Après quatre années à la présidence du Comité Marseillais des Armateurs de France (CMAF), deux ans à la tête de l’Union maritime et fluviale de Marseille Fos (UMF) et deux semaines après avoir quitté son poste de directeur QHSSE de Corsica Linea pour le manutentionnaire corse Orazzi, Alain Mistre a passé la barre de l’UMF à Jakob Sidenius.
Le patron de Seayard, qui opère un des terminaux à conteneurs à Marseille Fos (Til/MSC à 50 %, APM Terminals du groupe Maersk, 42 % et Cosco Shipping, 8 %), a été élu le 15 juin à l’issue de l’assemblée générale d’une organisation à l’influence locale avec ses 450 entreprises et 25 000 emplois directs et au rôle assumé de poil à gratter de la place portuaire de Marseille-Fos dès lors que sa compétitivité est sur la brèche.
Retour d'un manutentionnaire
Outre le retour d’un manutentionnaire, après le mandat de Jean-Claude Sarremejeanne (Somarsid-Sosersid) il y a quatre ans, c’est une présidence aux accents danois qui succède à une direction au parfum de Corse, selon les propres mots d’introduction de l’intéressé, marseillais depuis 2017 et militant syndical, notamment au sein du Semfos, l'organisation des manutentionnaires de Marseille-Fos.
Jakob Sidenius, qui cite volontiers les proverbes de son pays – « la vérité n’est pas toujours la bienvenue. Néanmoins elle est toujours la vérité » –, connaît bien à la fois celle de son secteur où il faut naviguer dans l’entrelacs des mouvements capitalistiques, mais aussi celle du port de Marseille, où les relations avec l’environnement politique ou de la société civile sont parfois au bord de la rupture.
« La vérité de la place portuaire me fait penser au bulletin d’école de mon fils adolescent : beau potentiel mais pas suffisamment exploité. Appréciation globale : peut mieux faire », s’est-il amusé lors son discours officiel devant la communauté portuaire réunie à la Villa Gaby à Marseille, vue plongeante sur une mer d'huile dont personne ne se lasse.
Quelle feuille de route ?
Comment concrètement faire pour transformer un beau potentiel en réalité ? « Je demande aux présidents des associations fondatrices de lister tous les sujets qu’ils aimeraient voir traiter par l'UMF, explique le nouvel élu. Car si nous voulons que les choses bougent, il faut que tous s’investissent. C’est pourquoi il sera demandé aux administrateurs sur quels sujets ils ont un intérêt ou des compétences particulières pour lesquels ils pourraient se porter en personne ressource ». Place donc à la méthode danoise qui devrait aboutir à une feuille de route présentée en septembre.
Dunkerque érigé en exemple
En aparté, Jakob Sidenius précise son propos. « Chaque port a une fourchette de potentiel. On ne peut pas, de façon réaliste, penser que l’on sera un jour Shanghai, mais le nôtre [de potentiel, NDLR] reste inexploité face à des concurrents dynamiques... Pour ce faire, il nous faut identifier, sur tous les marchés qui nous intéressent, comment nous pourrions mieux l’exprimer »
Paradoxalement, dans un secteur hyper concurrentiel, les ports français étant particulièrement attaqués au Nord par les redoutables Anvers et Rotterdam et au Sud par les entreprenants Barcelone et Gênes, il n’a été question que de Dunkerque dans le cérémonial qui a suivi son élection.
« Souvent, les observateurs évoquent le port de Dunkerque et notamment la capacité à être très attractif, mentionne Christophe Castaner, président du conseil de surveillance du grand port maritime de Marseille. Son succès tient à son foncier portuaire disponible et au fait d’accepter des activités qui n’ont rien à voir avec l’activité portuaire. Cette adhésion repose sur un pacte à tous les niveaux de représentation. On doit nous aussi faire ce pacte ».
Pas de foncier portuaire sans trafics
La représentation de la CGT s’oppose précisément à ce que le foncier portuaire soit le réceptacle d’activités qui ne génèrent pas ou peu de trafics.
Dans un document sur la situation et l’avenir des ports français publié en fin d’année dernière, la Fédération nationale des ports et docks CGT a fait part de sept propositions parmi lesquelles celle d’une substitution de nouvelles activités engendrant du trafic à celles qui disparaissent mais aussi « la sanctuarisation des espaces fonciers et la préservation des zones industrialo-portuaires » qu'ils souhaitent voir mieux encadrés (notamment dans les villes portuaires où ont été signées des chartes ville-port).
Planification de développement
Jakob Sidenius, qui reconnait volontiers à Dunkerque sa capacité à avoir anticipé avec efficacité une planification de développement payante, estime difficile de « faire un copié-collé ». Le foncier portuaire n’est pas extensible. « Les terrains portuaires doivent être réservés en priorité aux activités qui ont une forte relation avec le port ou une implication maritime. Si l’on n’a pas cette vision, on risque de le regretter dans quelques années ».
