Plusieurs mandats, parmi les 11 « grands patrons » des ports maritimes nationaux, dont la durée est en principe de cinq ans, renouvelable, arrivent à échéance, préfigurateurs de mouvements et d’un inévitable jeu de chaises musicales.
C'est le cas d'Haropa (le duo au conseil de surveillance et au directoire, Daniel Havis et Stéphane Raison, a été nommé en juin 2021), de Marseille-Fos (où le président du conseil de surveillance Christophe Castaner vient d'être reconduit tandis que Hervé Martel est le directeur général depuis mars 2019), de Dunkerque (Emmanuelle Verger est présidente du conseil de surveillance depuis février 2019 et Maurice Georges dirige depuis juin 2021), de Bordeaux (Philippe Dorthe et Jean-Frédéric Laurent depuis 2019) et de La Rochelle.
Les nominations des grands commis d’État que sont les directeurs généraux, arrimés à des décisions par décrets, relèvent d’arbitrages qui prennent parfois beaucoup de temps.
Certains des derniers renouvellements en témoignent, y compris à la présidence du conseil de surveillance, premier étage d'une gouvernance à trois instances (surveillance, directoire et conseil de développement), où le nombre de représentants de l’État, des collectivités territoriales, du personnel et du monde économique est strictement défini. La désignation des personnes qualifiées reste très politique.
Élisabeth Ayrault, l'ex-présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), qui a assuré durant de longs mois l'intérim à la présidence du conseil de surveillance du port de Marseille, pourrait en témoigner. Elle avait été jusqu'à annoncer sa démission à la veille d'un conseil pour forcer une prise de décision de l’exécutif.
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Renouvellement apaisé de Christophe Castaner
Outre le renouvellement sans surprise et sans tensions de l'ex-Ministre de l'Intérieur Christophe Castaner à la présidence du conseil de surveillance du Grand Port maritime de Marseille, secondé par Laurence Borie-Bancel à la vice-présidence, le secteur portuaire a enregistré ces derniers jours quelques changements de tête.
Jean-Pierre Chalus, reconduit à la Guadeloupe
Selon un décret paru le 19 avril au JO, Jean-Pierre Chalus a ainsi été reconduit à la tête du Grand Port maritime de la Guadeloupe, où il avait été nommé une première fois le 10 juin 2020. L’ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts entame ainsi son quatrième mandat à la tête d’un grand port maritime, après ceux exercés à La Rochelle et à Nantes-Saint-Nazaire (2010-2018).
Le natif du Puy-de-Dôme avait été par ailleurs élu, quelques mois après sa nomination dans le territoire ultramarin, à la présidence des Ports de France (UPF), l’association professionnelle, qui porte la voix et les intérêts des places portuaires françaises et compte 47 membres parmi lesquels les grands ports maritimes, les ports autonomes, les chambres de commerce et d’industrie (CCI), les sociétés d’économie mixte et sociétés d’exploitation portuaires.
Il succédait alors à Hervé Martel, qui a incarné le mouvement pendant six ans, et sous la présidence duquel Jean-Pierre Chalus aura officié en tant que délégué général. Les membres du conseil d’administration de l’UPF le reconduiront pour un mandat de trois ans ainsi que ses deux vice-présidents, Mériadec Le Mouillour (Roscoff), Stéphane Raison (Haropa Port). Depuis, Benoît Rochet, à la direction générale du Port de Boulogne-Calais depuis 2017, a relayé le premier.
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Jean-Rémy Villageois à Nantes-Saint-Nazaire
Révélé par nos confrères du Marin, l’actuel DG du grand port maritime de la Martinique, Jean-Rémy Villageois, a été confirmé par un décret présidentiel, également en date du 19 avril, au directoire de Nantes-Saint-Nazaire aux côtés de Christelle Morançais, actuelle présidente du conseil de surveillance (et présidente de la région Pays de la Loire).
Il vient délester Michel Puyrazat, actuel DG de La Rochelle (en fin de mission), qui assurait l'intérim depuis le départ d’Olivier Tretout en septembre 2023. « Olivier Tretout apportera son expérience au ministère des Transports pour la préparation des ports français au déploiement de l’éolien en mer », avait indiqué pudiquement le communiqué de la préfecture de Loire-Atlantique.
L'expérience d'Olivier Tretout dans ce domaine n'est pas contestable. Avec ses équipes, sous sa direction, le port a piloté le chantier de la construction du parc éolien et lancé les aménagements en vue de l'accueil des futures éoliennes flottantes et notamment un quai qui doit être opérationnel d’ici 2028.
