L'autre guerre, entre le Hamas et Israël, a éloigné des caméras celle qui se déroule depuis près de deux ans aux portes de l'Europe. Pour autant, les attaques ne se sont pas mises en sommeil.
Un missile air-sol Kh-31P de type soviétique, tiré depuis un avion russe en survol de la mer Noire, a touché le 8 novembre le kansarmax Ruler, un vraquier de 91 800 tpl, amarré dans le port ukrainien de Pivdenny (Youjne).
Le navire battant pavillon libérien, dont on ne sait pas s’il était la cible, devait transporter une cargaison de minerai de fer de l'Ukraine vers la Chine. L'attaque contre le vraquier de l'entreprise philippine Venus Mare a tué un pilote ukrainien et blessé trois membres d'équipage ainsi qu'un employé du port, a précisé le Commandement opérationnel Sud pour la défense de l'Ukraine.
Le corridor d'exportation alternatif ukrainien fonctionne malgré l’attaque, a réagi, le 9 novembre, le vice-premier ministre Oleksandr Kubrakov. « Le trafic le long du corridor se poursuit malgré les attaques systématiques de la Russie contre les infrastructures portuaires. Cinq navires attendent d'entrer dans les ports pour être chargés ».
Le représentant du gouvernement ukrainien a précisé que six navires chargés de 231 000 t de produits agricoles avaient quitté les ports de la région d'Odessa et se dirigeaient vers le détroit du Bosphore en Turquie.
91 navires via le corridor alternatif
Depuis le retrait de Russie, en juillet, de l'initiative des Nations unies, négociée entre les deux belligérants pour permettre aux céréales et denrées alimentaires de transiter via la mer Noire sous blocus maritime russe, Kiev a mis en œuvre, dès août, un autre corridor pour le même usage.
Depuis le 8 août 2023, 91 navires ont exporté 3,3 Mt de produits agricoles et de minerai de fer tandis que 116 navires ont fait escale dans les ports d'Odessa, de Chornomorsk et de Pivdenny, selon Oleksandr Kubrakov.
Dans le cadre de cet itinéraire alternatif, les navires longent en principe les côtes de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Turquie, tous pays membres de l'Otan. Un paramètre dissuasif pour la Russie.
Si les forces de défense ukrainiennes assurent la sécurité des navires civils dans leurs eaux territoriales, la mer Noire est redevenue inhospitalière car les navires ne bénéficient plus de la protection d'un corridor sécurisé. Le Kremlin a averti que tout navire croisant dans les eaux sous blocus serait considéré comme un bâtiment militaire de la partie adverse.
Les primes d'assurance pour les navires faisant escale en Ukraine ont grimpé ces derniers mois, passant d'environ 1 % avant l'attaque à 3 % de la valeur du navire.
Selon les autorités ukrainiennes, l’attaque contre le Ruler est la 21e ciblée sur les ports de la région Odessa depuis le retrait de la Russie de l'accord céréalier.
Condamnation par Intertanko
L’attaque du vraquier Ruler est « un rappel brutal de la fragilité de la sécurité maritime », a réagi Intercargo, l’association qui représente les exploitants de vraquiers. « Cet acte d'agression, capable d'infliger la mort à des personnes innocentes, doit être condamné avec véhémence ».
Les vraquiers, doit rappeler l’organisation professionnelle, ne sont pas des bâtiments militaires et ses membres d’équipage ne sont pas des soldats mais des marins. « Les navires marchands, qui n'ont rien à voir avec le conflit en cours, ne doivent pas devenir des pions dans un engagement hostile (…). À la lumière de cet incident tragique, il est essentiel que tous les pays encadrant la mer Noire s'unissent pour assurer la sécurité et la sûreté de nos marins, qui jouent un rôle essentiel dans le commerce mondial ».
Des exportations en hausse de 15 % en octobre
Selon l’association ukrainienne des entreprises agricoles, les exportations de céréales ont augmenté de 15 % en octobre pour atteindre 4,8 Mt grâce au nouveau corridor.
Pour la campagne en cours juillet 2023/juin 2024, les expéditions de grainsavaient à peine atteint les 7 Mt (6,82 Mt) début octobre, selon les données du ministère de l'Agriculture.
Depuis le début de la guerre en 2022, les ports de la partie Nord du delta du Danube constituent les seuls points d'accès libres au commerce maritime.
Les ports fluviaux de Reni, Izmail et Ust-Dunaisk sont le dernier moyen d'exporter des céréales par la voie d’eau. Le transit par la partie nord de la mer Noire, à l'ouest de la Crimée, est interdit par la marine russe. La mer d'Azov est fermée aux navires marchands, à l'exception de ceux qui opèrent avec son approbation.
Ces relais sont cependant loin d'être suffisants pour assurer le potentiel de l'Ukraine, qui prévoit d'exporter 50 Mt des 79 Mt de céréales et oléagineux récoltés cette année.
Adeline Descamps