Si le port « a réussi à tendre vers un équilibre entre activité industrielle, logistique et maritime », selon les termes d'Emmanuelle Verger, présidente du conseil de surveillance du Grand Port maritime de Dunkerque, qui vient de rempiler pour un second mandat aux côtés de Maurice Georges, président du directoire, les droits de port font encore tourner la marmite à 45 % du chiffre d’affaires (prévisionnel) de 114,6 M€.
Le trafic total du port de Dunkerque n’a pas encore franchi le cap fantasmé des 50 Mt mais s’en approche lentement avec 46 Mt, en hausse de 5 %. « Malgré un contexte économique peu favorable. C’est donc une très belle année », se félicite Emmanuel Verger, qui présentait les trafics de 2024 aux côtés de Maurice Georges, et de Daniel Deschodt, directeur général adjoint et directeur commercial. L’an dernier, les flux étaient en chute de 10 % par rapport à l’année précédente, victime de la conjoncture atone et de l’arrêt de certaines productions. Tous les ports européens, pas seulement français, étaient alors en retrait en 2023. Dunkerque a donc récupéré une partie de ses volumes évaporés.
Vracs solides au rythme d'ArcelorMittal
Les vracs solides restent la principale activité des dockers avec 33 % du total manutentionné et en hausse de 7 %, à 15,2 Mt, tirés par le trafic de minerai (+ 23 %, 7,9 Mt). Mais avec un effet de base prononcé. En 2023, les minerais de fer avaient accusé une chute équivalente en raison des perturbations techniques qui avaient impacté l’exploitation du site sidérurgique de Dunkerque pendant plus de trois mois en 2023. Les tonnages restent cependant inférieurs aux volumes habituellement observés.
Les terminaux de vracs solides vivent au rythme des battements cardiaques et convulsions d’ArcelorMittal, qui à l’instar de la sidérurgie européenne, est confronté à une demande et à des prix de l'acier à leur plus bas historique. Si bien que le leader européen a été contraint de retarder son projet d'acier décarboné sur le site nordique. Selon Eurofer, qui représente la filière au niveau européen, la capacité des hauts fourneaux européens est tombée en fin d’année dernière au niveau non viable de 60 %. La production d'acier dans l'UE a diminué de 30 % depuis 2008 pour atteindre 126 Mt en 2023 et près de 100 000 emplois ont été perdus en 15 ans. Au niveau mondial, les surcapacités ont atteint 551 Mt en 2023 alors que 157 Mt de capacités supplémentaires devraient être installées d'ici 2026 (principalement avec des technologies très émettrices de gaz à effet de serre), a annoncé l'OCDE.
Le projet d'acier vert d'ArcelorMittal à Dunkerque, qui consiste à construire deux fours électriques et une unité de réduction directe du fer, première étape pour produire l'acier décarboné, est estimé à 1,8 Md€, comprenant une aide jusqu'à 850 M€.
Vracs liquides : le GNL fait roi
Quant au pendant liquide (27 % de l’activité totale), la filière enregistre une hausse de 4 %, atteignant un peu plus de 12,2 Mt, porté par son terminal méthanier, « le deuxième en Europe continentale » (118 escales, plus de deux par semaine), qui devient essentiel. « Le GNL est un bon choix compte tenu des changements de stratégie en matière d'import de gaz au niveau européen, notamment liés aux crises géopolitiques », considère la direction portuaire. Elle se défend néanmoins d’en faire un trafic opportuniste. « C’est une tendance solide. Il n'y a pas de raison tangible pour que ça se modifie profondément », insiste la présidente du conseil de surveillance.
Les trafics d’hydrocarbures augmentent, eux, de 15 % pour atteindre 3,1 Mt, c’est dire que le GNL, en provenance de la Russie, des États-Unis et du Moyen-Orient (Qatar ?) représente 61 % des flux de vracs liquides.
Les céréales au gré des saisons
Balloté par le vent des récoltes, trafic sur lequel un établissement portuaire n’a guère de prise, les céréales ont littéralement dévissé de 20 %, à 1,3 Mt, en raison des exportations maritimes de grains très limitées au second semestre (le premier avait été plutôt préservé par le traitement des derniers volumes de la bonne récolte 2023), conséquence d’une saison médiocre, tant en quantité qu’en qualité.
