Les organisations professionnelles représentant les métiers du transport et de la logistique dans leur très large communauté sonnent l’alerte dans plusieurs communiqués conjoints et disjoints. Armateurs, agents maritimes et consignataires, chargeurs, manutentionnaires et opérateurs de terminaux, gestionnaires de ports, logisticiens, commissionnaires de transport, représentants en douane et transporteurs routiers... sifflent la fin de partie.
Les ports français semblaient avoir éradiqué leurs vieux démons -– manque de fiabilité portuaire, instabilité sociale liés à six ans de passage à vide qui ont suivi la réforme portuaire – pour redevenir fréquentables et accéder à la respectabilité (la confiance de ses clients, chargeurs et armateurs). Les voilà de nouveau renvoyés au spectre du passé alors que « nous avons toujours mis en avant que la stabilité sociale dans les ports était essentielle pour sauver la compétitivité de nos ports français. J’appelle solennellement l’ensemble des organisations professionnelles et les pouvoirs publics à faire preuve de responsabilité pour rétablir la situation (…). Depuis plusieurs mois, tous les acteurs de la filière française du transport maritime, publics et privés, sont engagés dans un vaste plan de reconquête de nos parts de marché. La situation que nous vivons en ce moment ruine ces efforts et décrédibilise une fois de plus nos places portuaires au profit de nos concurrents ».
Le sentiment d'Herbert de Saint Simon, président de TLF Overseas, est largement partagé. Il résonne en écho des messages diffusés ces dernières heures par la plupart des organisations professionnelles représentant la supply chain maritime, portuaire, routière...
Fin de partie
À l’issue du 14e jour de grève, dans un communiqué, elles sonnent la fin de partie ou du moins entendent déplacer la focale sur le transport de fret et les conséquences économiques pour la chaîne logistique. Les conséquences pour les voyageurs sont largement relayés dans la presse, les intérêts du fret le sont moins.
Or, les appels à la mobilisation contre la réforme des retraites, très suivis par les personnels portuaires depuis le 5 décembre, génèrent « des congestions importantes et des blocages sur et en dehors des terminaux, des suppressions massives d’escales et des détournements de navires sur les autres ports européens, des pertes de clients pour les entreprises françaises », énumère un communiqué conjoint diffusé ce 17 décembre par les associations représentant les armateurs, agents maritimes et consignataires, chargeurs, manutentionnaires et opérateurs de terminaux, gestionnaires de ports, logisticiens, commissionnaires de transport, représentants en douane et transporteurs : Agents maritimes et consignataires de France (AMCF), Armateurs de France (AdF) ,Union des entreprises de transport et de logistique de France Overseas TLFO, Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF), Union des ports de France (UPF) et Union nationale des industries de la manutention (UNIM).
« Elles grèvent une fois de plus la compétitivité des ports que nous essayons tous de restaurer, la fluidité du passage des marchandises et des passagers dans la période de forte activité actuelle, et impactent de facto l'économie française », signent les associations des secteurs maritime et portuaire, appelant « à la raison, au bon sens et à la responsabilité de chacun pour mettre un terme à̀ cette situation ».
La semaine dernière, face à la tournure prise par ce conflit social particulièrement dur dans les ports français, et notamment les jours de blocage de la zone industrielle et portuaire havraise, les 5, 10 et 12 décembre derniers, Michel Segain, le président de l’Union maritime et portuaire du Havre (Umep) et président national (UMPF), dénonçait les conséquences de ces blocages pour les trafics, l’image des ports français et la santé économique des entreprises, au moment où « le gouvernement entend bâtir une politique maritime et portuaire ». « Des porte-conteneurs sont détournés, les trafics chutent et il va falloir des semaines pour s’en remettre avec des effets collatéraux, une mauvaise image de marque », déplorait-il.
Mesures urgentes
TLF Overseas est sans doute le plus militant de ce point de vue. Le syndicat, représentant les entreprises de transport et de logistique (terrestre, aérien et maritime et représentants en douane), a envoyé à quelques heures d’intervalle trois communiqués, un premier s'alarmant de l’impact de la grève sur l’ensemble de la chaîne logistique, un second pour se joindre aux organisations professionnelles maritimes et un dernier pour s'associer à la FNTR (Fédération nationale des transporteurs routiers), à l'Unostra (Union Nationale des Organisations Syndicales des Transporteurs Routiers) et à la Chambre syndicale du déménagement, dans leur demande de mesures d’accompagnement « urgentes ».
A cet égard, les organisations professionnelles font part de quelques propositions concrètes à l'exécutif, notamment pour alléger leur trésorerie, telle l’anticipation du remboursement semestriel de TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), qui rapporte à l’État 33,3 Md€, quatrième recette fiscale de l’État derrière la TVA, les impôts sur le revenu et sur les sociétés. Elles réclament également des tolérances de la part des établissements bancaires (report d'échéances dans leurs paiements), ainsi que l’irrecevabilité des pénalités pour retard de livraison, invoquant les circonstances exceptionnelles en raison des barrages filtrants et blocages.
Opportunité
Les organisations professionnelles représentant également les intérêts du fret routier (600 000 emplois, 40 000 entreprises) et ferroviaire « profitent » aussi du contexte pour rappeler que l’Assemblée nationale s’apprête à adopter ce jeudi 19 décembre le projet de loi de Finances 2020, dont l’article 19 adopté mardi 17 décembre, entérine une hausse de la fiscalité sur le gazole professionnel de 2 centimes.
« Cette mesure intervient au plus mauvais moment et pourrait bien être la mesure de trop pour la pérennité de bon nombre d’entreprises du secteur ». Ils rappellent non incidemment que le secteur, qui représenterait 5,7 % des émissions de CO2 équivalent et 1,7% des émissions de particules fines, selon leurs données, est « un secteur clé dans la transition énergétique ».
Erigée en « nécessité environnementale » par la loi LOM (Loi d’orientation des mobilités) votée le 19 novembre dernier, la relance du fret ferroviaire devra attendre un peu. Selon l’Afra (Association française du Rail), seulement 7 % des trains de fret circuleraient. « Comment se tirer une balle dans le pied, ne mâche pas ses mots Éric Hémar, président de l’Union TLF, alors même que la loi LOM prévoit la mise en œuvre d’une stratégie de développement du fret ferroviaire d’ici fin 2020 (...) Nous assistons à une quasi-disparition du fret ferroviaire en France (...) en dépit d’un discours environnementaliste hypocrite ».
Adeline Descamps