Contrairement aux éoliennes posées, dont l’installation en mer nécessite le recours à des jack-up, aussi techniques que rares et coûteux, les éoliennes flottantes peuvent être manutentionnées par des grues terrestres qui les déposeront sur leur flotteur, positionné bord à quai. L’éolienne pourra ensuite être remorquée vers le site offshore.
L’éolien flottant a donc recours à des OSV spécialisés dans la pose d’ancres, déjà utilisés dans l’exploitation pétrolière et disponibles en nombre pour un coût journalier raisonnable. Pour le remorquage des flotteurs, à raison de trois par éoliennes, il s’agit là aussi d’unités tout à fait classiques, sans nécessité de développements spécifiques.
La saisonnalité de l’installation est aussi moins contraignante que pour l’éolien posé, puisque la pose des ancrages peut se faire toute l’année. Pour le remorquage des flotteurs, en revanche, une interruption hivernale exigera un stockage à flot des flotteurs.
Port La Nouvelle en pionnier
Alors que Brest, Cherbourg ou encore Nantes-Saint-Nazaire ont investi dans des infrastructures utilisables pour l’éolien, Port-La Nouvelle est le premier à l’avoir fait spécifiquement pour le flottant, le seul envisageable en Méditerranée. Pour cela, le port a engagé dès 2019 des travaux consistant à tripler, à terme, la superficie portuaire. Un terminal à colis lourds, exploité par Euroports, est en service depuis 2022 avec 7 ha de plateforme, 250 m de quai à 11 m de tirant d’eau. Le terre-plein peut supporter 15 t/m² et le quai a été renforcé à 30 t/m².
C’est là que sont actuellement assemblées six éoliennes et leurs flotteurs : trois pour le projet Eolmed, qui seront installées prochainement au large de Gruissan, et trois pour EFGL (Éoliennes flottantes du golfe du Lion), loin des côtes de Barcarès.
Pour Eolmed, la construction des flotteurs a débuté au cours de l’été 2023. Ces éléments de près de 4 000 t ont ensuite été roulés bord à quai, avant d’être mis à l’eau par un submersible.
Pour EFGL en revanche, seul l’assemblage de l’éolienne se fait à Port-La-Nouvelle, puisque les flotteurs ont été construits par Eiffage à Fos-sur-Mer.
Le port occitan ne compte pas en rester aux projets pilotes, et a d’ores et déjà prévu le coup d’après, consistant à s’adapter au déploiement à grande échelle de parcs éoliens offshore d’une puissance conséquente. Pour cela, un nouveau quai de 300 m va être construit avec une profondeur de 16 m, et la superficie totale de la plateforme destinée à l’éolien sera portée à 40 ha : 7 ha déjà conquis sur la mer, 23 ha à conquérir, et 10 ha de terre-plein déjà existants à aménager. Les infrastructures, en construction, seront prêtes dès 2026, soit deux ans avant l’installation des premiers parcs de l’appel d’offres AO6.
Fos dégaine le projet Deos
Marseille-Fos aussi se met en ordre de marche pour structurer une filière d’ici 2028. C’est du moins toute l’ambition du projet « Deos », lancé par le Grand Port maritime le 7 février dernier. Sous cette appellation sont regroupés tous les éléments logistiques et industriels nécessaires au déploiement des champs d’éoliennes flottantes : 80 ha de plateforme disponible, 1 000 m de quai à forte capacité, 40 à 50 ha de stockage à flot. Objectif : déployer chaque année environ 25 éoliennes.
« S’agissant des flotteurs seuls, le marché est plus étendu et l’offre portuaire plus restreinte. Le marché adressable est constitué des champs éoliens situés dans un rayon d’environ 2 000 km au sein de la Méditerranée », analyse l’autorité portuaire, qui prévoit qu’une cinquantaine de flotteurs pourraient être construits chaque année à Fos. Pour cela, il faudra implanter une nouvelle unité de production de flotteurs en béton, qui s’ajouterait aux capacités d’Eiffage Métal. La société du groupe Eiffage, spécialisée dans les ouvrages en acier, a déjà construit à Fos les flotteurs du projet pilot EFGL.
Marseille Fos prévoit, un investissement de 550 M€ qui générerait 1 500 emplois pour la construction des flotteurs et 200 pour l’intégration des éoliennes. Outre les flux liés aux éoliennes elles-mêmes, la seule construction des caissons en béton serait à l’origine de nouveaux trafics maritimes sur les terminaux existants : de l’ordre de 500 000 t de granulats et 15 000 à 20 000 t d’acier. Pour être au rendez-vous des projets prévus au large des côtes méditerranéennes, les travaux de la nouvelle plateforme dédiée devraient démarrer au deuxième semestre 2026, pour une livraison fin 2028.
Projet éolien interportuaire aquitain
Sur la côte Atlantique, de Bayonne à La Rochelle en passant par Bordeaux et Rochefort, quatre ports de Nouvelle Aquitaine ont répondu conjointement à l’appel à manifestation d’intérêt lancé par l’État pour se préparer à l’éolien flottant offshore. Cette opportunité a donné naissance en 2022 à l’association Aquitania Ports Link, créée avec l’appui de la région, en vue de coordonner les efforts des quatre ports dans divers domaines, y compris l’éolien avec pour premier objectif d’élaborer un schéma logistique.
