Marseille-Fos : 709 hectares sanctuarisés pour des grands projets

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La zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer en grande mutation portuaire.

Crédit photo ©D.Grandemange/4Vents.fr
Marseille Fos profite, comme tous les ports européens, de l’épiphanie portuaire découlant des stratégies de réindustrialisation et de transition énergétique. Si Dunkerque agit comme un véritable aspirateur d'actifs belges dans la logistique, Marseille concentre des intérêts stratégiques autour des énergies propres mais que les rondelets niveaux d'investissement et la fiscalité incertaine fragilisent.

« Aujourd’hui, on compare plus les ports en fonction de leur dynamique industrielle que de leurs trafics, résume Hervé Martel, président du directoire du Grand port maritime de Marseille (GPMM). Il se passe tellement de choses sur le front de l'industrialisation qu'on parle finalement plus des investissements portuaires que des flux », ajoute le dirigeant qui intervenait le 21 janvier à l'occasion du rituel exercice annuel du « bilan et perspectives »

Marseille Fos profite, comme tous les ports européens, de l’épiphanie portuaire découlant des stratégies de réindustrialisation et de transition écologique et énergétique. « Si on veut être à la hauteur des projets d’infrastructures majeurs qui sont devant nous, ce sont plus d'un milliard d’investissements qui vont devoir être initiés dans les cinq années qui viennent. C’est à l’échelle du port de Marseille à la fois colossal et indispensable pour inscrire dans la pérennité les activités portuaires et se projeter sur l’avenir », aura dit en préambule Christophe Castaner, le président du Conseil de surveillance depuis novembre 2022. « Un mur d’investissements », insistera-t-il. Le garant de la stratégie du port phocéen fait référence aux aménagements industriels nécessaires aux six « grands projets industriels » portés par le secteur privé dans la zone industrialo-portuaire, sur les bassins Ouest du GPMM. « Avec Dunkerque, Marseille est la plus grande zone de projets industriels au niveau national. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas été classés en tête sur ces sujets », dira encore l'ex-Ministre du gouvernement Édouard Philippe, un autre apôtre de la réindustrialisation en bord à quai.

709 hectares sanctuarisés

Si Dunkerque, historique port d’industrie lourde, excelle sur la logistique en étant un véritable aspirateur d'actifs belges qui trouvent en France des facilités d’implantation (durée d’instruction des dossiers considérablement écourtée), Marseille concentre des intérêts stratégiques autour des énergies propres (éolien, acier vert, carburants de synthèse…) mais que les rondelets niveaux de fonds rendent encore hypothétiques. Sans parler de l’incertitude fiscale actuelle en France qui fait trembler la main des investisseurs. Haropa Port vient d'en faire l'amère expérience. Le groupe chimique américain Eastman, qui avait annoncé au printemps 2023 un investissement de près de 1 Md€ dans une usine de recyclage moléculaire du plastique, a récemment gelé sa décision faute d'y voir clair dans la législation sur l'incorporation de matières recyclées dans la production de plastiques. Engie a de son côté renoncé à la production de biométhane à partir de pyrogazéification pour le transport maritime (Salamandre) faute de réunir toutes les conditions économiques.

Ces sociétés portent des technologies nouvelles pas complètement maîtrisées tant sur la partie économique que technique, ce qui exacerbe leur fragilité. « Ils sont en phase de levée de fonds avant une décision finale d'investissement (FID) attendue l’année prochaine », précise l'autorité portuaire marseillaise, néanmoins confiante.

« Nous avons sanctuarisé 709 ha avec la vocation d’accueillir des projets industriels de décarbonation dans les prochaines années, rappelle Christophe Castaner. Nous avons beaucoup œuvré sur le champ politique, avec Édouard Philippe [en tant que maire du Havre, NDLR], pour faire en sorte que les ports puissent profiter d’un accompagnement spécifique compte tenu des enjeux ». Conformément à la loi Zan (zéro artificialisation nette), qui vise à restreindre l’artificialisation des sols, un quota de 12 500 ha pour la période 2021-2031 a été alloué sur le territoire national à des « grands projets d’importance nationale et européenne », qui se trouvent de fait exemptés du dispositif.

