur voisins italiens et espagnols.
« Ce document a fait l’objet d’un accueil très enthousiaste des différentes parties prenantes politiques, institutionnelles, économiques. Toutes, sans exception, ont partagé le constat, l’urgence et ont validé les propositions. Et pourtant, en 2024, alors que le "mieux" était promis, c’est encore pire », expliquent-ils dans le support remis à l’issue de la conférence de presse, allant jusqu’à dire que le deuxième port de France fait l’objet d’un « je m’en foutisme départemental, régional et national ».
Des ports de moins en moins portuaires
Un port, cela fait de l'import/export, rappellent les employés portuaires, alertant sur le fait que le port est de moins en moins centré sur sa vocation première, les trafics.
Ils prennent acte de l’augmentation des revenus du port de Marseille Fos (il a enregistré un chiffre d’affaires en hausse de 11 %, à 210 M€) mais rappellent que les trafics ont chuté de 7 % par rapport à 2022 (71,9 Mt).
« Notre port se gargarise d’une progression de son chiffre d’affaires mais il le doit à la hausse des tarifs, en lien notamment avec la couverture de l’inflation, l’augmentation des revenus domaniaux et le trafic passager. C’est bien l’illustration d’un renoncement à la conquête des trafics, à la stratégie des volumes, font-ils valoir. L’augmentation des tarifs vient se substituer aux volumes que l’on ne fait plus, accentuant encore les coûts de passage portuaire, réputés pour être plus élevés qu’ailleurs. La valorisation d’espaces fonciers pour augmenter les revenus domaniaux tiennent lieu de stratégie ».
Penser le quotidien d'abord
Les dockers ont en tête l’érosion des vracs solides (- 24 %), la faiblesse du conteneur (- 13 % en EVP, bien en dessous des 1,5 MEVP) et des marchandises diverses.
« S’il est peut-être bon de penser l’avenir » – allusion aux trois grands projets industriels décarbonés Gravithy/Carbon/H2V –, ils attendent des investissements du quotidien : remplacement de voies ferrées, réhabilitation de tronçons ferroviaires, aménagement des routes portuaires, contournement du fameux nœud lyonnais, création d’un troisième terminal à conteneur et d’un terminal fluvial (Rhône Saône Méditerranée), des embranchements ferroviaires au plateforme logistique « pour fixer les trafics et éviter d’en perdre », etc.
« Nous demandons la matérialisation des investissements. Et des réponses claires sur les délais, les freins éventuels, les montants associés ».
Après 76 M€ investis en 2023, la direction du port phocéen a annoncé un budget d’investissement de 118 M€ cette année, dont 57 millions seront alloués à la décarbonation (+ 79 % par rapport à 2023), 31 millions au développement des activités maritimes et à l’aménagement des bassins et des terminaux et le solde à la modernisation des infrastructures portuaires.
Adeline Descamps