La Rochelle est chef de file de ce projet éolien interportuaire. Le port aunisien a déjà une certaine expérience en la matière puisqu’il a contribué à l’installation du premier parc au large des côtes françaises, celui de Guérande. Il s’agissait déjà de coopération puisque les éoliennes ont été préassemblées à Saint-Nazaire tandis que les monopieux et les pièces de transition ont transité par les quais de La Rochelle. Le même schéma est actuellement utilisé pour le parc éolien en mer de Yeu-Noirmoutiers. Pour ces 62 éoliennes, plus puissantes que celles du banc de Guérande, les 11 premiers pieux ont été réceptionnés début avril.
« Avec l’éolien flottant, on va encore changer d’échelle puisqu’on installera sur des flotteurs de la taille d’un terrain de foot des structures de celle de la tour Eiffel, prévoit Michel Puyrazat, directeur général du Grand Port maritime de La Rochelle. Pour la construction des flotteurs, la France a sa carte à jouer alors que pour l’éolien posé, les navires spécialisés viennent tous du Nord de l’Europe. »
Les ports d’Aquitania Ports Link ont été retenus à la suite de l’appel à projets lancé par l’Ademe, avec à la clef un financement de 850 000 € pour l’ingénierie, apportés pour moitié par l’État d’un côté et la région et les ports. Les besoins en surfaces portuaires sont conséquents pour la construction et la mise à l’eau des flotteurs. De nouveaux quais devront ainsi être aménagés, qui à La Rochelle sont déjà en cours sur les sites de la Repentie et de l’anse Saint-Marc, ajoute Michel Puyrazat.
Des zones de mouillage à prévoir
Dans le schéma étudié par l’association aquitaine, Bayonne se verrait confier la production des mâts et des éléments préfabriqués des flotteurs. Le stockage des mâts, des pales et des turbines ainsi que l’assemblage à flot des génératrices se ferait au Verdon à Bordeaux. À Rochefort seraient stockées les ancres et chaînes, tandis que l’assemblage des flotteurs et leur mise à l’eau se feraient à l’anse Saint-Marc à La Rochelle.
Les études portent aussi sur l’identification d’une zone de mouillage pour les flotteurs, en attendant leur ancrage offshore. Un site de mouillage a été identifié à La Rochelle, à proximité de la zone d’attente des navires mais le Verdon pourrait aussi convenir.
Au total, les investissements sont estimés à 88 M€ sur huit ans, également à répartir entre les quatre ports. Les études en cours permettront d’affiner cette première estimation et de préparer la réponse attendue pour janvier 2025 à l’appel à projets lancé en mars dernier par l’Ademe.
À La Rochelle sont concernés l’aménagement d’une zone de 35 ha à La Repentie, ainsi que 4,5 ha à Saint-Marc 3 et au Verdon, le renforcement du quai et du terre-plein. « Une des forces de notre projet, ce sont les autorisations environnementales déjà obtenues, à La Rochelle comme au Verdon », souligne Michel Puyrazat. Si ces projets sont retenus, les appels d’offres seront lancés en 2025 pour des travaux qui devront prendre fin d’ici 2028.
Étienne Berrier
Éolien offshore: le calendrier s’accélère
En France, les éoliennes ont pour l’instant été posées sur des fonds peu profonds. Depuis la mise en service fin 2022 du premier parc de 480 MW à Saint-Nazaire, ont suivi ceux de Fécamp et Saint-Brieuc, de 496 MW chacun.
Les champs de Courseulles-sur-Mer, Yeu-Noirmoutier et Dieppe-Le Tréport, d’une capacité de 450 à 500 MW, entreront en service en 2025 ou 2026, ceux de Dunkerque (600 MW) et de la Manche (1,2 GW) d’ici 2030. À échéance plus lointaine (2032), les « flottilles » de turbines au large d’Oléron (1,2 GW) et de la Manche (1,5 GW) n’ont pas été attribuées. Ce sont ensuite majoritairement des machines flottantes qui prendront le relais, pour parvenir à l’objectif fixé de 18 GW au large de côtes françaises en 2035 et 45 GW en 2050.
L’ouverture du bal de l’éolien flottant se fera par la côte sud de la Bretagne. Le 2 mai, le gouvernement a annoncé avoir choisi, parmi les dix candidats en lice, le lauréat de l’appel d’offres AO5, pour l’installation de 250 MW au large de Groix et Belle-Île. Son nom devrait être connu très prochainement. La mise en service du parc est prévue pour 2031.
Neuvième appel d’offres en préparation
Dans la foulée, le cahier des charges de l’appel d’offres AO6 a été publié en vue de l’attribution avant la fin de l’année de deux parcs éoliens flottant de 250 MW chacun, au large d’Agde et de Fos-sur-Mer. Il a été précisé que deux groupements distincts seront retenus « afin de minimiser les retards et les risques technologiques, de diversifier les stratégies industrielles et maintenir l’attractivité des appels d’offres ultérieurs en conservant un marché ouvert ».
Un neuvième appel d’offres est en préparation, qui devrait être publié en avril 2025. Il concerne une extension des parcs de Bretagne Sud, Méditerranée et Oléron pour une puissance de 2,5GW. Enfin, un dixième appel d’offres sera lancé en 2026 pour une dizaine de GW supplémentaires, avec 2035 pour horizon.
Cette accélération oblige les ports à adapter leurs infrastructures. C’est dans ce but qu’un appel à projets spécifique, doté de 190 M€, a été publié
par l’Ademe en mars 2024. En cours jusqu’en janvier 2025, il vise l’aménagement de terrains pour l’assemblage des flotteurs, la création d’espaces pour leur stockage ou encore l’adaptation de quais pour le montage des éoliennes sur les flotteurs.
E.B.