Concertation publique bien embranchée

À Marseille, les ambitions industrielles sont concentrées sur le golfe de Fos-sur-Mer. Les investisseurs ont plutôt bien passé, chacun, le premier grand oral, celui du débat avant l'enquête publique. Au printemps 2025, un autre exercice de concertation portera cette fois sur l'ensemble des six opérations. Tous avancent à ce stade des solutions qui devraient conforter le port dans son ambition à devenir un hub de production et d’avitaillement multiénergies.

Carbon – projet le plus avancé qui vise à implanter une giga-usine de panneaux solaires (capacité de 10 millions de panneaux par an) d’un investissement de 1,7 Md€, – a déposé officiellement sa demande de permis de construire.

Gravity – production de 2 Mt de minerai de fer préréduit (DRI) à partir d'hydrogène obtenu par électrolyse de l'eau pour la sidérurgie (investissement estimé à 2,2 Md€) –, est susceptible de générer l’import de 3 Mt de minerais et l’exportation jusqu'à 2 Mt de DRI. Une perspective dite « inespérée » pour les terminaux de vracs solides qui paient un lourd tribut à la transition énergétique en cours. Les difficultés de Carfos, filiale française du manutentionnaire belge Sea-Invest, qui exploite le terminal minéralier, est emblématique des effets collatéraux induits par les mutations portuaires en cours.

E-méthanol et E-Saf

Trois autres perspectives sont tout autant déterminantes pour sortir l'historique port pétrolier de son monomaniaque tropisme. « Nous avons une grosse activité sur les carburants de synthèse avec des opérations parallèles orientées vers la fabrication d'hydrogène et d’e-méthanol bas carbone », insiste Hervé Martel.

Pour l’un d’entre eux, H2V, dont le port de Marseille est actionnaire, une promesse de bail pour la phase initiale a été signée. Après une concertation préalable conclue en décembre 2023, la concertation continue est en cours, le dépôt des permis et des demandes d’autorisation estimés mi-2025. La mise en service de la première phase est prévue pour 2028. L'entreprise envisage en plusieurs temps la production d’hydrogène vert (trois unités, capaxité de 44 000 t/an) et de carburants de synthèse : une unité d’e-méthanol de 210 000 t/an pour le transport maritime et une autre d’e-kérosène jusqu’à 75 000 t/an pour l'aviation. Les e-SAF permettraient de diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 86 % par rapport au kérosène, sans nécessitér une modification dans les infrastructures d'avitaillement ni dans la propulsion.

Un autre, Neocarb (investissement de plus d’1 Md€ au démarrage), porté par la PME Elyse Energy, vise la production d'e-méthanol, pour des usages maritimes à partir de CO2 en provenance de la plateforme d’économie circulaire Piicto du Caban-Tonkin. L’e-méthanol pourrait ensuite être converti pour « sortir » du e-kérosène par la voie dite « alcohol-to-jet ». Les deux unités utiliseront de l’hydrogène bas carbone produit sur site par électrolyse. La concertation préalable s’est clôturée le 20 janvier dernier.

NeoCarb prévoir de fournir 100 000 t par an d’e-méthanol et 50 000 t d’e-kérosène en utilisant jusqu'à 300 000 t de CO2 recyclées par an. Il pourrait en outre générer et consolider un flux portuaire d’environ 0,5 Mt par an, « que ce soit sur les produits finis à exporter ou sur la possibilité d'importer du méthanol si nous n’avions pas la capacité d'en produire suffisamment sur site », faisait valoir Jérôme Giraud, directeur territorial délégué d’Elyse (ex-directeur du port de Toulon) lors de la présentation du projet.

L’entreprise lyonnaise a sécurisé 51,3 des 150 ha du parc logistique et industriel Asco Fields (où est implanté Ascométal), non loin de Gravity. En fonction de l’instruction administrative du dossier, le permis de construire pourrait être déposé fin 2025 tandis que la FID est envisagée à horizon 2027. Pour rappel, la France importe entre 600 000 et 800 000 t de méthanol (d'origine fossile) chaque année. Selon la direction de la PME, il serait possible de « relocaliser et décarboner la production de 30 % du méthanol aujourd’hui importé en France ».

