En attendant son nouveau président pour coiffer son conseil de surveillance, dont le décret de nomination tarde à moins que ce soit le profil qui clive, le port de Marseille a présenté son projet stratégique couvrant la période jusqu’à 2024. Il dispose de 260 M€ pour de nouveaux projets. À l’agenda : reconquérir le foncier, développer des relais de croissance et verdir. Il sera sans doute aussi très numérique…
Manifestement, la nomination du futur président du conseil de surveillance prend plus de temps que ce qui était prévu. Son identité devait être révélée simultanément à la présentation du projet stratégique du port de Marseille couvrant la période 2020-2024. Le poste est en attente d’une attribution depuis le décès brutal le 28 décembre de Jean-Marc Forneri qui présidait l’organe de gouvernance depuis 2014. L’intérim est actuellement assuré par la vice-présidente Élisabeth Ayrault, présidente du directoire de la CNR (Compagnie nationale du Rhône).
Ces dernières semaines, le nom de Stéphane Richard, PDG d’Orange, est ressorti comme hautement probable. Une candidature soutenue par le président LR de la Région Renaud Muselier. Si le dirigeant était confirmé, le profil trancherait avec l’ancien banquier d’affaires Jean-Marc Forneri qui avait d’ailleurs donné à la composition du conseil de surveillance une forte coloration financière. Avec son profil de haut fonctionnaire capé (ENA, HEC) et son parcours (inspecteur des finances, dirigeant de grands entreprises publiques), il est le candidat idéal pour un grand port d’État. Le choix d’une personnalité aussi marquée politiquement (ex-directeur de cabinet de deux ministres de l'Économie, Jean-Louis Borloo et Christine Lagarde, qui lui a valu d’être mis en examen dans l’affaire Tapie/Crédit Lyonnais) est plus surprenant.
Marseille-Fos : un différentiel de développement entre l’est et l’ouest ?
Place forte de l’internet mondial
En phase avec la ligne générale de transition numérique à laquelle doivent se conformer les ports, la candidature du PDG d’Orange aurait aussi du sens si l’on appréhende le port en tant qu’infrastructure de télécoms.
Marseille est historiquement le point d’atterrage d’une quinzaine de câbles sous-marins, qui permettent de pousser de la donnée à vitesse filante à mille lieues sous les mers (99 % du trafic Internet s’écoulent via la mer). Sans ces gros tuyaux de la bande passante, il ne serait pas possible de briser l’ultra moderne solitude de milliards d’individus. En l’occurrence, ce sont quelque 4,5 milliards d’internautes répartis dans 43 pays que la cité phocéenne « arrose » en vidéos, emails, photos, et autres contenus numériques.
Trois nouveaux câbles sont annoncés d'ici 2024. Le Peace (Pakistan East Africa Connecting Europe), premier câble chinois de la Route de la Soie, est attendu à l'horizon 2021-2022. Deux autres suivront en 2023 et 2024 (le 2Africa, porté par un consortium de huit financeurs dont Facebook, et le Sea-Me-We-6 qui reliera l'Europe à l'Australie et Singapour).
Datacenter sur le port
Orange est partie prenante de 40 câbles sous-marins dans le monde, dont certains convergent vers la métropole méditerrannéenne. Les derniers mis en service, offrant plus de capacité et un faible temps de latence (rapidité), permettent de desservir plus rapidement les marchés émergents du pourtour méditerranéen, de faire baisser le coût de fret télécoms et d’envisager bien d’autres applications.
De simple voie de transit du trafic internet où l’on ne s’arrête pas, Marseille a ainsi accédé au statut de « hub de concentration », c’est-à-dire un nœud de réseaux télécoms d’usage cloud et digital media. C’est un atout pour attirer des opérateurs télécoms et les géants du cloud. La ville s’est hissée au 9e rang des plateformes d’échanges de contenus devant Hong Kong et derrière New York. C’est du moins ce que soutient Fabrice Coquio, patron d’Interxion France, la filiale hexagonale de l’un des grands opérateurs européens de datacenters (groupe Digital Realty). Le port de Marseille accueille son troisième datacenter à la suite d’un investissement de plus 140 M€. La première tranche du MRS3 a pris place à l’endroit d’une ancienne base allemande de sous-marins à l’abandon depuis des dizaines années, qu’il a fallu dépolluer et désamianter. Les deux autres phases seront livrées en 2021.
