« Au global, on est sur un trafic à peu près stable, à 70,5 Mt », annonce Hervé Martel, président du directoire du Grand Port maritime de Marseille (GPMM), à l'occasion du rendez-vous annuel de présentation des trafics le 21 janvier à Marseille. À vrai dire, les trafics sont en baisse de 2 % par rapport à l'exercice précédent, lequel avait déjà été en repli de 7 %, à quelque 79 Mt. La sous-performance concernait en 2023 l’ensemble des filières alors que les résultats ont été plus contrastés en 2024. « Nous notons une bonne dynamique sur les marchandises diverses, une relative stabilité sur le pétrole et les flux énergétiques, et une baisse très significative des vracs solides », résume le patron du port, aux commandes à Marseille depuis 2019.
Conteneurs : + 9 %
Le principal motif de satisfaction reste la progression remarquable de ses volumes de conteneurs, de 9 % en 2024 par rapport à l’année précédente, à 1,45 M EVP. Une croissance légèrement supérieure au port d’Anvers, numéro deux européen (+ 8,9 % en tonnage et + 8,1 % en EVP) mais bien en deçà de celle du Havre (+ 18,7 %, 3,1 MEVP). Mais Marseille Fos est surtout à comparer avec Barcelone et Valence.
L'établissement public phocéen a profité de la reconfiguration des flux provoquée par l’évitement de la mer Rouge et le détournement d’une très grande partie de la flotte mondiale de porte-conteneurs vers le cap de Bonne-Espérance. « Les navires en provenance d’Asie opèrent en principe le transbordement à Port Saïd, soit à l’Est de la Méditerranée. Or, avec le déroutement d’une partie du trafic, les flux vers la Méditerranée ont été orientés à l’Ouest », explique Hervé Martel. Cette situation a apporté 65 000 EVP supplémentaires au port méditerranéen français. Parallèlement, le GPMM a été porté par la dynamique à l’import et à l’export qui s’est matérialisée par un gain de 53 500 EVP. « Cette augmentation est particulièrement marquée sur des axes stratégiques tels que la Chine (+ 12 %), l’Algérie (+ 12 %), la Turquie (+ 13 %), La Réunion (+ 25 %), l’Égypte (+ 25 %) », relèvent les données portuaires.
La dynamique du conteneur a également été favorable aux flux alternatifs ferroviaires via Fos-sur-Mer qui ont progressé de 8 % et fluviaux (+ 7 %).
Remaniement des alliances
Contrairement à ce qui a été dit, se défend le DG, Marseille reste très bien desservi par les alliances en dépit des grands mouvements de ces derniers mois : la rupture entre MSC et Maersk, numéro un et deux mondiaux dans le conteneur ; rapprochement de Maersk et Hapag-Lloyd (cinquième armateur mondial) au sein d’une nouvelle alliance (Gemini) ; partage de capacités entre MSC et Premier Alliance (nouveau nom de THE Alliance après le départ de Hapag-Lloyd) sur le trade Asie-Europe ; coopération entre ONE et Ocean Alliance, réseau dont fait partie CMA CGM, sur certaines destinations…
« Nous conservons quatre lignes directes avec l’Asie et une ligne de transbordement avec l’alliance Gemini mais avec un très bon transit time, tandis que MSC, deuxième armateur à Fos, a introduit deux nouvelles lignes, assure Hervé Martel. Le réseau de lignes maritimes s’est enrichi avec le renforcement de la desserte de la Méditerranée orientale via Fos et une augmentation des capacités vers l’Asie avec une nouvelle ligne estivale de CMA CGM, le French Peak Service. Par ailleurs, l’un des services asiatiques
majeurs [MD1 d’Ocean Alliance, NDLR] a été renforcé, déployant désormais 14 navires de 20 000 EVP ».
Outre la situation sécuritaire en mer Rouge, le protectionnisme grandissant entre la Chine et l’Europe (droits de douane sur les vins et spiritueux en représailles des taxes sur l'importation des véhicules électriques) « impactent nos trafics », ajoute la direction, tandis que la perspective d’une grève d'ampleur sur la côte est des États-Unis (finalement avortée) a mis ce marché en dépression. D’où une décroissance de 20 % sur les États-Unis. Le report modal s’en trouve stimulé.
Extension au programme
En octobre, le conseil de surveillance du Port a confirmé son projet d’extension des
terminaux conteneurs de ses bassins Ouest (Fos-sur-Mer), dans le prolongement de l’actuel terminal Fos 2XL Nord. Actuellement, l’infrastructure comprend deux terminaux, dont l’un est exploité par Seayard (société détenue par Til/MSC, APM Terminals/Maersk et Cosco shipping Ports), et l’autre par Eurofos (DP World, CMA CGM, China Merchants Port), ce dernier étant par ailleurs en discussion avec le port dans le cadre d’une renouvellement de concession pour trois postes au sud du terminal
Le chantier, d'un coût estimé à 217 M€, prévoit d’allonger le linéaire de quai (non communiqué) de façon à accueillir simultanément deux navires de 400 m, ainsi que la création d'un quai public mixte pour les barges fluviales et les rouliers.
