Gagner en efficacité, limiter les processus, anticiper davantage et améliorer la synchronisation entre les différents acteurs de l’hinterland. La logistique terre-mer se dématérialise à son tour. Confirmation avec un atelier thématique sur le sujet dans le cadre du salon « de la croissance bleue » Euromaritime, qui s’est tenu du 4 au 6 février au Parc Chanot à Marseille.
« L’hypothèse de base, qui a présidé au lancement de notre expérimentation, était de diminuer la complexité de la collecte d’informations – très importante dans le cas du transport combiné – et de faire en sorte qu’elles tombent toute seule et le plus rapidement possible dans les environnements dédiés aux opérateurs fluviaux de telle sorte qu’ils n’aient plus à aller les chercher », plante Christophe Reynaud. Le responsable innovation de l’éditeur de logiciels Cargo Community System MGI intervenait au cours d’un atelier thématique sur la blockchain et l’intermodalité dans le cadre du salon de la croissance bleue Euromaritime.
De toutes les technologies qui ont déferlé sur le secteur ces dernières années – Big data, IoT, intelligence artificielle – la blockchain, gigantesque base de données sécurisée, partagée en temps réel, sans intermédiaires et infalsifiable rendant possible échanges et transactions, est celle qui excite le plus le secteur. Car cette solution de stockage et transmission correspond au petit point aux problématiques de traçabilité du secteur (dès lors qu’une marchandise est entrée dans la base de données, les informations la concernant sont mises à jour instantanément), de sécurité des transactions (nouer une relation commerciale sans autorité ou intervention centrale) et de fraude (il est facile de savoir quelle information a enté écrite, par qui et à quel moment).
Flasher des QR Codes
Dans le portuaire et le maritime, les technologies digitales ont déjà fait leur œuvre : digitalisation des conteneurs, dématérialisation et numérisation des procédures, gestion des escales maritimes, pilotage des flux de marchandises et des procédures douanières grâce au Cargo Community System par lequel tous les opérateurs de la chaîne logistique peuvent suivre en temps réel la marchandise. Le transport multimodal entre dans le mouvement. Et le projet MeRs (pour Méditerranée-Rhône-Saône), lancé en février 2019 par la délégation interministérielle au développement de l’axe portuaire et logistique Méditerranée-Rhône-Saône*, doit y contribuer. Celle-ci a confié à trois spécialistes du suivi des transactions et des marchandises – MGI, le développeur d’interfaces import/export BuyCo et le spécialiste des documents numériques sécurisés KeeeX – la mise en œuvre d’une première expérimentation logistique terre-mer basée sur la blockchain, depuis Marseille-Fos vers l’hinterland.
« On est arrivé à l’optimum de ce que l’on peut faire avec nos écosystèmes portuaires, convient Christophe Reynaud. Si on veut optimiser nos systèmes, il faut collecter l’information le plus en amont possible. Grâce au projet MeRs, l’information est disponible en temps réel et pour tous les acteurs dès que le premier événement physique se manifeste sur la chaîne logistique ». Avec KeeeX, MGI a développé une plateforme sécurisée et accessible sur des pré et post acheminements fluviaux au départ de la région lyonnaise et à l’export. « Toutes les opérations peuvent être séquencées et les étapes, automatisées. On est capable de savoir à tout moment qui fait quoi et à quel moment, dès l’affectation du conteneur vide jusqu’à la livraison du conteneur plein, livré sur le terminal de Fos par mode fluvial ».
Mieux, elle apporte des informations certes supplémentaires, par exemple sur le moment du chargement, sur l’empotage des conteneurs, mais permet aussi d’échanger sous un autre format : prendre des photos, flasher des QR code ou des codes-barres… « On peut utiliser son smartphone pour prendre des photos, qui sont certifiées, puisque l’on sait qu’elles ont été prises par telle personne de telle entreprise à tel endroit. Toute information est injectée dans le système ».
Souveraineté des données
« On a aujourd’hui entre les terminaux portuaires et nos unités fluviales des niveaux d’informations complexes. On peut savoir quand la marchandise est chargée et déchargée mais dès que l’on sort du domaine fluvial, on perd sa trace », explique pour sa part Alain Maliverney, directeur de Logi Ports Shuttle (groupe Sogestran). L’armateur fluvial, qui opère sur les bassins Seine-Oise et Rhône-Saône, y voit une opportunité de business. « Disposant de ces datas, on va pouvoir les exploiter à des fins de qualité des services ». Mais surtout, l’opérateur estime qu’il garde la souveraineté de ses données. « En collectant dès à présent l’information pour la traiter éventuellement, on ne laisse pas à d’autres la possibilité de vendre ce fameux tracking avant nous ».
Le dirigeant fait sans doute allusion aux trublions disruptifs, qui profitant des opportunités offertes par la numérisation, s’immiscent dans ce secteur aux acteurs établis. Plus qu’un autre secteur, le transport maritime – en raison de son nombre d’intermédiaires et parties prenantes – est un excellent candidat à l’ubérisation. Le Chinois Alibaba et l’Américain Amazon lui ont manifesté ces dernières années de la sympathie.
« La logistique a ceci d’intéressant que le secteur est encore peu dématérialisé mais porteur de retours sur investissement lié à cette dématérialisation », ajoute Laurent Henocque, fondateur et PDG de KeeeX. L’entreprise aixoise, fondée fin 2014 autour d’un brevet déposé suite à des travaux de recherche menés avec le CNRS et l’université d’Aix-Marseille, est jusqu’à présent surtout implantée chez des grands comptes. « Cela fait interagir en confiance. La data reste disponible aux acteurs pour qu’elle soit commercialisée à leur profit et sous leurs modèles ».
Financer la blockchain
Reste que la dématérialisation a un coût. « Elle n’a de sens que pour amener de la valeur ajoutée. Soit on est capable de le facturer au client soit d’en tirer des gains de productivité », reprend Alain Maliverney. Et maintenant ? « L’industrialisation des solutions expérimentées est ce qui nous occupe aujourd’hui », assure Christophe Reynaud. La Marseillaise, encore inexpérimentée dans la blockchain il y a un an, étudie désormais les solutions de type KeeeX en vue de développer d’autres services. « Nous réfléchissons à des modèles de certification ou écolabels. L’idée serait de garantir que les chaînes logistiques ont bien utilisé des modes de transport verts ».
Adeline Descamps
* avec Banque des territoires (Caisse des dépôts), les Voies navigables de France (VNF), la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et le Grand Port maritime de Marseille (GPMM).