Le mercato dans les ports français

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Il y a eu du mouvement ces derniers temps au sein des directions de Grands ports maritimes. Comme une volonté de larguer les amarres pour s’ancrer sur d’autres quais. Certains départs étaient prévisibles. D’autres étaient moins attendus. En imposant de nouveaux modes de fonctionnement, dont les changements ne semblent pas toujours compris, la transformation stratégique en cours dans les ports tend les relations en interne. 
Les grands ports français se trouvent manifestement dans une bande de vent portant. Les envies de prendre l’air claquent en vagues sonores, les cadres dirigeants aimantés par d’autres horizons à moins qu’ils n’y soient pressés. Pour certains, le départ était plus ou moins prévisible.  

C’est notamment le cas du port français à la géographie la plus favorisée, à l'extrémité occidentale de la façade maritime du Nord de l'Europe. Sa transformation en un grand port de l'axe Seine, suite à la fusion en 2021 des Grands Ports maritimes (GPM) du Havre, de Rouen et de Paris, a provoqué des remous. 

En décembre dernier, Baptiste Maurand a été le premier à hisser les voiles pour rejoindre une filiale du groupe ADP, en charge de la gestion des plateformes aéroportuaires françaises.

Directeur adjoint aux côtés de Hervé Martel, alors aux manettes du port du Havre, il avait été nommé à titre intérimaire en avril 2019 à la tête du premier port à conteneurs français lorsque son « patron » avait été appelé à Marseille.

Il sera ensuite confirmé à ce poste. L’ingénieur des ponts, des eaux et des forêts était dans la maison Haropa depuis 2016. Il l’a quittée peu de temps après que l’établissement unique portuaire Haropa Port ait été opérationnel. L’ensemble avait été logiquement confié à Stéphane Raison (ex-président du directoire du port de Dunkerque), qui en avait assuré en partie la préfiguration en relais à la franco-danoise Catherine Rivoallon.

Sous l'égide de Stéphane Raison, les directeurs des trois ports – Baptiste Maurand au Havre, Pascal Gabet à Rouen et Antoine Berbain, à Paris –, avaient été maintenus à leur poste mais avec le statut de directeurs territoriaux.  

Après Baptiste Maurand, Pascal Gabet

De façon prévisible, Pascal Gabet quittera, à son tour, en août la direction du premier port céréalier français (et européen) qu’est Rouen pour retrouver la direction interdépartementale des routes Nord-Ouest (Dinro) sous la tutelle du Ministère de la Transition écoloique. Il y a dirigé le service des politiques et des techniques de 2006 à 2011 avant d’entrer dans le monde portuaire.

 À Rouen, l’ingénieur des Ponts et Chaussées a notamment orchestré le programme d’approfondissement du chenal d’accès de façon à ce que ce port particulier avec ses 120 km de fleuve qui l’amènent à la mer puissent recevoir les plus grands vraquiers. Alors directeur adjoint de l’établissement quand Nicolas Occis a lâché la barre en 2013, il avait été tout aussi naturellement placé à la direction générale à l’issue d’une période de transition.  

Il s’est attelé durant son temps de mandat à positionner Rouen, port d’import/export en bout de territoire, en tant que zone multimodale de stockage relié à Paris et au Havre grâce à la Seine. C’est la finalité de Rouen Vallée de Seine Amont, connectée aux terminaux à conteneurs. Et il semblait trouver pertinents les rôles assignés au port de vrac par la feuille de route de l’établissement portuaire unique

Fuite dans le mangement intermédiaire 

Dans le management intermédiaire, les courants d’air font aussi claquer les portes. Après plus d’une décennie au sein d’Haropa, avec pour dernière fonction la responsabilité du service marketing et solutions clients, Nathalie Wagner a rejoint le 1er juillet le manutentionnaire d’un des trois terminaux à conteneurs de Port 2000, Générale de manutention portuaire (GMP), pour prendre en charge la direction commerciale de l’entreprise havraise dont est en partie actionnaire Terminal Link (joint-venture entre CMA CGM et China Merchants).  