De l'ammoniac verdi

La concertation du projet dénommé Medhyterra s’est terminée, elle, en novembre 2024. L'opération consiste à réaménager une partie du site de Fos-sur-Mer/Tonkin en terminal d'importation d'ammoniac bas carbone (une affaire de 120 à 150 M€) « avec vocation soit d'utiliser l'ammoniac vert pour se substituer à son équilvalent gris utilisé pour les engrais, soit de recasser cette molécule pour en utiliser l'hydrogène », précise la direction portuaire.

Grandes ambitions dans l'éolien

De tous, c'est sans doute le très ambitieux Deos (acronyme de Développement de l’éolien offshore) qui accroche les attentions. Le débat préalable relatif à la construction des infrastructures portuaires et à leur concession éventuelle à des acteurs privés, a été lancée en fin d’année dernière. L’enquête publique est prévue fin 2025. Il est question de structurer d’ici 2028 une filière autour des éléments industriels (flotteurs mâts, nacelles, pales…) et prestations logistiques nécessaires au déploiement des champs d’éoliennes flottantes en Méditerranée. Une base arrière en somme, où les flotteurs, en béton ou en acier, seraient fabriqués et stockés et où les turbines seraient assemblées, testées et préparées pour leur mise en service. Après avoir accueilli le parc pilote de Provence Grand Large, la direction portuaire a dans le viseur le déploiement des parcs de l’appel d’offres n°6 (AO6), dont les lauréats ont été désignés en toute fin d’année dernière pour une mise service de deux parcs de 250 MW (14 éoliennes) d’ici 2031. Mais il mise surtout sur le déploiement des parcs commerciaux de plus grande envergure à venir. Le gouvernement français a confirmé en fin d'année dernière la planification du dixième appel d'offres (AO10) qui devrait porter une puissance totale de 8 à 10 GW.

Pour ce dossier à fort enjeu – l’éolien flottant couvre la totalité du potentiel éolien en Méditerranée –, Marseille-Fos prévoit un investissement de 600 M€. Il s’agira notamment d’aménager un site de 75 à 80 ha à l’entrée de la darse 2 (en face des terminaux conteneurs, sur les terrains de l’ex-X4L). L'établissement portuaire pourrait sortir gagnant du point de vue de ses trafics, le projet supposant l’acheminement de matériaux nécessaires aux flotteurs, susceptible de générer 1 Mt de trafic et en colis lourds (pour une dizaine d’unités par an). « Dans le cas d’une fabrication en série de flotteurs en béton, la proximité avec le terminal minéralier permettrait d’envisager des synergies », souligne Hervé Martel, sachant que le site Eiffage Métal, qui a déjà construit à Fos les flotteurs du projet pilot EFGL, se situe au fond de la Darse 2.

Sur le plan du financement, la direction portuaire est discrète mais pas à court de pistes : fonds européen pour l’innovation ; Contrat de Plan État–Région (CPER) ; crédit d’impôts pour les investissements dans l’industrie Verte (C3IV). Pour l’heure, la quête de cash se limité à un dossier déposé auprès de l’Ademe. « On parle d'un demi-milliard d'infrastructures pour mettre sur pied, sans aucune modestie, un hub de référence en Méditerranée voire en Europe où la filière trouvera, sur un site compact, des solutions complètes et compétitives, que ce soit la fabrication des flotteurs, l'intégration des éoliennes, le commissioning, le stockage, les systèmes d'ancrage et même une partie des sous-stations », assure Hervé Martel.

200 à 300 M€ à sortir

Si on intègre le dessein de l’aciériste italien Marcegaglia (reprise de l’ancien site d’Ascométal à Fos-sur-Mer, 600 M€ prévus), ce sont au moins quelque 7 Md€ d’investissements au total prévus en phase initiale d’exploitation pour l'ensemble de ces grandes manœuvres, par ailleurs génératrices de flux.

En 2024, l’établissement portuaire a investi près de 99 M€ dans ses installations (75,7 M€ en 2023) dont 9 premiers millions d’euros pour des aménagement en vue de grands projets. En 2025, le budget prévoit un engagement financier similaire. « Mais on envisage entre 200 et 300 M€ par an sur le prochain projet stratégique 2025-2029 », s'empresse d'annoncer Christophe Castaner.

Adeline Descamps

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