À dominante de transition énergétique
Avec ou sans président, le conseil de surveillance du port de Marseille Fos a approuvé le 5 mars son projet stratégique qui cherche à « concilier croissance économique et excellence environnementale ». Quelque 350 M€ seront investis jusqu’en 2024 « dont près des deux tiers seront dédiés aux projets de développement », indique le communiqué. On y retrouve les grandes lignes de la feuille de route que le Grand port maritime de Marseille Fos a tracées il y a quelques années déjà. À dominante de transition énergétique, elles croisent opportunément avec les plans de relance, fortement axés sur les investissements verts. Il est question de l’électrification des quais, d’économie circulaire, de captation de CO2, de relocalisation et de réindustrialisation…
Plusieurs orientations stratégiques guideront l'ensemble des actions entreprises, signifie Élisabeth Ayrault. L’une d’entre elles « consiste en la redynamisation industrielle et l'innovation pour réussir notre transition énergétique ». Une autre repose sur la transition numérique et des nouvelles technologies. « Nous avons prouvé notre capacité à innover sur ce secteur et à tendre vers le smart port. Nous travaillons ensemble à plus d'interopérabilité, fluidité et traçabilité pour optimiser les chaînes logistiques. » La compétitivité du premier port français, qui rêve toujours de s’imposer en tant que porte d’entrée du sud de l’Europe et alternative crédible aux ports du nord-européens, demeure un sujet. Cette quête passera par la qualité des services à la clientèle, est-il avancé.
Foncier rationalisé
En tant qu’aménageur, Marseille Fos « change de posture et instaure de nouveaux principes d'action » : son foncier portuaire sera raisonné et largement dévolu à des projets de transition des filières industrielles, sa politique environnementale sera formalisée (élaboration d'un schéma directeur du patrimoine naturel) et les procédures règlementaires « intégralement anticipées par le port lui-même pour réduire le délai entre la commercialisation et l'implantation. » Les solutions multimodales seront recherchées dès l'aménagement.
« L'ambition de la politique d'aménagement sur les bassins Ouest [Fos, NDLR] est d'accompagner la transition par rapport au modèle "tout pétrole" tout en limitant la consommation brute de foncier. Tandis qu'à l'Est, l'ambition est celle du maintien de l'outil industriel avec des mesures fortes de réduction des nuisances et d'anticipation des réglementations environnementales », détaille Hervé Martel, président du directoire dans le communiqué.
Parmi les filières qui doivent servir de relais de croissance aux énergies fossiles sur le déclin : le conteneur couplé avec le développement de la logistique pour élargir la zone d’influence, via le ferroviaire, sur l’axe Méditerranée-Rhône-Saône afin de desservir la Suisse, l'Alsace, Lyon et l'Allemagne, des zones aujourd’hui conquises par Anvers. « Le port a inscrit dans son projet stratégique l'objectif volontariste de porter la part des conteneurs transportés par le fer et le fleuve de 20 à 30 % en 2030 », précise Élisabeth Ayrault. Les filières du roulier, du GNL et des vracs chimiques sont également mentionnées
Création de deux filiales
Pour s’inscrire dans la stratégie portuaire nationale qui assigne aux Grands ports maritimes un rôle d’entrepreneur, le port phocéen entend « trouver des relais de croissance dans des activités rentables et porteuses de valeur ajoutée. » Pour ce faire, il va créer deux filiales. La première (immobilier) sera chargée de la gestion et la transformation de ses actifs immobiliers mais aussi d'investir ou de co-investir (en actionnaire minoritaire) sur des projets logistiques ou tertiaires. La seconde (énergie) vise à planifier la décision d'investissement ou de cession. Deux nouveaux métiers sur lesquels il faudra monter en compétence sur le plan technique et financier.
Pour « être au cœur des modèles de demain » et « réussir les transitions nécessaires », il faut « se doter des capacités et compétences », affirme Hervé Martel, qui souhaite logiquement ne pas subir les mutations mais les ordonner dans « une dynamique de développement des filières d'avenir. »
Adeline Descamps
*entendu par la Cour de justice de la République dans le cadre de l'arbitrage favorable à Bernard Tapie dans l'affaire l'opposant au Crédit lyonnais sur la vente d'Adidas, mis en examen et relaxé.