Après avoir acté l’intégration du transport maritime dans le système communautaire d’échanges de quotas d'émission (SCEQE ou ETS), le Parlement européen a approuvé, en séance plénière le 11 juillet, le compromis issu du processus de trilogue avec le Conseil sur deux autres volets clés du paquet Fit for 55, la feuille de route climatique de la Commission qui projette de réduire de 55 % les émissions de l’Union européenne à l’horizon 2030.
Le texte FuelEU maritime concerne les carburants maritimes durables. À partir de 2025, les navires d’une jauge brute supérieure à 5 000 UMS devront diminuer progressivement la quantité de gaz à effet de serre dans l'énergie qu'ils utilisent, en visant des réductions de 2 % d'ici 2025, 6 % d'ici 2030, 14,5 % d'ici 2035, 31 % d'ici 2040, 62 % d'ici 2045 et 80 % d'ici 2050, par rapport au niveau de 2020 (91,16 gr de CO2 par mégajoule).
Le champ d’application concerne les ports de l’Union européenne et entre les ports de l'UE, ainsi que 50 % de l’énergie consommée lors des voyages avec un port hors UE ou dans les régions ultrapériphériques de l’UE.
Déploiement généralisé de la connexion électrique à quai
Le règlement Afir, relatif au déploiement d'infrastructures pour les carburants alternatifs (telle que l'alimentation électrique dans les ports et/ou la fourniture de carburants renouvelables ou à faible teneur en carbone), oblige les exploitants de porte-conteneurs et de navires à passagers (ferries et paquebots) à utiliser l’alimentation électrique pour tous les besoins en électricité lorsqu’ils seront amarrés à quai dans les principaux ports de l’UE à partir de 2030 (moyennant une durée d’escale de deux heures ou plus). S’ils utilisent d'autres technologies zéro émission, ils bénéficient d’un sursis temporaire jusqu’en 2035.
Les ports sont tenus de mettre ces infrastructures à disposition s’ils enregistrent au moins 100 escales de porte-conteneurs, 40 de ferries et ro-pax et 25 de paquebots.
Quant aux carburants renouvelables, les directives fixent un objectif d’utilisation de 2 % à partir de 2034 si les carburants renouvelables d’origine non biologique (RFNBO) représentent toujours moins de 1 % du mix énergétique en 2031. Les eurodéputés ont dû revoir leurs ambitions à la baisse au gré des négociations. Réunis en plenière en octobre dernier, ils établi un objectif de carburants totalement décarbonés de 2 % d'ici 2030.
Répartition des financements, le sujet
La répartition des financements, pour la connexion électrique à quai, entre les opérateurs des terminaux portuaires et les autorités portuaires, n’est toujours pas résolue. La Feport, qui représente au niveau européen les manutentionnaires privés, ne manque pas de rappeler, tant sur l’électrification à quai que sur l’offre de carburants alternatifs, « qu'on ne pourra pas faire l’économie d’un débat sur la claire répartition des rôles. En France, l'infrastructure est gérée par les autorités portuaires, qui ont une délégation des États au niveau local. C'est le cas dans un certain nombre de pays. Les investissements à réaliser pour la mise en place d’une offre de fuel doivent respecter ce schéma », indique la porte-parole des manutentionnaires, Lamia Kerdjoudj.
En clair, non, il ne revient pas aux opérateurs de terminaux d’investir en lieu et place des établissements portuaires. « L'opérateur privé, lui, est là pour offrir le service. Les investisseurs privés ont énormément investi dans les ports ces dernières années et ont apporté en termes d’attractivité et de compétitivité ». Avoir voix au chapitre est une vieille et constante revendication des opérateurs portuaires, qui ont souvent la désagréable impression d’être considérés comme des tiroirs-caisses sans droit de regard sur les orientations stratégiques actées.
« Il est important que, pour la première fois, le cadre strict pour le déploiement de l’électrification à quai s'accompagne d'une obligation d'utiliser l'infrastructure », indique de son côté Isabelle Ryckbost, secrétaire générale de l'Espo, représentant les autorités portuaires. « Nous devons maintenant porter la législation à quai et nous asseoir avec toutes les parties prenantes concernées, y compris les compagnies maritimes et les opérateurs de terminaux, afin de progresser rapidement d'ici 2030 ».
Points de blocage
Les réticences de part et d’autre trouvent au moins un terrain d’entente : les coûts d’investissement (sachant qu’ils seront facturés et qu'un coût d'amortissement sera supporté par les utilisateurs).
Une certitude : le système de tarification de l'électricité dans la plupart des pays n'est pas adapté, faute de compétitivité (le prix sera pourtant un élément important dans la décision des compagnies maritimes d'utiliser le branchement), et pas davantage la capacité du réseau pour alimenter plusieurs navires en même temps qui, selon la catégorie, ne requiert pas de surcroît la même installation.
D’autres problématiques se posent en termes de ressources humaines « Les opérations de connexion/déconnexion du navire à l'infrastructure terrestre diffèrent d'un segment à l'autre, avance Isabelle Ryckbost. Dans les terminaux à conteneurs, du personnel est disponible en permanence. Ce n'est pas le cas pour les terminaux de croisière. Il faut donc prévoir du personnel supplémentaire sur le quai, pendant les temps de connexion et de déconnexion, ainsi qu'entre les deux, en attente en cas d'urgence. Ces opérations requièrent des travailleurs qualifiés. »
Exonération fiscale ?
Tout au long du processus législatif, l'Espo a plaidé en faveur de la souplesse, demandant notamment aux régulateurs de donner la priorité aux investissements là où ils étaient le plus judicieux, à savoir là où un retour sur investissement peut être garanti grâce à un taux d’utilisation maximal et là où les gains environnementaux les plus importants peuvent être obtenus.
Si l'article 9 du règlement Afir établit un cadre normatif assez rigide, certains passages sur les différents modèles de gouvernance portuaire suggèrent que l'infrastructure pourrait être déployée dans les terminaux en fonction des besoins.
Dernier point et non des moindres, les ports européens demandent avec insistance l'introduction d'une exonération fiscale permanente à l'échelle de l'UE pour l'électricité à terre dans la directive révisée sur la taxation de l'énergie.
Rendez-vous avec le Conseil le 25 juillet
Le Conseil européen, représentant l’ensemble des États-membres, doit se réunir le 25 juillet pour approuver à son tour les deux textes, qui s'appliqueront alors à compter du 1er janvier 2025.
Adeline Descamps
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