La commission européenne se voit prise en flagrant délit de contradiction entre l’énoncé de ses ambitions vertes en matière de mobilité lourde et les effets inattendus de certaines de ses propositions. Dans un communiqué envoyé le 12 avril, la veille de l’adoption, par les eurodéputés de la commission des Transports (TRAN) du Parlement européen, de leur position sur la révision du réseau transeuropéen de transport (RTE-T), l’Organisation européenne des ports maritimes (Espo) revient à la charge sur une proposition qui lui paraît discriminante.
Elle avait déjà alerté fin mars à ce sujet. Et elle n’était pas seule. Plus de 40 amendements avaient été déposés par six groupes politiques différents dans ce sens.
À l'heure actuelle, les ports européens ne sont inclus dans la liste des entités désignées pour le RTE-T, le susnommé « club RTE-T », que s’ils traitent un certain tonnage de marchandises ou d'EVP. Selon l’Espo, ces critères d’éligibilité, qui donnent la prime au poids, favorisent de facto les ports dont l’activité se concentre sur la manutention des marchandises traditionnelles d’un port, à savoir les vracs liquides (hydrocarbures), le vrac sec (charbon) et les conteneurs, à l’empreinte carbone éloignée des objectifs de la feuille de route climatique de l’UE (pacte vert ou Green Deal), défendus par la présidente de la Commission Ursula Von der Leyen.
Écartés des financements
Or nombre de petits ports positionnés sur le support aux éoliennes, qui traitent et stockent les équipements nécessaires, peuvent être de ce fait écartés de la politique RTE-T (et donc de ses fonds de financement) faute de « soulever » suffisamment de lourd alors même qu’ils sont essentiels à la transition verte de l'UE, déplore l'ESPO.
En clair, dans l'état actuel des choses, les ports qui choisissent de passer des hydrocarbures aux énergies renouvelables se trouvent pénalisés.
« Il est temps de reconnaître les investissements que les petits ports axés sur l'énergie verte réalisent dans des infrastructures spécialisées pour l'éolien offshore et l'hydrogène vert. Sans reconnaissance du RTE-T, ces ports sont désavantagés lorsqu'il s'agit d'obtenir le soutien de l'Union européenne pour leurs initiatives, alors que les ports qui traitent des cargaisons d'énergie conventionnelle ont accès au financement », dénonce l’organisation.
Une neutralité carbone qui exige 304 GW d'ici 2050
« Les nouvelles énergies sont importantes pour l'Europe et les chaînes d'approvisionnement correspondantes (telles que l'hydrogène, l’énergie éolienne, le solaire etc.) exigent plus d'espaces que les énergies et les carburants fossiles. Elles s'accompagnent également de besoins spécifiques en matière de transport, d'infrastructures et de connectivité, de stockage et de nouvelles chaînes d'approvisionnement », fait encore valoir l'Espo.
Pour parvenir à la neutralité carbone d'ici à 2050, il faudra multiplier par 19 la capacité éolienne en mer, actuellement de 16 GW, soutien pour sa part WindEurope, l’association qui représente au niveau du vieux continent les acteurs de l’éolien. Rien qu'au cours des sept prochaines années, le volume de l'éolien en mer dans l'UE devra passer de 16 à 115 GW. Cette évolution s'accompagne de besoins spécifiques (…) ce qui nécessite des investissements considérables dans les infrastructures portuaires, notamment en termes de foncier », abonde Giles Dickson, son président. Jusqu'en 2030, l'Europe devra investir 8,5 Md$ dans ses infrastructures portuaires, estime-t-il, pour concrétiser ses ambitions.
« Nous ne pourrons pas développer l'éolien en mer sans développer et moderniser l'infrastructure portuaire européenne. Le RTE-T doit en tenir compte », insiste l'association, dans un communiqué.
Soutien du Conseil européen
Le Conseil européen – l'organe politique composé de représentants des gouvernements des États membres de l'UE –, avait plaidé dans ce sens en décembre. Il suggérait qu’un port maritime puisse bénéficier du RTE-T si la diversification énergétique ou « l'accélération du déploiement des énergies renouvelables » figure parmi ses principales activités, à condition que le port transporte au moins 500 000 t de marchandises par an.
Avec son RTE-T, artère principale de la politique européenne en matière de transport et de connectivité, l'Union européenne vise à construire une infrastructure dite efficace, multimodale et de qualité. Dans l’idée d’une Europe sans frontières et d’une approche transports de longue distance. Les représentants européens espéraient aussi, avec cet instrument, contrarier un réflexe-sparadrap qui veut que chaque État membre développe son réseau intérieur tout en omettant les parties internationales.
Projet en discussion depuis les années 1980, les premières orientations adoptées en 1996, le programme a été modifié à plusieurs reprises, 2013 étant date de la dernière révision avant celle en cours. Dans la dernière feuille de route, l'ambition était réaffirmée : « transformer l’actuelle mosaïque de routes, voies ferrées, aéroports et canaux en un réseau de transport unifié intégrant l’ensemble des États membres ».
Un réseau transeuropéen de transport au parcours chahuté
Actuellement, le RTE-T projette la mise en place d’un « réseau central » de transport d’ici à 2030, formant la charpente des transports au sein du marché unique. Un deuxième niveau de structure, dit « réseau global » assurant les connexions vers toutes les régions de l’UE, doit le compléter à l’horizon 2050. Neuf couloirs principaux sont identifiés sachant que le pilier maritime du RTE-T repose sur les autoroutes de la mer (le transport maritime assure 60 % du commerce intra-européen).
L'UE souhaitait notamment profiter de la révision en cours, depuis le 14 décembre 2021, pour aligner sa politique avec celle du Pacte vert.
L’Union européenne n’a pas de compétence exclusive pour la conception, le financement et la construction des infrastructures, les États membres restent donc les principaux responsables en la matière. Mais elle agit comme catalyseur en soutenant financièrement les infrastructures d’intérêt général via différents fonds parmi lesquels le Mécanisme d’interconnexion en Europe (de l’ordre de 25 Md€ sur la période 2021-2027), le programme InvestEU, Horizon 2020 (recherche et l’innovation) et les fonds structurels.
Pas de mentions des ports
Les eurodéputés de la commission des Transports (TRAN) du Parlement européen ont donc adopté leur position le 13 avril. Il a surtout été question de réduire les temps de passage aux frontières, d’encourager les modes de transport écologiques et d’étendre les liaisons avec l’Ukraine et la Moldavie.
Le transport des marchandises du transport routier vers le ferroviaire est actuellement régi par un ensemble de règlementations disparates qui imposent aux opérateurs ferroviaires de s’adapter à des exigences différentes à chaque fois qu’ils entrent dans un nouveau territoire. Les eurodéputés se sont accordés, à cet égard, sur l’électrification de toutes les voies ferrées du réseau, sur une vitesse minimale de 100 km/h pour les trains de marchandises d’ici à la fin de 2030 et sur des délais transfrontaliers inférieurs à 15 minutes.
En cas de manquement, ils souhaitent que la Commission puisse intenter une action en justice, tout en réduisant ou en supprimant le financement des contrevenants.
Adeline Descamps