Pas surprenant non plus, Laurent Foloppe quitte la direction de l’intelligence économique qu’il s’était vu confier à l’issue de la reconfiguration des grandes fonctions supports dans le cadre de la création de Haropa Port alors que Kris Danaradjou avait été nommé à une super direction surplombant les fonctions commerciales et marketingCelles que Laurent Foloppe occupait au sein du port de Haropa Le Havre. 

Ce dernier rejoint le groupe Bolloré, dont il est un familier pour avoir notamment dirigé le département Implémentation et Solutions Europe à la direction commerciale Europe du groupe. Il avait quitté le commissionnaire français en 2019 pour rejoindre le terre-plein Barre et remplacer Hervé Cornède, parti diriger l’infologisticien Soget.

C’est un parcours météorite pour le diplômé de l’École nationale des travaux publics de l’État et de Sciences Po Grenoble qu’est Kris Danaradjou. Entré en 2014 à la direction de l’Aménagement du port de Paris, il sera nommé à la tête du port de Gennevilliers avant de rejoindre la direction générale de Baptiste Maurand en tant qu’adjoint en juin 2020. Celui qui a débuté sa vie professionnelle au ministère de l’Équipement et des Transports, à la direction des Affaires économiques et internationales se trouve ainsi aux manettes d’un ensemble qui a tout à prouver et pour lequel les attentes sont fortes.

À Marseille, besoin d’air

Au sud, dans ce port né au creux d’une échancrure côtière, abritée des vents violents et entourée de montagnes, il y a eu aussi un peu de tohu-bohu ces dernières semaines. Alors que Claire Merlin, la directrice des Affaires juridiques, venait d’hériter, dans le cadre de la refonte de l’organigramme du port de Marseille, de fonctions plus stratégiques de pilotage qui lui donnaient la main sur des montages juridico-financiers importants en lien avec les grands projets d’aménagement de la zone industrialo-portuaire, elle a rejoint en mars dernier la direction générale du Port autonome de Strasbourg.   

En arrivant à l’Est, dans un port où le tonnage est bien inférieur, l’une des figures féminines montantes au sein du port phocéen franchit néanmoins un cap en accédant à une fonction de directrice générale. Une rampe de lancement pour un ailleurs portuaire dans quelques années ? 

Anicroche à Toulon

De façon bien moins attendue, Christine Rosso, directrice commerciale à Marseille-Fos, a également mis les voiles pour accéder à une fonction similaire, à quelques kilomètres du Vieux-Port. L’ancienne directrice générale de Naviland Cargo, en poste depuis seulement deux ans au GPMM, a succédé manu militari mais après le préavis de rigueur à Jérôme Giraud, directeur des ports de la rade de Toulon, débarqué brusquement avec son directeur adjoint Hervé Moine. 

Les deux hommes ont fait les frais des rififis entre la CCI et l’Union patronale, ces deux frères ennemis historiques qui ne sont jamais avares en saccades dans certaines villes. Le président sortant Jacques Bianchi a été battu de trois voix d’écart par son adversaire Basil Gertis, soutenue par l’UPE83. Or, Jérôme Giraud s’était affiché durant la campagne aux côtés de Jacques Bianchi, qui l’avait débauché de son poste de directeur commercial du port de Marseille il y a huit ans pour remettre Toulon à flot. Le GPMM sert décidément de pompe à profils.   

Un management difficile ?

Au nord comme au sud, les spéculations tournent à plein régime pour alimenter le récit d’un management problématique. Les patrons des ports, dont les nominations relèvent d’arbitrages politiques qui prennent parfois beaucoup de temps (les ports n’intéressent-ils donc pas ? Les postes ne sont-ils pas bien rémunérés ?), ne sont pas à l’abri des ruptures d’amarres.

