Le pic dans l’escalade des tensions observée ces derniers jours entre Kiev et Moscou pourrait avoir été atteint. Le point de non-retour n'a jamais été aussi proche.
La Russie a accusé le 7 juin l'Ukraine d'avoir fait exploser le pipeline qui relie la ville russe de Togliatti, sur les rives de la Volga, au port ukrainien d’Odessa. Le pipeline, fermé peu de temps après le déclenchement de la guerre en février 2022, permettait à la Russie d'exporter plus de 2,5 Mt par an d'ammoniac, ingrédient clé des engrais. Il avait été initialement mis en service pour exporter les produits de l'entreprise chimique Togliatti, le plus grand producteur russe d'ammoniac.
« Un groupe de sabotage ukrainien a fait exploser le pipeline d'ammoniac Togliatti-Odessa », a confirmé le ministère russe de la Défense dans un communiqué. Cette explosion a eu lieu le 5 juin dans la soirée près de Massioutovka, un petit village contrôlé par les forces russes dans la région de Kharkiv (nord-est de l'Ukraine).
« Le seul qui n'avait pas d'intérêt à ce que le pipeline d'ammoniac reprenne, c'est le régime de Kiev », a fait part de son côté la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova.
Tout un symbole
Moscou faisait de l'ouverture de ce pipeline une des conditions de sa participation à l’accord signé entre les deux belligérants en juillet 2022 sous l’égide de l’ONU pour permettre les exportations par la mer Noire de céréales et de produits agricoles en mode sécurisé.
Au 1er juin, selon les données du Centre de coordination conjoint de l'initiative, 30,6 Mt de céréales auraient ainsi pu sortir du pays.
L’initiative, qui vient d’être renouvelée pour une nouvelle période de 60 jours, jusqu’au 18 juillet, avait été à nouveau précédée de menaces de la part de Russie de se désengager, estimant que les contreparties de l’accord ne sont pas respectées, notamment l'exportation d'ammoniac et d'engrais.
Blocages dans l'inspection des navires
Depuis plusieurs jours, Kiev et Moscou s’accusent mutuellement, via des déclarations publiques, les responsabilités dans les blocages de la mise en œuvre de l’accord.
En début de semaine, l’Ukraine a ainsi accusé la Russie d’entraver l'enregistrement des navires afin de favoriser ses propres exportations d'ammoniac.
Effets sur les marchés
Les faibles taux d'inspection des navires, des longs délais d'attente et les coûts de surestarie supplémentaires ont eu des conséquences quasi instantanées sur les marchés.
En mai, le marché du blé FOB a ainsi chuté de 50 $/t tandis que le maïs POC FOB Ukraine a perdu 15 $/t après avoir stagné pendant la majeure partie du mois d'avril.
Volumes sanctionnés
Les volumes ont également été sanctionnés, les acteurs du marché hésitant à s’engager compte tenu des perspectives de l’accord brouillées par la dégradation des relations.
En mai, les flux de céréales ukrainiens ont à peine dépassé 1,3 Mt soit 53 % de moins que le mois précédent.
« En fait, nous sommes en attente depuis le mois de mars. Le corridor ne peut pas fonctionner efficacement avec une perspective de deux mois seulement. Nous avons fixé deux navires au cours du dernier corridor, mais aucun d'entre eux n'a pu passer », a expliqué un affréteur auprès de Reuters.
Dans la région de la mer Noire, les tarifs d’affrètement des vraquiers qui desservent les trois ports ukrainiens intégrés dans l’accord ont été signalées autour de 15 000 $/jour pour les handysize.
Inversion des prix ?
La nouvelle de la prolongation de l’accord avait contribué à la baisse des prix du blé et du maïs la semaine dernière. Les contrats à terme sur le blé à Chicago pour livraison en mai ont diminué de 3 %, et ceux de maïs, 0,5 %.
Cependant, les inquiétudes renouvelées concernant l'avenir de l'Initiative céréalière de la mer Noire pourraient entraîner une inversion des prix dans les prochains jours.
Parallèlement à l'incertitude concernant les exportations ukrainiennes et russes de céréales, les volumes transportés par voie maritime en provenance des ports russes de la mer Noire ont, elles, montré une vigueur exceptionnelle ces derniers mois. La demande de transport maritime vers la Turquie, le Moyen-Orient et l'Afrique domine les échanges.
Adeline Descamps
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