Ro-Ro : L'Irlande, un moteur
Sur un marché roulier transmanche globalement stable sur le range, l'activité fret entre Dunkerque et Douvres se distingue (+ 8 %), tandis que le transport de
véhicules de tourisme progresse de 3 %. Dunkerque-Port a mis en service en février 2024 la nouvelle passerelle Ro-Ro6 destinée à remplacer la Ro-Ro 1, ce qui lui permet d’accueillir des ferries jusqu’à 215 m (de DFDS)
L’Irlande, connecté en direct sans passer par le Royaume-Uni et ses formalités douanières consécutives au Brexit, reste un blockbuster, avec une hausse de 22 % du volume de fret. En 2024, le trafic roulier consolidé au port de Dunkerque s'est élevé à 493 000 unités de fret (+ 9 %) et 369 000 véhicules de tourisme (+ 4 %). Le ferry a engrangé 1,76 millions de passagers (+ 9 %). Retour du tourisme après des années Covid fatales aux visites.
« Il faut noter le démarrage d’une nouvelle activité de logistique et de
manutention au port Est de Dunkerque de véhicules neufs construits dans les Hauts-de-France [véhicules Renault pour l'essentiel, NDLR]. Vingt escales de car-carriers ont été réalisées au cours des neuf premiers mois d’exploitation », indique le port.
Conteneur : progression constante de l'hinterland
Alors que les marchandises diverses ont progressé de 3 % à 18,6 Mt (40 % de l’activité totale), le conteneur a bien résisté, à moins de 2 %, à 653 000 EVP (soit 76 % de sa capacité à 850 000 EVP) mais sans rattraper les niveaux des belles années, trafics perdus au détriment du transbordement, en particulier vers les îles britanniques. C'est déjà le cas en 2023.
À noter, la croissance supérieure (+ 3 %) des conteneurs destinés à l’hinterland, pour la cinquième année consécutive, soit 436 000 EVP. En une décennie, ce trafic aura été multiplié par deux. « C’est la résultante d’un travail de fond effectué auprès des industriels des Hauts-de-France pour que le port de Dunkerque soit leur point d'entrée et de sortie naturel de leurs activités. Il faut aussi y lire les effets de la réindustrialisation qui devient concrète. Ces 436 000 EVP signifient beaucoup pour nous », insiste Emmanuel Verger.
Dunkerque gagne progressivement quelques lignes. Il a notablement accueilli l’an dernier (janvier 2024) la première escale puis la montée en puissance du service hebdomadaire de MSC reliant Dunkerque à la côte ouest-africaine et les Îles Canaries.
Depuis le mois de juin 2023, CMA CGM en a fait un port d’escale de son service conteneurisé hebdomadaire Europe-Moyen-Orient-Inde et Pakistan (service EPIC).
À compter de mi-février, le service FAL1 de CMA CGM (NEU4 pour Ocean Alliance – ligne qui vient d'Asie avec Dunkerque comme premier port d'escale à l'arrivée en Europe –, fait son retour et intègre une escale au port coréen de Busan mais remplace le FAL3. Premier touché le 17 février avec le CMA CGM Benjamin Franklin. Revenu sur les radars de l’emblématique ligne de CMA CGM en 2021-2022 après deux années d’interruption (2017-2019), l’escale avait à nouveau disparu du FAL 1 en 2024, mais préservée sur le FAL 3 en tant que premier port touché avant le Havre et non plus avec des 18 000 EVP mais avec des 23 000 EVP.
Grand projet structurant
Dans le conteneur, la grande affaire reste « le projet structurant CAP 2020 qui entre dans une phase déterminante en 2025 : celle de la réalisation des travaux ». Le
conseil de surveillance a délibéré en ce sens le 22 novembre 2024 et la Commission européenne a autorité en décembre l’aide de l’État français de 127 M€ (42 % du coût total du projet de 303 M€), levant le dernier verrou au lancement effectif du chantier.
Le projet prévoit l'extension de 1000 m au sud du quai de Flandres dans la continuité de l’actuel terminal en vue de créer deux nouveaux postes d'amarrage pour mégamax à une profondeur de 17,50 m, de façon à pouvoir traiter deux navires supplémentaires de grande capacité, sans contrainte de marée, 24h24, 7j/7.
L’objectif visé est de doubler la capacité de traitement des flux conteneurisés.
L'appel d'offres pour le choix du futur opérateur devrait être lancé en 2026 pour une mise à disposition du quai en 2027. Le candidat retenu disposera de 18 à 24 mois pour réaliser son programme d’investissement, en vue d’une mise en service du terminal en 2029.
Pour exister aux côtés des ports du range nord européen, l’un des plus petits ports à conteneurs du range nord-européen entend capter une partie du flux à venir du trafic traversant le détroit du Pas-de-Calais, condition sine qua non « pour le maintien et l’implantation de nouveaux chargeurs sur le port », indique la direction portuaire.
Adeline Descamps
* L’aide publique française de 127 M€ se décompose en une subvention de 87 M€ et d’un prêt de la Caisse des Dépôts et Consignations tandis que l’autorité portuaire intervient à hauteur de 8 M€.
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