À Marseille, où l’on ne déteste pas la palabre, le départ de Hervé Martel, nommé en 2019 à la direction portuaire, est un sujet qui a un certain succès alors qu’on lui prête quelques difficultés en interne et des incompatibilités avec son environnement politique. Son mandat est en principe d’une durée de cinq ans, renouvelable, mais les Ponts restent des grands commis de l’État arrimés aux décisions politiques. 

Les difficultés en interne ne résultent-elles pas plutôt de la transformation stratégique en cours dans les grands ports maritimes qui, en imposant de nouveaux modes de fonctionnement dont les changements ne semblent pas toujours compris, tend les relations avec le directoire ?

 À Nantes, la publication l’an dernier d’un rapport par le cabinet Secafi, commandé par le Comité social économique (CSE) du GPM, a pointé un certain nombre de dysfonctionnements : licenciements et démissions créant un sentiment d’insécurité, absence de lisibilité de la stratégie du fait d’un pilotage par à-coups, pratiques de gestion dites vexatoires… Le président du directoire Olivier Trétout a été mis en cause dans la conduite des changements que d’aucuns estiment parfois nécessaires. Une évolution de modèle légitime des passages en force, entend-on.

Recherche président du conseil de surveillance

La présidence sans tête officielle du conseil de surveillance du Grand Port maritime de Marseille est encore plus féconde en petites histoires. Depuis le décès brutal en décembre 2020 de Jean-Marc Forneri, le sommet de la gouvernance du GPMM est assuré à titre intérimaire par Élisabeth Ayrault, qui a quitté la présidence de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) en septembre 2021 « en raison d’un problème de santé ». 

Lors du Conseil de surveillance du 26 novembre dernier, elle avait alerté à nouveau les représentants de l’État actionnaire, rappelant l’importance de cette fonction, qui favorise l’équilibre avec le directoire et exerce le contrôle de sa gestion. 

L’emballement médiatique s’est porté un temps sur Stéphane Richard, alors PDG d’Orange et candidat idéal pour son double profil conjuguant portée nationale et compatibilité locale. Mais l’agenda judiciaire dans l’affaire Tapie - Crédit lyonnais l’impliquant en tant que l'ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy en a décidé autrement. 

Le dévolu s’est ensuite jeté sur un autre proche de l’actuelle présidente de la banque centrale européenne, son époux Xavier Giocanti, l’artisan des zones franches urbaines (ZFU) créées dans les quartiers Nord de la cité phocéenne quand Jean Claude Gaudin était ministre de la Ville. Mais le prétendant, autre profil d’entrepreneur investi dans la métropole à la réputation rugueuse, a été invalidé par son âge. 

Vacance depuis janvier 2021

Dans ce dossier, l’État a joué la montre à ses dépens, sans doute dans l’espoir que son « poulain » sortirait hors de cause de l'affaire, en appel, de l'arbitrage entre Bernard Tapie et le Crédit lyonnais. Mais la condamnation de Stéphane Richard à un an d'emprisonnement avec sursis et 50 000 € d'amende, qui l’a conduit à démissionner d’Orange, l’a définitivement écarté.  

Alors que Bercy faisait savoir encore il y a quelques mois que les marques d’intérêt ne manquaient pas, le nom de Xavier Giocanti, candidat soutenu par le président de Région Renaud Muselier, revient sur la table avec insistance.  

Si l’homme est finalement choisi moyennant donc une modification statutaire probablement envisageable puisque l’affaire est considérée, l’État ferait fi des avis de la communauté portuaire qui s’étonne qu’un « spécialiste de l’immobilier d’entreprises » puisse être nommé à ce poste exposé au « délit d’initiés ». « La jurisprudence Feraud devrait les rendre pourtant prudents », glisse un connaisseur du terrain qui fait référence à Michel Feraud, placé hors cadres alors qu’il était vice-président du Port autonome de Marseille dans les années 2000. L’ingénieur des travaux publics de l'État avait eu quelques légèretés avec de nombreux terrains appartenant au domaine portuaire…Il en avait tiré une certaine fortune.

Adeline Descamps

Des mouvements en marge

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