Kenya : Lamu enfin amarré à quai

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Cela fait des années que le projet est évoqué. L’une des infrastructures clés du grand projet de corridor intérieur, destiné à relier le Kenya à l'Éthiopie et au Sud Soudan, se concrétise. Le premier poste d’amarrage du nouveau port en eaux profondes a été étrenné. Deux autres doivent entrer en service cette année. Et pèse la menace d’un site « éléphant blanc ».

« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ». Il y a toujours une citation de La Fontaine qui peut servir à chroniquer les étapes d’un grand projet. On en parle depuis des décennies. Des années que le nouveau port en eaux profondes de Lamu au Kenya faisait l’objet d’une annonce de lancement imminent. Alors que  le pays d’Afrique de l’est possède déjà un port « millionnaire » en EVP – Mombasa (18 quais) –, il n’a jamais faibli dans son ambition de créer une infrastructure portuaire et ferroviaire tournée vers l’intérieur du continent. Un projet soutenu par l’Union africaine, qui mise sur les corridors intérieurs pour développer l’intrarégional en Afrique.

La construction de ce port greenfield est précisément l’un des grands chantiers clefs du Lapsset (Lamu Port South Sudan Ethiopian Transport, corridor project), lancé en 2012 et destiné à relier le Kenya à l'Éthiopie et au Sud Soudan ainsi qu’à desservir les pays enclavés de la côte est-africaine tels l’Ouganda, le Rwanda ou la Zambie.

Le plus grand projet d’ingénierie civile du pays, dont les travaux ont démarré en 2014, prévoit la construction d’autoroutes interrégionales entre Lamu et Isiolo et Juba (Soudan du Sud), Isiolo et Addis-Abeba (Ethiopie) ou encore Lamu et Garsen (Kenya), d’une ligne de chemin de fer de 1 720 km, d’un oléoduc de 1 300 km reliant Lamu au Soudan pour traiter le pétrole soudanais, de trois aéroports internationaux dont un à Lamu, et d’un barrage polyvalent le long de la rivière Tana.

Dans une deuxième phase, le maillage routier doit relier l'est à l'ouest via une route à grande vitesse transcontinentale entre Lamu et ses homologues de Douala et de Kribi (Cameroun) via Juba et Bangui. Un investissement qui se chiffre au total en dizaines de milliards de dollars dont 5 Md$ pour le seul port de Lamu selon des données officielles.

Lancement du premier poste d’amarrage

Cette fois, une première pierre a été posée. Le chef de l’Etat kenyan Uhuru Kenyatta a assisté le 20 mai à la mise en service du premier poste d’amarrage de Lamu alors que les deux autres postes doivent être terminés d'ici la fin de cette année. Ce sont les navires MV Cap Carmel (2 524 EVP) et MV Seago Bremerhavel (4 196 EVP), exploités par Maersk qui, en accostant, ont étrenné l’ouvrage.

La Kenya Ports Authority (KPA) y envisage 32 postes, dont 29 seront financés par le secteur privé. Lamu sera alors doté d’un linéaire de quai de 6 000 m à un tirant d'eau de 17,4 m avec une capacité de 20 MEVP par an. La construction des trois premiers postes – 689 M$ avec le dragage et la poldérisation, les accès, la construction des bâtiments et des services publics, l'achat d'équipements et de remorqueurs, etc. – a été confiée à China Communications Construction Company (CCCC).

Le développement des infrastructures portuaires, a fortiori connectées au ferroviaire en Afrique, constitue un point d’intérêt fondamental pour Pékin et ses sociétés d’État, qui ont déjà largement entrepris le maillage du réseau ferroviaire en Afrique. La seconde puissance économique mondiale y voit la possibilité de s’assurer une capacité de transport fiable pour l’exportation des matières premières. L’intégration des corridors terrestres africains aux nouvelles routes de la soie, son grand réseau portuaire et terrestre entre les villes industrielles du centre de la Chine et l’Europe, doit servir cette ambition.

Projet compliqué

Outre l'achèvement de la route Isiolo-Moyale, longue de 500 km, l'ouverture officielle du port de Lamu constitue la réalisation la plus marquante à ce jour du mégaprojet émaillé par de multiples recours et entâché par des soupçons de spoliations de terre, indiquent Jan Bachmann et Benard Musembi Kilaka, chercheurs à l'université de Göteborg, qui suivent le Lapsset depuis ses premières évocations.

L'impact environnemental de sa construction, restreignant l'accès à des zones de pêche viables, a en outre été mis en valeur par une décision de justice en 2018, qui a notamment accordé aux pêcheurs une compensation de 18,4 Md$ pour leurs pertes économiques.

Toutefois, les deux universitaires notent quelques avancées. « Les travaux routiers reliant Lamu à Nairobi via Garissa sont en bonne voie. Et la nouvelle route entre Lamu et Garsen a déjà réduit les coûts de transport, car les camions et les voyageurs n'ont plus besoin de passer par Mombasa. Une fois que l'autoroute du projet vers Garissa et Isiolo sera achevée, l'ancienne région "frontière" du nord pourra bénéficier de la connexion au port. »

Ils n’excluent pas la possibilité que Lamu ne devienne un site « éléphant blanc » en raison des « incertitudes considérables quant à son utilisation ». Enfin, il y a les problèmes de sécurité. « Depuis une quinzaine d'années, Lamu est devenue une région très instable avec les attaques récurrentes du groupe militant al-Shabaab. »

Adeline Descamps

 

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