Son départ, après quatre ans de mandat (2019), n'est sans doute pas non plus sans lien avec quelques frictions internes. La publication en 2021 d’un rapport commandé par le Comité social économique (CSE) du port ligérien au cabinet Secafi avait mis à jour un certain nombre de dysfonctionnements : licenciements et démissions créant un sentiment d’insécurité, absence de lisibilité de la stratégie du fait d’un pilotage par à-coups, pratiques de gestion dites vexatoires…
Le président du directoire avait été en partie mis en cause dans la conduite des changements que d’aucuns estiment parfois nécessaires. Une évolution de modèle peut légitimer des passages en force, c'est aussi ce qui était entendu du côté du Havre dans les mois qui ont suivi la fusion des Grands Ports maritimes (GPM) du Havre, de Rouen et de Paris.
La transformation en un grand port de l'Axe Seine a provoqué des remous. Les deux directeurs du Havre et de Rouen (Baptiste Maurand au Havre et Pascal Gabet à Rouen), devenus des directeurs territoriaux dans le cadre de la création de Haropa Port, ont assez vite et de façon prévisible largué les amarres. Le management intermédiaire n’a pas été épargné, la reconfiguration des grandes fonctions supports ayant provoqué des départs de cadres dirigeants (marketing, intelligence économique).
Originaire de la Martinique, Jean-Rémy Villageois, diplômé de l'École nationale supérieure des Techniques avancées de Paris (Ensta), renoue avec son parcours professionnel. Il est un ancien de STX Europe à Saint-Nazaire (aujourd’hui Chantiers de l’Atlantique) où il a officié entre 2000 et 2012, d'abord en tant que responsable des grands contrats de construction de paquebots, puis de la stratégie de nouveaux marchés. À ce titre, il a notamment participé à la construction du paquebot Queen Mary 2, mis en service en 2004.
Nommé en 2012 au port de La Martinique à Fort-de-France, il a été l’artisan du passage de l’ancien port autonome à son nouveau statut de GPM. On lui prête un management centré sur « l'approche client » et la « conduite du changement » et des résultats probants sur la trajectoire financière de l'établissement portuaire. Il y avait été confirmé en août dernier jusqu'à ce que la copie soit revue.
Jean-Rémy Villageois arrive dans le port de l'estuaire à mi-parcours du projet stratégique 2021-2026 de ce dernier. Le jeu des chaises musicales ayant démarré, il faudra par ailleurs lui trouver un successeur outre-Mer.
Cécile Richiardi, présidente du CS à La Rochelle
À la Rochelle, un nouveau conseil de surveillance a été nommé le 24 avril pour la période 2024-2029. Cécile Richiardi, membre de la CCI Charente-Maritime, sera accompagnée à la vice-présidence par Rémi Justinien, conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine.
Parmi les personnes qualifiées, on notera la présence de Sébastien Abis, très fin connaisseur des flux liés aux céréales et auteur du très intéressant ouvrage « La géopolitique du blé ». L’expert est très souvent sollicité par les médias pour sa connaissance de ce monde-là.
Le conseil de développement, troisième niveau de la gouvernance d’un grand port (40 membres représentant les milieux professionnels, sociaux et associatifs, ainsi que les collectivités territoriale), est aussi concerné par l’arrivée de nouvelles têtes.
Le PDG de Docks pétroliers d’Ambès à Bassens depuis 2021, Ahmed Abzizi, a été élu président du conseil de développement du Grand Port maritime de Bordeaux. Il remplace Maud Guillerme, l’ex-secrétaire générale de l’Union maritime et portuaire de Bordeaux (UMPB), désormais directrice des opérations et du développement commercial en France pour le compte de l’armateur grec de porte-voitures Neptune Lines et de sa branche logistique (Neptune Land Services).
Diplômé de Centrale-Supélec, détaché de TotalEnergies, Ahmed Abzizi est le coprésident de l’UMPB, aux côtés de Guillaume Bouquant, directeur de l’usine Michelin à Bassens.
Hervé Martel ?
Au sud, où l’on ne déteste pas le bavardage, surtout pour alimenter le récit d’un management problématique, on prête souvent à Hervé Martel, arrivé à destination de Marseille en avril 2019 en provenance du Havre, des envies de nouvel horizon à moins que cela soit une projection de ceux qui voudraient l’y expédier.
Quoi qu’il en soit, quoi qu’il en coûte, la navigation n’est pas simple pour ces dirigeants au regard des nouveaux rôles qui sont assignés aux ports en tant que partie intégrante de la solution européenne à la réindustrialisation, à la décarbonation, à la compétitivité, à la reconquête de souveraineté de l’Europe....en plus de leur rôle traditionnel de porte commerciale vers le monde.
À l’occasion de la conférence annuelle de l’organisation fédérant les autorités portuaires européennes (Espo), qui s’est tenue les 25 et 26 avril à Paris, un mémorandum a été adressé à l’intention des décideurs européens pour les cinq prochaines années, synthétisant les neuf conditions requises pour qu’ils puissent assumer l'ensemble de leurs nouvelles responsabilités qui vont leur coûter pas moins de 80 Md€.
Adeline Descamps