L’autorité portuaire est par ailleurs engagée dans l’amélioration de la desserte ferroviaire des terminaux à conteneurs pour augmenter la part du rail dans les pré-et post-acheminement. À cet effet, elle a finalisé la première phase des travaux de réaménagement du môle Graveleau. Une opération à 27,5 M€.
Les remorques : + 5 %
Autre vent porteur, le marché des remorques avec 5 % de croissance du ro-ro, tirée par la reprise des flux commerciaux vers la Corse et l'Algérie et une forte augmentation des exportations tunisiennes, notamment des produits agroalimentaires (+ 24 % en valeur) et mécaniques vers l'Europe et vers la France. Une tendance favorisée par des réalignements économiques liés au conflit en Ukraine
Le segment des véhicules a, lui, été marqué par le renforcement de l'offre du fait des entrées sur le marché des car-carriers de CMA CGM et du Norvégien Wallenius Wilhelmsen, leader européen du transport de véhicules. De son côté, Glovis (groupe Hyundai Kia), a signé avec le port pour trois années supplémentaires mais en changeant d’opérateur portuaire (groupe Filippi). Pour autant, le trafic de voitures est en baisse de 8 %. « On s'attendait à un meilleur résultat et à vrai dire, concède Hervé Martel. Mais c'est essentiellement lié à la baisse des immatriculations en France. »
Vracs, même combat
Vracs liquides (44,3 Mt, - 2 % p/r à 2023) et vracs solides (6,5 Mt, - 26 %), même combat : les flux incarnant les énergies du passé sont responsables de la mauvaise tenue des deux filières. Le premier secteur, impacté par l’arrêt technique de la raffinerie Esso (et sa cession), a cependant été marqué par une hausse des produits raffinés (+ 10 %) et de gaz de pétrole liquéfié (+ 13 %), ce dernier segment aidé par l’interdiction européenne d’importation de GPL russe. En revanche, le trafic GNL a dévissé de 16 %.
Les vracs solides restent, eux, tributaires des convulsions de la sidérurgie européenne qui se traduit localement par le quasi-arrêt des deux hauts-fourneaux d’ArcelorMittal et le redressement judiciaire du principal terminal minéralier. Mais, selon Hervé Martel, le point bas a été atteint. « Les grands projets industriels, en cours de développement, ont besoin, soit pour leur approvisionnement, soit pour l'exportation de leurs produits, d'un terminal multivrac ».
Passagers : desserte de l'Algérie et de la Corse fragilisée
Le trafic passagers (3,9 millions dont 2,4 millions pour la croisière) a enregistré en 2024 une diminution de 4 %, imputable à la desserte de l'Algérie et de la Corse, ainsi qu'à la réduction des escales des compagnies de croisières (Royal Caribbean, Celebrity, Aïda et Norwegian Cruise Line). Le nombre de têtes de ligne a néanmoins augmenté d'un petit 1 %, atteignant 650 000 passagers. Parallèlement, le taux de remplissage des navires a progressé pour atteindre 83 % et l’offre s’est renforcée. MSC a par exemple ajouté 26 escales (+ 13 % par rapport à 2023). Dans un contexte compliqué au plan diplomatique avec l'Algérie, une nouvelle ligne ro-pax opérée par la compagnie algérienne privée Nouris Elbahr Ferries est en activité depuis le 1er novembre, renforçant les connexions maritimes avec l'autre rive de la Méditerranée. Non sans générer des inquiétudes collatérales.
Logistique en effervescence
Côté logistique, Distriport est proche de sa pleine occupation avec 546 000 m² réservés sur les 600 000 m² prévus à l’origine. GXO a étendu ses infrastructures de 12 000 m² pour accompagner la croissance d’Electro Dépôt, portant la surface totale de son site à 55 000 m². Le groupe Adeo mobilise deux bâtiments totalisant 126 000 m² de surface de plancher. Mediaco Logistique Sud devrait porter sa surface de 9 000 à 23 000 m² pour accueillir trois cellules tri-température.
Investissements 2025
En 2024, la plus grande part de l’enveloppe budgétaire de 99 M€ a été consacrée à des projets liés à la transition écologique à la décarbonation (47 M€) dont 18,8 M€ pour la connexion électrique des navires à quai et les centrales photovoltaïques. Ce qui porte l’effort financier global du GPMM pour l'électrification de ses terminaux à 170 M€ à ce stade. Sur ce plan, le port déroule son programme prévu jusqu’en 2029, date à laquelle les navires en réparation navale, trois paquebots, les ferries et les porte-conteneurs pourront brûler bien moins de CO2 en étant à quai.
En 2025, le budget prévoit un engagement financier similaire, dont 35 M€ en faveur de la décarbonation, 32 M€ pour l’aménagement des bassins et terminaux et 32 M€ pour la modernisation des infrastructures portuaires.
Adeline Descamps
Reconstitution des fonctionnalités ferroviaires
À Marseille, sur les bassins Est, en intra-muros, les infrastructures ferroviaires de du terminal Med Europe (groupe CMA CGM), font aussi l’objet de mises à niveau avec la modernisation de voies et l’ajout de faisceaux pour participer à la reconstitution des fonctionnalités de traitement des conteneurs et des caisses mobiles sur Marseille, après la fermeture désormais effective du terminal. Le projet de reconstitution des fonctionnalités ferroviaires du Canet a fait l’objet d’enquêtes publiques en 2024.
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