Les entreprises de l’Union nationale des industries de la manutention (Unim) étaient réunies à La Seyne-sur-mer les 16 et 17 mai. Leurs assemblées générales étaient familières des questions sociales. Cette fois, les gardiens de la politique de libéralisation amorcée par les réformes de 1992 et 2008 s’en prennent au régime de la domanialité et à l’instabilité fiscale. Beaucoup (trop) de « passagers clandestins ».
Une histoire sans fin… « Cela fait bientôt 30 ans que la profession vit de profondes mutations, 25 ans que nous sommes en réforme pour arriver enfin sur le plan juridique à un modèle de fonctionnement proche de nos concurrents européens, celui du « landlord port » qui permet de recentrer les missions des autorités portuaires sur les activités régaliennes et d’aménagement du domaine portuaire tout en réservant au privé les activités commerciales. Ne revenons pas en arrière », implore et déplore Christian de Tinguy, président de l’Union nationale des industries de la manutention (Unim), la fédération professionnelle représentant les opérateurs privés et exploitants de terminaux dans les ports français (100 entreprises, employeurs de 6 000 dockers), réunis à La Seyne-sur-mer les 16 et 17 mai.
Le point d’orgue de la vie d’une fédération qu’est l’assemblée générale annuelle nous avait habitués aux questions sociales, héritages de la réforme portuaire de 2008, dont certains dossiers ne sont du reste toujours pas soldés, c’est le cas de l’application de l’accord sur la pénibilité, tandis que pointent d’autres, tel l’amiante (cf. plus bas). Mais, c’est davantage la précarité économique qu’il ont conté cette fois, résultant des multiples pressions fiscales exercées sur une activité, qui compte tenu des tickets d’entrée élevés, « nécessite de la visibilité pour sécuriser les investissements et surtout un cadre juridique stable » (notamment en matière foncière).
Or, en 2018, font-ils valoir, les manutentionnaires ont relevé plusieurs attaques frontales qui dénaturent l’esprit de toutes les réformes ! Dans leur ligne de mire, le changement juridique de l’exploitation des terminaux. Leur bête noire : le fameux article 35 de la loi dite LOM* (loi d’orientation des mobilités) qui voudrait muter la « convention de terminal » en « concession de services », ce qui signifierait, selon les concessionnaires, une ingérence de l'autorité portuaire sur leur gestion. Car la concession de services suppose en effet plus de régulation de l'autorité portuaire alors que la convention de terminal, qui prévaut dans les grands ports d’Europe du Nord, s’apparente davantage à une simple occupation temporaire du domaine, avec un bail et un occupant qui « fait un peu ce qu’il veut ».
Avant cela, la décision en février 2017 du Conseil d’État (décret « Port du Verdon** ») de requalifier, en s’appuyant sur une directive européenne de 2014, en concession une convention de terminal a mis le feu au poudre. Pour les manutentionnaires, qu’il y ait mauvaise ou excès de zèle dans l'interprétation d’une directive européenne, c’est surtout la traduction de l’instabilité du corpus législatif en matière de domanialité publique. « Ce qui est très inquiétant » pointe Christian de Tinguy, par ailleurs directeur général de Terminaux de Normandie. Depuis, la profession s’est mis en mode militant.
« Toute cette histoire est un cauchemar. Pourquoi aller chercher cette directive concession alors que le parlement européen a clairement dit que ce n’était pas adapté aux terminaux portuaires. La concession convient à un service public. Nous ne sommes plus, depuis 1991, des prestataires de services publics mais des industriels opérant dans un contexte concurrentiel. Instaurer un système de gouvernance vertical via le recours au régime concessif pour les terminaux portuaires serait un retour en arrière mortifère ».
Source : Unim, rapport d'activité 2018
Le président de l'UPF, présent dans la salle
Présent dans la salle, Hervé Martel, ex-patron du port havrais, fraîchement arrivé à la tête du Grand Port maritime de Marseille, aura sans doute apprécié. Car le « terrible » article 35 est en partie l’œuvre du président de l’Union des ports de France. Sondé par les membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, en fin d’année, dans un débat sur la compétitivité des ports français voulu par Michel Vaspart, président du groupe d'études Mer et littoral au sénat (également présent à la Seyne), le président de l’UPF justifiait l’affaire par une volonté de « plus de régulation » (la Cour des comptes et l'Inspection des finances n’avaient-elle pas souligné que les ports n'étaient pas assez impliqués dans les opérations ?) mais reconnaissait que compte tenu des règles de domanialité, « c'est un peu la quadrature du cercle pour ne pas casser la compétitivité : trop de régulation, c'est moins de compétitivité ; pas assez de régulation, c'est un défaut de portage des politiques publiques et un manque d'efficience ».
In fine, l’UPF et l’Unim ont fini par se mettre d’accord, non sans difficultés, sur les termes de l’article 35 (le projet de loi LOM avec ses 2 800 amendements est actuellement en débat à l’Assemblée nationale) en laissant le choix entre les deux régimes, la convention de terminal constituerait le régime de principe (de droit donc) tandis que la concession serait un régime dérogatoire auquel les grands ports maritimes pourraient recourir « lorsque le contrat a pour objet l’exécution, pour les besoins exprimés par le grand port maritime, d’une prestation de services ».
Mais voilà, le diable du droit étant toujours dans les détails, la loi ne précise pas le cadre ou la liste de ce « besoin exprimé par le port ». « Nous sommes encore dans un cadre d’imprécision juridique. De fait, la décision de recourir à l’un ou l’autre instrument pour l’exploitation des terminaux portuaires serait laissée à la libre appréciation de l’autorité portuaire », poursuit Renan Sevette, le délégué général de l’Unim.
Je suis incapable de vous dire aujourd’hui ce qu’il sortira des débats du parlement à son sujet, confie Michel Vaspart. Quoi qu’on en dise, revenir sur la convention de terminal est une remise en cause de la loi 2008, de façon détournée certes, mais c’en est une. Au Sénat, j’ai souhaité que l’on mette en place une mission pour améliorer la compétitivité de la maritinité française, qui sera effective le 1er septembre. J’ai l’intention de faire quelques propositions décoiffantes mais il est impératif que toutes les parties prenantes du port, privé et public, aillent dans le même sens car nos concurrents sont bien étrangers », rappelle à bon entendeur le sénateur qui annonce qu’à l’issue de la mission, il déposera une proposition de loi pour que le gouvernement se saisisse de ce dossier. « Je sais que le Premier ministre est attentif au dossier maritime. Je suis déterminé à ce qu’il avance ».