Obsolescence de l'outil portuaire
Le nouveau président estime par ailleurs que l’outil portuaire peut être rattrapé par l’obsolescence technique faute d'investissements « structurants » à long terme. « Nous avons besoin de plus d’engagements financiers publics pour aller de l’avant en tant qu’investisseur privé, et ce, sans plus attendre car il faut cinq à dix ans pour concrétiser un projet. Les investissements portuaires sont très peu risqués car nous sommes sur des durées de vie techniques très longues ».
Les professionnels du conteneur seront rassurés. Pour ce qui est l’OAZIP (orientation d'aménagement de la zone industrialo-portuaire de Fos à l'horizon 2040), le GPMM a présenté lors d’un récent Conseil de développement une cartographie des investissements futurs, en ligne avec ce qu’ils souhaitaient (FOS 3XL).
Quant à l’axe Rhône-Saône, porteur d’un véritable potentiel logistique mais contraint par la politique zéro artificialisation nette, « identifier tous les terrains potentiels en bord de Rhône pour les réserver à des activités engendrant de l’activité portuaire » est un début de réponse, flèche le nouveau porte-voix de l'UMF.
Parmi les premières mesures concrètes annoncées à la suite de la réunion du 24 mai du Conseil de Coordination Interportuaire et Logistique (CCIL), auquel participe l’UMF, il a été question d’un schéma directeur du foncier portuaire et logistique ainsi que d'un catalogue foncier des sites du nouvel ensemble fluvio-maritime. Il doit être achevé d’ici le premier trimestre 2024.
Un bilan hyperactif
Alain Mistre, lui, ne tournera pas la page sans lister les nombreux dossiers sur lesquels l’UMF s’est impliquée sous sa mandature : pour que l’offre ferroviaire reste à un niveau suffisant et que les entreprises ne soient pas pénalisées suite à la fermeture de la gare du Canet, pour que les acteurs méditerranéens bénéficient de la même mobilisation que pour le transmanche face au risque de dumping social, pour que les trafics entre Marseille Fos et Duisbourg, premier port sec d’Europe et terminus de la route de la soie, puissent se concrétiser (lignes ferroviaires lancées par CMA CGM et Modalis-Delta Rail) ou encore pour donner de la voix face aux attaques répétées sur la pollution maritime générée par le port qui représenterait 37 % des émissions d’oxyde d’azote de Marseille, soit plus que l’industrie et la route.
En février dernier, trois associations (Alternatiba Marseille, Cap au Nord, Stop croisières) et des riverains du Grand Port maritime de Marseille avaient fait part de leur volonté de déposer plainte contre X au pénal pour « inaction » en matière de pollution maritime.
« Je ne suis pas de ceux qui signent les pétitions »
« Je ne suis pas de ceux qui signent les pétitions, a lancé Christophe Castaner dans un discours économe. Il ne faut pas pour autant négliger les contraintes et les conséquences, y compris les sujets de pollution. Les inquiétudes qui émanent sur ces sujets sont majeurs et il faut pouvoir les entendre. Quand les élus les portent, ils sont légitimes ».
L’ancien ministre de l’Intérieur sortait du plateau des Quatre Vérités, émission de Télé Matin, en déplacement à Marseille, où il a dû expliquer « qu’il n’est pas totalement idiot que, dans une ville, il y ait un port et que dans un port, il y ait des bateaux ».
« Un port est un enjeu de souveraineté nationale mais on peut tout à fait imaginer un port sans navires mais alors il n’y a plus d’activités », a-t-il rétorqué au journaliste Thomas Sotto, une étude de l’Insee à l'appui faisant état de 42 600 emplois liés à l’activité portuaire et maritime, soit 11 % de la masse salariale privée.
« Nous sommes en train de vivre la révolution de la décarbonation, avec des investissements majeurs, notamment l’électrification à quai. Seuls 14 ports dans le monde l’ont fait ».
Énième rapport sur la pollution portuaire
En attendant, un énième rapport de l’ONG Transport & Environment, qui a fait de la pollution des paquebots un fonds de commerce en comparant parfois des choses incomparables (paquebots peu efficients avec des voitures Euro 6 par exemple), va remettre le sujet sur le fil de l’actualité.
« Malgré l'introduction du plafond de soufre de l’OMI en 2020, les 218 paquebots européens ont émis l'année dernière autant de dioxyde de soufre (SOx) qu'un milliard de voitures », indique le nouvel état des lieux.
Par rapport à 2019, leur nombre, le temps qu'ils passent dans les ports et le carburant qu'ils consomment « ont augmenté d'environ un quart (23-24 %). Cela a entraîné une augmentation de 9 % des émissions de SOx, de 18 % des émissions de NOx [oxydes d’azote, NDLR] et de 25 % des émissions de PM2,5 [particules fines, NDLR] », fait valoir l'association.
À Marseille, « les 75 navires de croisière qui ont accosté en 2022 ont émis deux fois plus d’oxyde de soufre (SOx) que l’ensemble des voitures immatriculées dans la ville », précise T&E, qui place la ville portuaire au sixième rang sur ce critère, derrière Barcelone, Civitavecchia, Malte ou encore Le Pirée.
Adeline Descamps